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Entretien avec le patriarche Fouad TWAL : "Chrétiens à contre-courant"

 

« L’urgence majeure, c’est de corriger le discours religieux de tant d’imams qui, de leurs mosquées, appellent à la violence contre les non-musulmans. Ensuite, il faut modifier les Constitutions de certains pays qui ne reconnaissent pas aux chrétiens les mêmes droits qu’à tous les autres citoyens ».

En attendant, le Moyen-Orient est en train de se vider de ses chrétiens, qui continuent à émigrer.

Nous chrétiens, nous sommes un peu gâtés : au premier risque, nous sommes prêts à faire nos valises parce que nous savons que nous trouverons un accueil dans les pays occidentaux. Et un fait certain nous y encourage – le fait que d’autres chrétiens soient parvenus à une réussite économique dans la diaspora. Mais je le répète, si cette terre du Moyen-Orient nous est vraiment chère, elle doit l’être pour le meilleur et pour le pire.

Comment voyez-vous, de Jérusalem, le conflit interne des musulmans qui déchire le Moyen-Orient ?

C’est une grande douleur. Nous sommes préoccupés, dramatiquement, par la menace américaine de bombarder la Syrie. Les évêques syriens soulignent tous que la persécutions des chrétiens par les rebelles est un fait objectif. Mais à cette douleur vient s’en ajouter pour moi une autre. Le centre de l’attention s’est déplacé. Personne ne parle plus de l’occupation militaire israélienne, du mur, du manque de liberté pour l’accès aux Lieux Saints. Et pourtant, ce n’est pas que notre situation se soit améliorée. Tout simplement, d’exceptionnelle qu’elle était, elle s’est banalisée.

Ces derniers mois, le secrétaire d’État américain a tenté de relancer les colloques pour la paix. Mais sur quoi veut-on fonder ce dialogue et une éventuelle entente ?

J’ai rencontré récemment le roi Abdullah, et il était optimiste. Il estime que si l’on ne parvient pas à un accord pendant le mandat d’Obama, on n’y parviendra jamais plus. Je voudrais réaffirmer toutefois que le dialogue n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour amorcer une solution.

La solution des deux États, que le Saint-Siège a toujours soutenue, semble être devenue impossible du fait des nouvelles implantations israéliennes. D’aucuns proposent de ce fait plutôt un seul État. Qu’en pensez-vous ? 

Je ne dirais pas que l’hypothèses des deux États soit dépassée. Nous disons à Israël : si vous voulez deux États, donnez l’espace nécessaire pour le faire. Sinon, faisons un État unique, démocratique. Certes, avec le risque que, d’ici quelques années, le président soit un Palestinien. Mais j’ai l’impression que le gouvernement israélien préfère gérer le conflit plutôt que le résoudre.

La situation en Syrie peut-elle faire exploser cette « gestion » d’Israël ?

Les Israéliens ont peur d’Assad, mais ils ont encore plus peur de ce qui va venir après lui. J’en suis certain.

Quels scénarios imaginez-vous pour la Syrie ?

C’est une illusion de penser que le programme américain d’attaques ciblées puisse fonctionner de façon chirurgicale. La guerre donnera plus de force aux mercenaires djihadistes et salafistes. Je réaffirme donc mon « non à la guerre », mais « oui » à une solution politique. Dans les pays arabes, ce qui fait tomber un gouvernement, ce ne sont pas d’habitude les rebelles, mais l’armée. Jusqu’à présent, il y a eu 100 000 morts, sans compter les milliers de réfugiés, pour changer un chef qui est encore en bonne santé. Jérusalem reste toujours le cœur de la situation et de l’Histoire. La Jérusalem que je connais est à présent une Jérusalem qui unit tous les croyants du monde et dans le même temps les divise. C’est une ville de contradiction. Mais la paix, mon successeur la verra peut-être. Pas moi.

Source : Patriarcat latin de Jérusalem