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Égypte : Le Cardinal Naguib n'est pas favorable à un parti politique chrétien

Dans cet entretien à ZENIT le patriarche parle de la situation actuelle et explique son opinion personnelle et celle de l‘Église face aux questions qui interpellent en ce moment la vie de la nation.

ZENIT : Comment analysez-vous la situation actuelle de l’Égypte?

Card. Antonios Naguib – La situation de l’Égypte, à l’état actuel, manque de clarté. D’après les résultats du référendum, le « oui » à une réforme constitutionnelle l’a emporté avec 77,2% des voix. Toutes les forces politiques se préparent maintenant aux prochaines élections parlementaires et présidentielles, sur la base d’un premier texte constitutionnel qui sera présenté par le Conseil suprême des forces armées.

Après les élections, sera constituée une Commission qui préparera la nouvelle constitution de la nation : Voilà pour la situation au plan politique. Au plan de la vie intérieure du pays, nous apprécions beaucoup le travail jusqu’ici accompli par le Conseil suprême des forces armées et par le gouvernement de transition qui ont pris en main la situation dans cette phase de transition.

Néanmoins, il est clair pour tout le monde que la situation que traverse la nation au plan économique et administratif est délicate. Nous espérons donc en un passage rapide vers la stabilité, le travail, la productivité et la sécurité.

L’Église a-t-elle entrepris des initiatives pour sensibiliser davantage sur le rôle politique et culturel que les chrétiens peuvent jouer en Égypte?

Oui, il y a beaucoup d’initiatives dans tant d’églises pour accroitre la conscience culturelle et politique chez les chrétiens d’Égypte, et ceci dans toutes les églises et dans tant de paroisses et institutions de l’Église, afin d’encourager les chrétiens à exercer leur rôle national, pour le bien de notre bien aimée nation. On l’a vu au moment du retrait des cartes électorales, et à leur participation active au dernier référendum.

A noter néanmoins que l’Église est une institution religieuse et qu’elle n’exerce donc aucune tache politique. Mais les chrétiens, qui sont aussi des citoyens, participent à la vie sociale et collaborent avec les autres à la construction de leur pays. L’Église a rejeté l’idée de constituer des partis politiques chrétiens.

Pouvez-vous nous dire pourquoi?

L’Église catholique n’est pas favorable à l’institution de partis à fond religieux, mais fait plutôt appel aux chrétiens pour qu’ils participent à la vie politique en tant que citoyens.

Elle les invite à rejoindre les partis où les principes et les programmes garantissent les valeurs humaines, morales et nationales, les droits intégraux de l’homme, y compris la liberté religieuse, ou bien la liberté de culte et le droit à pouvoir choisir sa propre religion. L’institution de partis à fond religieux crée une confusion entre ce qui est religieux et ce qui est politique, entre ce qui est absolu et ce qui est relatif. Ceci n’aiderait ni la religion, ni la politique, conduisant inéluctablement à une politisation de la religion et à une instrumentalisation religieuse de la politique.

Ce qui importe réellement c’est que chaque citoyen, chrétien ou musulman, fasse son devoir de manière positive, dans un engagement national et libre. Un engagement qui vient de sa conscience personnelle et de ses propres convictions, pour le bien commun.

Existe-t-il vraiment une contre-révolution?

Je ne puis affirmer avec certitude qu’il y ait une contre-révolution. Je préfère parler de « mouvement de changement » plutôt que de « révolution ». Mais je pense que chaque pensée, chaque comportement et tout acte en contradiction avec les principes et les objectifs qui ont engendré ce mouvement de changement peut être considéré une contre-révolution, indépendamment de celui qui déclenche tel comportement ou telle pensée. Le mouvement de changement est né pour la justice sociale, pour la liberté, pour l’élimination de la corruption, et pour instituer un État égyptien moderne et démocratique, pour la sécurité nationale égyptienne, pour réformer les études, l’économie et autres secteurs de la vie nationale. Si bien que toute initiative allant contre ces principes et valeurs, va de fait contre le mouvement, et peut être considérée comme une contre-révolution. Les Frères musulmans ont eu une initiative positive en rencontrant un groupe de jeunes chrétiens comme signe de l’unité du pays et en répondant à différentes questions que se posaient les chrétiens concernant leurs principes.

