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À la rencontre des chrétiens syriens (3ème partie)

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Dans les paroisses, la photo de Bachar al-Assad trône à côté de celle du Pape François.

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Cet après-midi, j’ai pourtant rendez-vous avec deux opposants. Deux prêtres dont le contact a été établi en France, par des Syriens exilés à Paris. Dès mon arrivée, le plus âgé pose les conditions de l’entretien : anonymat complet, et bien évidemment pas de photo. Puis il se livre « Si un grand nombre de chrétiens proclament publiquement leur fidélité au pouvoir, en privé, 30% de la communauté ne veulent plus de cette dictature. Mais ils préfèrent se taire. En Syrie, les opposants risquent leur vie. » Il qualifie Assad et son entourage de « clique de voleurs », et assure, que « seul son départ, et la nomination d’un président issu de la majorité sunnite apaiseront les rancœurs communautaires. Nous pourrons alors reconstruire le pays » …

« Mais ce ne sera pas facile », réplique le plus jeune, « car pendant plus de 40 ans, la famille Assad et sa minorité alaouite (*) ont protégé les chrétiens, dont ils avaient besoin pour juguler l’islam sunnite majoritaire. Leurs cheikhs nous désignent souvent comme des complices du pouvoir, et appellent à la vengeance …» Il s’arrête brusquement. Sous le prétexte d’examen médicaux à passer, il prend congé. Son collègue le suit. Quarante-six ans de dictature ont laissé dans les têtes des peurs aussi dévastatrices que celles provoquées par les atrocités de l’État islamique, depuis 2014. Il faudra du temps pour les effacer.

Dimanche 21 août

Si je m’en réfère aux propos tenus ce matin par un groupe de fidèles à la sortie de la messe, sur le parvis de la cathédrale melkite, la réconciliation entre les communautés chrétiennes et musulmanes reste une chimère. « Les musulmans ne nous aiment pas, et la convivialité est un leurre », dit un homme aux cheveux blancs. « L’islam nous méprise, réplique un autre, seuls nos patriarches et nos évêques, qui ont adopté, par stratégie, un discours apaisant, affirment le contraire. »

Et les jeunes musulmans, leur état d’esprit diffère-t-il ? « Ils sont pires, me rétorque l’homme aux cheveux blancs. Les anciens étaient au moins cultivés. » … « Les chrétiens émigrent, conclut une femme accompagnée de son petit-fils. Quand les patriarches parlent de l’importance de notre communauté dans la société syrienne, ils font fausse route. Les chrétiens ne pèsent rien ici. »

16 heures. Je me rends chez le P. Elias Nacouz. J’aime marcher avec cet étonnant personnage, qui déambule dans les rues de Damas en soutane noire malgré la canicule. « La soutane est bien vue, et les prêtres respectés en Syrie. Les gens sont croyants ici.  En 43 ans de sacerdoce, je n’ai rencontré qu’une seule personne, qui m’a avoué qu’il était athée. »

Né à Alep en 1944. Ordonné prêtre en 1973, le P. Elias Nacouz ne fait pas cent pas sans croiser une de ses connaissances. Il marche lentement, son poids le handicape, il parle, chante des cantiques sans se soucier des regards alentours. Un étonnant mélange de progressisme et de conservatisme.

Aujourd’hui, le P. Nacouz m’emmène au jardin des martyrs, à 300 mètres du Patriarcat.  Ce lieu rend hommage à tous les martyrs chrétiens, ceux du génocide de 1915, comme ceux tués dans la guerre civile actuelle. Une grande croix trône au centre de l’espace commémoratif : « Preuve que ce gouvernement n’est pas hostile aux chrétiens », commente le Père.

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Le P. Nacouz au jardin des martyrs chrétiens.
La croix du jardins des martyrs chrétiens à Damas.

Le P. Nacouz déplore les divisions de l’Eglise, « Satan, dit-t-il, est toujours à l’œuvre pour séparer les chrétiens. » Nous quittons la Via Recta, pour prendre une ruelle perpendiculaire, qui mène au patriarcat syriaque orthodoxe. Dans le salon d’honneur se tient une exposition sur le massacre des Syriaques par les Turcs en 1915. Les images sont insoutenables. Le Père regrette que ces commémorations attisent les haines. Nous continuons notre route. Dans une ruelle adjacente, nous tombons sur un temple évangélique où le Pasteur est en plein sermon. A l’entrée de la salle, des bibles sont à la disposition des passants. De beaux livres bien imprimés, avec une couverture cartonnée. « Ils ont des moyens.  Il parait que leur pasteur se rend aux États-Unis tous les mois », confie le P. Elias.

