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Être des artisans de paix au Proche-Orient

Une interview réalisée par Pierre-Louis Lensel pour Paris Notre-Dame

P.N.-D. : Quelle a été votre réaction en apprenant l’attentat du 19 octobre à Beyrouth ?

Mgr Pascal Gollnisch : C’est un événement tragique. Le voyage du pape en septembre au Liban a été un moment d’unité nationale et on pouvait espérer que le signal donné par Benoît XVI soit vraiment reçu pour aller vers plus de concorde et de respect mutuel. Mais malheureusement, ce type de violence n’est pas surprenant : nous craignons depuis le début les conséquences du conflit syrien au Liban. Si, aujourd’hui, on ne sait pas encore exactement qui est l’auteur de cet attentat, on peut supposer que c’est lié à la guerre voisine.

Cet événement est d’autant plus terrible qu’il y a un équilibre au Liban entre les communautés chiite, sunnite, druze et chrétienne. Cet équilibre – précaire mais bien réel – doit être préservé, c’est essentiel ! C’est pourquoi tous ceux qui peuvent agir ont à s’impliquer pour préserver la paix. Je pense aux composantes internes au pays, à l’appareil institutionnel – avec le Président de la République, le Premier ministre, l’armée – , mais aussi aux acteurs religieux. Un embrasement du Liban serait absolument tragique. Il faut rappeler que c’est le seul pays de la région où il y a une véritable coexistence entre les religions.

P.N.-D. : Vous rappeliez que cet attentat intervient seulement quelques semaines après le voyage de Benoît XVI au Liban. Est-ce à dire que son message de paix n’est qu’un vœu pieux ?

P. G. : Non, je pense que c’est beaucoup plus qu’un vœu pieux. Avec ce message, Benoît XVI a voulu initier un long processus. Cela demande du temps. Par exemple, l’envoi d’une délégation de responsables catholiques en Syrie cette semaine pour faire entendre un message de paix n’est possible que parce que le Saint-Père est venu au Liban. Mais, de même qu’il y a des forces de paix, il y a des forces de guerre ; de même qu’il y a des forces de respect, il y a des forces de mépris. C’est par des gestes forts, par des pas les uns vers les autres, que l’on peut être artisan de paix.

P.N.-D. : Quel serait le rôle de la délégation envoyée par Benoît XVI en Syrie ?

P. G. – Ce pays est confronté à une situation de blocage tant militaire, diplomatique que politique. Face à cela, il y a une place pour un message spirituel qu’on aurait tort de mésestimer. C’est une parole qui peut être plus entendue qu’on ne le pense et qui a vocation à être relayée par d’autres communautés que les catholiques.
Il s’agirait d’abord de dire que la seule solution pour la Syrie semble être un arrêt véritable et immédiat des combats. Il y a des milliers de personnes tuées, blessées, torturées, emprisonnées, sommairement exécutées… et je crois qu’en profondeur, le peuple syrien réclame l’arrêt de tout ça ! Dans ce contexte, les membres de la délégation auraient pour aspiration d’être des artisans de paix, dans la continuité du message adressé par Benoît XVI au Liban le mois dernier.
Quand on dit : « Il faut arrêter les combats ! », certains pensent que c’est une parole molle ou hésitante. Je crois au contraire que c’est très fort.

P.N.-D. : L’objectif de cette délégation serait-il aussi de protéger plus spécifiquement les chrétiens ?

P.G.– Il y a une volonté d’agir pour l’ensemble de la population.
On ne peut pas travailler à la paix pour les uns indépendamment de la paix pour tous. Les
chrétiens ne sont pas partie prenante au conflit en tant que tels :
c’est avant tout un affrontement entre les sunnites et les alaouites,
entre des rebelles et un régime considéré par certains comme dictatorial. S’il y a des  chrétiens des deux côtés, il y en a surtout qui n’ont pas envie de ce conflit.
En revanche, l’exemple irakien a montré qu’en cas d’effondrement des structures centrales, il y a un risque que la justice et la sécurité disparaissent, particulièrement
pour les chrétiens.

P. N.-D. : Que peuvent faire les catholiques de France pour soutenir les chrétiens orientaux ?

P.G. : Il s’agit de cultiver le dialogue « naturel » qui existe entre eux et nous. Mais cela passe aussi par un devoir de nous informer sur ce qu’ils vivent et sur qui ils sont. Il faut notamment avoir à l’esprit qu’ils sont au Proche Orient depuis la Pentecôte.
Leurs traditions spirituelles, nourries des Pères de l’Église, constituent une richesse exceptionnelle. Ils sont nos frères !
Notre rôle peut être de faire entendre leur parole dans les cadres français et international.
C’est ce que nous faisons par exemple auprès de l’Union européenne ou de l’ONU. Sur ce
point, on peut avoir à l’esprit que les autres communautés religieuses de la région sont soutenues par ailleurs : les orthodoxes par le monde orthodoxe, les sunnites par les grands pays sunnites, les chiites par l’Iran notamment.
Les catholiques ont besoin d’avoir, eux aussi, un appui.

Les liens entre les diocèses de France et les chrétiens d’Orient sont innombrables.
Beaucoup de religieux du Moyen-Orient ont une culture française et ont été formés par des Français. Pour eux, notre pays est un ami proche voire une seconde patrie. Nous avons une histoire commune et nous nous connaissons bien.
Ainsi, de manière assez naturelle, l’Église de France  témoigne d’une réelle proximité avec les chrétiens orientaux. Toutes les semaines, des évêques du Moyen-Orient se rendent à Paris. Ils viennent rencontrer des amis et recherchent un soutien. On ne mesure pas toujours qu’il y a une vraie attente vis-à-vis de nous.