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Ensemble, construisons la société !

Né au Caire en 1938, le Père Samir Khalil Samir est un spécialiste reconnu du dialogue islamo-chrétien, professeur à l’Institut Pontifical Oriental (Rome). Ce jésuite, auteur d’une  soixantaine d’ouvrages et de plus de 1000 articles, a fondé, à Beyrouth, le Centre de Documentation et de Recherches Arabes Chrétiennes (Cedrac) qui se consacre à l’étude du patrimoine arabe des chrétiens et fête son jubilé (25 ans) ! Catherine Baumont, directrice de la communication de l’Œuvre d’Orient, l’a rencontré lors de son passage à Paris pour donner une série de cours au Centre Sèvres en décembre dernier.

 


Vous avez largement participé à la préparation du Synode des Evêques pour le Moyen-Orient (Rome, octobre 2010) et à son compte-rendu au Saint-Père. Que pensez-vous de l’évolution du Moyen-Orient depuis un an ?

P. Samir Khalil Samir : Le printemps arabe rejoint les grandes lignes du Synode. Tout ce qu’on demande c’est la pleine citoyenneté et non pas des privilèges pour les chrétiens. Les musulmans nous répètent que l’Islam est une religion de tolérance, nous répondons : c’est peut-être vrai, mais nous ne voulons pas être tolérés, mais être citoyens.

Nous disons : « Ensemble, musulmans, chrétiens, non croyants, construisons notre monde arabe ! On est tous dans la même situation, on reconstruit ensemble notre société ». Ce discours est bien accueilli par les musulmans.

Au Liban, il y a une véritable convivialité, mais on dépend trop des autres pays dont le pivot est la Syrie et l’Iran (qui passe par la Syrie).

 

Comprenez-vous les craintes des chrétiens de Syrie ?

P. Samir Khalil Samir : Je suis un peu déçu par la réaction des évêques et en même temps je les comprends. Le régime autocrate garantit la sécurité des chrétiens. Pourvu qu’ils ne fassent pas de politique, il n’y a pas de problème. Si on enlève le régime, qui viendra ? On choisit le moindre mal et en même temps on ne peut pas soutenir un régime qui réprime tant les libertés.

Il y a un espoir tellement risqué. On ne sait pas quelle sera l’issue.

Au Liban, le patriarche a essayé de rassembler tout le monde, mais il n’a pas réussi.

 

Les coptes sont-ils menacés ?

P. Samir Khalil Samir : En Égypte, on sait qu’on passera par une phase islamiste et on espère que les salafistes ne seront pas au gouvernement. Les Frères musulmans veulent se démarquer et montrer qu’ils sont modérés. Peut-être s’allieront-ils avec un parti modéré ou libéral.

Que feront les Frères musulmans au gouvernement ? Vont-ils trouver une façon de gérer le pays ? C’est un vrai défi. Ont-ils les moyens humains, une vision, un programme ? On le saura le jour où ils prendront le pouvoir. S’ils réussissent à s’entendre avec le parti libéral et à s’éloigner du radicalisme, cela peut donner quelque chose de positif. Il ne suffira plus de répéter « L’Islam est la solution ! », il faudra le prouver par les faits.

 

Mettre en lumière la contribution des chrétiens à la civilisation arabe est une mission qui vous tient particulièrement à cœur et pour laquelle vous avez créé le CEDRAC il y a 25 ans. Quels sont vos projets aujourd’hui ?

P. Samir Khalil Samir : Mes activités à Rome m’avaient obligé à prendre un peu de distance avec Beyrouth et donc avec le CEDRAC, mais maintenant il y a urgence à le relancer.

Nous avons une grande richesse de documents arabes et de contributions que je souhaiterais partager avec tous ceux qui s’intéressent à la culture. Nous avons besoin aussi du soutien des chercheurs du monde entier.

Par ailleurs, les trésors de manuscrits, par dizaines de milliers, dorment dans les bibliothèques ; des milliers de textes et d’études ont été publiés de par le monde, mais sont inaccessibles aux chercheurs du monde arabe. Il faudrait tout  numériser, pour les mettre à la portée du plus grand nombre. Des universités y sont intéressées : en Europe, au Canada, aux Etats-Unis. Nous multiplions les contacts pour trouver les financements nécessaires.

Cette année académique 2011-2012 est un cap difficile, car nous avons besoin de 40 à 50 000 € pour couvrir les frais de fonctionnement même réduits au minimum. Quoiqu’il en soit, j’ai bon espoir que nous réussirons à relever le défi, et à poursuivre le travail du CEDRAC, qui est un service culturel universel, car il s’agit d’un patrimoine de l’humanité jusqu’ici négligé.