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« En Syrie, la souffrance a réuni les Églises d’Alep »

EXCLUSIF MAG – Le Père Ziad Hilal, jésuite à Alep, évoque des conditions de vie difficiles dans la partie est de la ville, deux mois après la reprise de l’ancienne capitale économique de la Syrie.

Quelle est aujourd’hui la situation à Alep ?

Depuis la prise d’Alep-Est en décembre dernier, les choses se sont calmées. Les insurgés ont été évacués et le gouvernement syrien contrôle toute la ville. Je me suis rendu à Alep-Est : il y a des destructions massives. J’entendais un médecin aleppin dire que le paysage ressemble à celui de Hiroshima, quand bien même il n’y a pas eu l’usage de la bombe atomique. Les mosquées, les églises, les magasins, la plupart des bâtiments ont été gravement touchés. À l’ouest, les maisons ont elles aussi été touchées, mais dans une moindre mesure. Certaines rues restent coupées à cause des dégâts provoqués par les bombes. Alep était connue dans le monde pour sa beauté. Il y avait cinq millions d’habitants avant la guerre. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’un million et demi, et ils vivent dans des conditions très difficiles. Alep était l’une des plus belles villes d’Orient. Elle est devenue triste et sombre.

Des habitants sont-ils retournés vivre dans la partie est de la ville ?

Pour l’heure, personne ne vit à l’est, car les conditions sont trop dures. Il n’y a pas d’électricité, l’eau est régulièrement coupée, on manque de fioul, de nourriture, de médicaments. La population qui résidait ici a été évacuée. Beaucoup de gens sont déplacés dans des camps à l’ouest, où les conditions sont aussi très pénibles. On voit de nombreuses femmes avec leurs enfants et l’on se demande où sont passés les hommes. La guerre a déchiré les familles. Quand je suis allé visiter les camps, j’ai croisé des enfants qui n’ont pas été à l’école pendant trois ans. Vous imaginez : ils n’ont rien appris pendant trois ans ! Le conflit a causé des problèmes sociaux catastrophiques.

L’autre grand problème est le coût de la vie. Pour mettre de l’essence dans sa voiture, il faut faire la queue plusieurs heures, plusieurs jours parfois ! De même, il n’y a pas de gaz. On peut nous envoyer du riz en aide humanitaire, mais si les familles ne peuvent pas le faire cuire, à quoi cela sert-il ? Les sanctions économiques de l’Occident font souffrir tous les Syriens.

Après cinq années de guerre, les Aleppins ont-ils perdu espoir en l’humanité ?

Il y a un certain héroïsme chez les Aleppins. Ils supportent tout, sont solides et remercient Dieu d’être encore vivants. Je remarque que, chez les chrétiens comme chez les musulmans, cette foi en Dieu perdure. Les églises sont pleines. Dans la souffrance et la détresse, les gens continuent de prier. D’ailleurs, je crois que cette guerre a changé le cœur des gens. La souffrance et le sang nous ont fait nous unir. À Alep, il y a six églises catholiques, trois églises orthodoxes, une église protestante et luthérienne. Toutes ces Églises collaborent pour aider. Je crois que la guerre a libéré nos Églises qui pouvaient sembler être enfermées sur elles-mêmes. Nous sommes en train de devenir une Église pour les autres, avec les autres.

 

« À Alep, il y a six églises catholiques, trois églises orthodoxes, une église protestante et luthérienne. Toutes ces Églises collaborent pour aider. »

 

Qu’espérez-vous des négociations en cours à Genève ?

Il faut soutenir les négociations qui vont dans le sens d’un cessez-le-feu total en Syrie. Mais il faut surtout soutenir les négociations entre les Syriens. Car le problème syrien devrait être réglé par les citoyens de notre pays. Il faut arrêter de se protéger derrière des forces militaires. On a vu ce que la force avait produit. Elle nous a donné un pays à moitié détruit, avec cinq millions de réfugiés, six millions de déplacés, plus de trois cent mille morts, des centaines de milliers de blessés, des familles détruites… Il faut renouer le dialogue réel et transparent entre les Syriens, car c’est notre désunion qui a permis à Daech de prospérer en Syrie.

Hugues Lefèvre

 

 

Syrie : nouvelles négociations entre Damas et l’opposition

Pour la quatrième fois depuis le début du conflit syrien, des négociations se sont ouvertes le 23 février à Genève, sous l’égide des Nations unies, entre le régime de Damas et ses opposants. C’est la première fois depuis neuf mois que des discussions de paix entre Syriens ont lieu à Genève en présence de représentants des deux parties. L’objectif final est toujours le même : mettre fin aux combats qui ont provoqué plus de trois cent mille morts, et aboutir à une solution politique.

Pour cela, la résolution 2232, base juridique de ces pourparlers, fixe trois sujets de discussion : l’instauration d’une nouvelle constitution, la mise en place d’une gouvernance inclusive et l’organisation d’élections libres supervisées par l’Onu. Pour l’heure, il n’est pas question d’aborder une quelconque transition politique évinçant Bachar el-Assad, ses alliés russes et iraniens s’y opposant toujours fermement.

Tout en reconnaissant que les progrès ne seront pas faciles, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, croit fermement que « seule une solution politique peut apporter la paix en Syrie et que tous les Syriens qui se sont engagés à arriver à cet objectif devraient redoubler d’efforts pour la paix ». L’envoyé spécial de l’Onu pour la Syrie, Staffan de Mistura, s’est dit, lui, beaucoup plus sceptique. « Nous sommes confrontés à une tâche ardue. Ce ne sera pas facile. Il y a beaucoup de tensions », a-t-il reconnu devant les délégations au premier jour du nouveau cycle de négociations. « Mais nous devons nous appliquer à cette tâche. Nous savons ce qui se passera si nous échouons de nouveau. Plus de morts, plus de souffrances, plus d’atrocités, plus de terrorisme, plus de réfugiés. »

Malheureusement, à peine ouvertes, ces négociations ont été déstabilisées par l’attaque dévastatrice de samedi 25 février contre deux bâtiments des services de sécurité gouvernementaux, à Homs, dans le centre du pays, qui a fait quarante-deux morts. « À chaque fois que nous avons des pourparlers, il y a toujours quelqu’un qui essaie de faire dérailler le processus et nous nous y attendions », a réagi Staffan de Mistura, tout en pressant « les parties opposées au terrorisme […] de ne pas permettre le succès de ces tentatives ».

Lundi, les discussions étaient toujours au point mort, les participants contestant les procédures édictées. L’opposition, elle, est très divisée et n’arrive pas à parler d’une seule voix. De son côté, la France, absente de ces négociations, entend poursuivre son soutien aux forces rebelles.

Selon une note détaillée de sept pages, rédigée par le Centre d’analyses, de prévision et de stratégie du Quai d’Orsay, et dont Le Figaro s’est fait l’écho le 22 février, la diplomatie française s’orienterait vers un financement de la « Syrie des marges », c’est-à-dire les ultimes bastions des opposants à Bachar el-Assad. Le rapport suggère de soutenir « les zones qui échappent au contrôle de Damas ».

Antoine Pasquier