A l’hôpital Saint-Louis, en sortant de la vieille ville, une fidèle lui demande de venir prier autour de son mari hospitalisé. Il s’exécute : prière collective avec la participation du malade. Au service des consultations, il va saluer les docteurs. Tous ici lui donne du Abouna (mon père), « En Syrie, dit-il, les médecins ne se font pratiquement pas payer. Heureusement, car la direction de l’hôpital n’accepte plus les cartes de sécurité sociale de l’État, qui rembourse de plus en plus difficilement les soins. » Nous nous quittons au coin d’une ruelle. Il s’en va méditer à la maison d’Ananie. Je rentre seul au patriarcat.

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A l’hôpital Saint Louis, le P. Nacouz priant autour du lit d’un malade.

Grâce au P. Chihade Abboud, j’ai rendez-vous ce soir chez Nabil et Sandy Nahlé. L’appartement du jeune couple, situé au cœur de la vieille ville, a été pulvérisé par un obus, il y a quelques jours. « Nous venions juste de changer de pièce, explique Sandy, 23 ans, pour nous occuper de notre fille, quand  un engin explosif a totalement détruit notre balcon et le salon. » Nabil, son mari, 33 ans, un grand gaillard au sourire doux, montre les photos du drame sur son téléphone portable, « l’engin, dit-il, a été tiré par Daech, de la ville de Jobar, à trois kilomètres au nord-est de Damas.

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L’appartement des Nahlé juste après l’explosion ,en photo sur le portable de Nabil.

Les Nahlé veulent émigrer, probablement en Australie. « Nous voulions rester à Damas, près de nos familles. L’attentat nous a fait changer d’avis. Notre fille ne veut plus habiter ici. »

 

 

 

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Les Nahle, dans leur appartement trois jours après le drame.

Lundi 22 août

Ce matin dans le magnifique petit collège patriarcal, je prends le café avec les jeunes « pousses » de l’Eglise melkite. Le P. Bachar Laham, le P. Chihade Abboud, le P. Fadi Hamsi, et le P. Elias Debi y sont réunis. Le plus jeune a 28 ans, le plus âgé frise la quarantaine. Détendus, heureux, Ils rient, grillent une cigarette, se lancent des plaisanteries de collégiens. Une vraie bande de copains. Même l’arrivée de Mgr Nicola Antiba, l’évêque du Hauran (sud de la Syrie) ne les perturbe pas. Image d’une Eglise d’Orient incarnée, humaine, joyeuse et tellement vivante.

Les jeunes prêtres du patriarcat grec-catholique.
Les jeunes prêtres du patriarcat grec-catholique.

A midi, je me rends chez le P. Metri Haji Athanasiou. Né en 1937 à Damas dans le quartier de Bab Moussalat (la porte de la Prière), ordonné prêtre en 1963, auteur de 72 livres sur l’histoire du Patriarcat d’Antioche et de la Syrie chrétienne. En retraite, il vit dans une pièce, qui lui sert à la fois de bureau, de chambre-à-coucher, et de salle-à-manger.

Le P. Metri Athanasiou à sa table de travail.
Le P. Metri Athanasiou à sa table de travail.

Le prêtre, petit homme maigre au visage émacié me désigne une bibliothèque, où, dit-il, « le ménage n’a pas été fait depuis des années. » Il est entouré de livres, pour aller de la porte d’entrée jusqu’à sa table de travail, il faut se contorsionner. « J’ai demandé une pièce de plus. J’attends toujours ! » Des rayonnages de sa bibliothèque, il tire son ouvrage sur les églises de Damas, qu’il a co-écrit avec un médecin musulman. Il a encore en réserve, un manuscrit de douze volumes sur l’histoire de Damas, « Je n’ai plus les moyens de publier, et dans cette période de guerre, les gens n’achètent pas de livre. Ils ont d’autres besoins. » Amer, aigri, solitaire, le P. Athanasiou continue pourtant ses recherches. Souvent, des étudiants lui rendent visite pour se documenter, consulter ses ouvrages, introuvables dans le commerce. Signe que le P. Metri ne travaille pas pour rien.

Le Père Metri Athanasiou.
Le Père Metri Athanasiou.

L.B.

(*) Musulmans, les Alaouites appartiennent à une secte chiite hétérodoxe. Confession de la famille Assad, au pouvoir en Syrie depuis 1970.