Quel est votre avis à ce propos?

De manière générale, l’Église accueille chaleureusement toute ouverture au dialogue et n’exclut personne. Chaque homme a le droit d’instaurer un dialogue avec un autre homme, et a le droit de lui exprimer sa propre option et d’expliquer sa propre vision. L’Église est ouverte à tous les courants intellectuels, politiques et sociaux présents dans la société. D’un côté elle écoute, de l’autre elle regarde ce qui est fait. L’homme est un ennemi de ce qu’il ignore, il est donc fondamental de bien se connaître mutuellement. Nous souhaitons un dialogue social élargi entre toutes les parties et toutes les composantes politiques, culturelles et sociales en Égypte, pour qu’il y a ait une discussion commune sur les questions de notre société, une meilleure vision et un style plus approprié capable de susciter le développement et le progrès de notre nation, de remodeler l’Égypte sur la base d’une juste démocratie.

En tant que membre du Conseil pontifical pour la pastoral des migrants et des personnes en déplacement, êtes-vous favorable au mouvement des peuples d’un pays à l’autre, en quête dune vie meilleure?

La liberté de se déplacer pour rechercher une vie meilleure est un des droits de l’homme, réglementé et protégé par les constitutions internationales pour les droits de l’homme, et l’Église l’accueille sans hésitation.

Mais l’Eglise veut toujours attirer l’attention de ses fils sur la nécessité d’étudier la question des déplacements et des migrations, pour en connaître les effets positifs et négatifs, afin que les migrants ne rencontrent pas de difficultés dans les pays vers lesquels ils émigrent, et n’étant pas préparés, finissent dans des situations en rien enviables.

L’Église invite ses fils à penser également à fond au sens de leur présence dans leurs pays d’origine, et à la signification spirituelle de la persévérance dans leurs pays, car rester dans leurs nations est mieux pour eux et pour leurs nations.

Avez-vous l’intention de tenir une conférence de presse officielle pour clarifier les orientations de l’Église catholique en cette phase importante de l’histoire de l’Égypte?

L’idée est bonne et peut être examinée attentivement. Mais je pense qu’il faut patienter un peu afin que la perspective sur la situation actuelle soit plus claire.

Nous pensons qu’il y a des situations qui nécessitent des éclaircissements. Et l’Église exprime son opinion en publiant, de temps en temps et quand il le faut, des déclarations publiques. Pour le moment, nous invitons à privilégier l’intérêt national par rapport aux intérêts privés, et ceci s’applique à tous les partis et à toutes les orientations politiques, culturelles, sociales et religieuses. L’Égypte traverse une période très délicate et exige de chaque citoyen, qui se sent un citoyen authentique, qu’il ait devant les yeux le bien commun, qu’il pense à comment veiller sur l’Égypte et à comment l’aider à sortir de cette situation de transition la tête haute, et plus forte qu’avant. Nous devons centrer notre attention sur les questions urgentes et sensibles comme : la réforme des études, la réforme de l’économie, la sécurité nationale de l’Égypte, les eaux de l’Égypte, les relations entre l’Égypte et les pays arabes et les pays non arabes, son rôle de pionnier au plan historique et culturel, l’attention au citoyen qui a sacrifié pendant longtemps sa liberté d’expression, la liberté de religion et de conscience, la paix et la tranquillité de l’avenir, les droits sanitaires, le droit au travail et une vie digne, le droit à un avenir pour les personnes et leurs enfants.

Tout cela doit être d’actualité pour chaque citoyen et pour chaque nationaliste, membre d’un parti ou pas, qu’il soit chrétien ou musulman.

Notre appartenance nationale doit, dans cette phase, passer avant toute autre appartenance, car l’Égypte a besoin de fils fidèles.

Propos recueillis par Marie Al-Sameen

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