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À la rencontre des chrétiens syriens

Source Le Blog de Luc Balbont

Ce jeune Syrien chrétien, grec-catholique, qui habite Damas ne comprend pas la politique de la France à l’égard de son pays : « Votre gouvernement n’aime pas la Syrie. Il préfère L’Arabie saoudite, qui lui achète des avions, mais finance les islamistes. » Le jeune homme compare les mérites des Assad, père et fils : « Le premier était militaire, le second diplomate. » Comme beaucoup de chrétiens syriens, le jeune homme a choisi son camp.

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Baha le chauffeur qui me conduit vers Damas, a 35 ans. Chrétien grec-catholique lui aussi, il a créé sa propre entreprise de taxi. Plusieurs fois par semaine, Il transporte des visiteurs qui, du Liban viennent en Syrie. Au tableau de bord de sa voiture, il a accroché un chapelet et une image de la Vierge. Chaque voyage lui rapporte environ 120 dollars (*1), plus d’un mois de salaire d’un employé syrien. Amoureux d’une jolie Damascène dont il me montre la photo sur son téléphone portable, il se sent bien dans son pays malgré la guerre. « Pourquoi irai-je à l’étranger pour être exploité, méprisé et loin des miens ? Je compte me marier bientôt, et faire ma vie en Syrie. »  Passé la frontière libanaise, il est chez lui. Aux nombreux points de contrôle, il offre des cigarettes et « autres cadeaux » aux soldats, qui semblent le connaître.

A peine 3h30 de route entre Beyrouth et Damas, malgré les nombreux contrôles de l’armée syrienne, une dizaine environ du poste frontière de Chtaura (Liban) à la capitale syrienne (60 km). A l’entrée du patriarcat, Gregorios III, le Patriarche grec-catholique, nous accueille.  A 82 ans passés, sa Béatitude respire la santé. A sa table, ce soir, deux humanitaires allemands. Grégoire passe, avec une facilité déconcertante, de l’arabe à l’allemand qu’il maîtrise couramment, et de l’allemand au français qu’il parle parfaitement. Fortement contesté par une partie de ses évêques, lors du synode de l’Église grecque-catholique, en juin dernier, Grégoire III, en vrai chef, résiste et ne rompt pas. Repas frugal. Demain c’est la fête de la dormition, l’Ascension des Églises d’Orient.

Lundi 15 août

Damas vit dans la terreur des attentats. Dans la ville, les contrôles sont nombreux. La voiture patriarcale y échappe. Mais ce matin, alors que le P. Elias Tabeth conduit le Patriarche vers les quartiers sud de la ville, un militaire fait du zèle. Il ordonne au prêtre de se garer et s’apprête à fouiller le véhicule. Elias se fâche : « Sais-tu que c’est le Patriarche qui est dans cette voiture ! Et que les ordres de la sécurité sont formels, passage libre pour sa Béatitude.” Le soldat insiste, le religieux hausse le ton : “ Donne-moi ton nom ! “ Le troufion cède. Nous finissons par passer. Ici, les chrétiens savent se faire respecter.

20 heures – Pour la fête de la Dormition, la messe, célébrée en rite byzantin par le Patriarche, était magnifique. La cathédrale melkite bondée. Une fanfare de scouts ouvre et ferme la cérémonie, mais j’ai ressenti une émotion plus forte cet après-midi dans le regard si triste de Souad, une jeune veuve de 33 ans, qui vit dans le quartier populaire de Kachkour avec ses deux jeunes garçons, ou dans le sourire de la petite Sarah, 10 ans, qui dort le soir dans une minuscule pièce, avec Mouna, sa mère et ses trois frères et sœurs. Mouna, 44 ans, est sans emploi. Elle vit seule avec ses enfants. « Son mari a pris la route », confie le P. Imad Chalach qui m’accompagne pour cette visite. Femme de ménage, Souad gagne l’équivalent de 50 dollars (40 euros environ) par mois. Sans l’aide de l’Eglise melkite, les deux familles ne pourraient même pas survivre.

Mardi 16 août

Visite à pied dans la vieille ville. Avec le P. Elias Tabeth, nous longeons les remparts de Damas, pour tomber à 300 mètres du patriarcat melkite, sur le sanctuaire de Saint-Paul. Damas est très imprégné par la figure de l’Apôtre. Responsable du lieu, Sœur Odile Samaha, 78 ans, de la Congrégation des Basiliennes Alépines, explique que le fameux chemin de Damas, où Saul de Tarse s’est converti, passait par cet endroit. Avant la guerre, le ministère du Tourisme exploitait la filière. Aujourd’hui, les touristes ne viennent plus et “ les chrétiens partent. Ils craignent la montée de l’islam radical,”   s’inquiéte Soeur Odile, qui finit pourtant par concéder que les nouvelles générations de musulmans lui paraissent “ plus ouvertes.” A ses côtés, le P. Elias espère que le danger Daech parvienne à fédérer chrétiens et musulmans dans un front commun.”  Un espoir tout de même mesuré.

Dans la vieille ville de Damas, les églises se succèdent. En une heure nous tombons sur la cathédrale arménienne catholique, puis par des ruelles étroites très orientales, nous arrivons à la maison d’Ananie, le Damascène qui baptisa Paul. Suivent l’église syriaque catholique, le patriarcat grec-orthodoxe, l’évêché syriaque orthodoxe, une église latine, la cathédrale maronite et même un temple évangélique. La capitale syrienne voit pourtant ses chrétiens émigrer. Certains craignent même l’extinction totale. « Si c’était le cas, il resterait au moins les pierres, mais sans les hommes pour les faire vivre, les pierres deviennent des ruines », se désole le P. Elias. Au couvent franciscain de Bab Touma, frère Rimun, le père abbé soupire : « si les chrétiens partaient, la Syrie ressemblerait à l’Afghanistan. »