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[FRANCE] Avec les chaldéens d’Arnouville, s’intégrer sans oublier

Les chaldéens vivant en diaspora sont désormais plus nombreux que ceux sur leurs terres d’origine. Le Val d’Oise accueille la communauté la plus importante d’Europe, à Sarcelles et à Arnouville.

« Que de villages pillés, incendiés et dont les habitants ont été massacrés ; il n’en reste plus que le nom, tout ayant disparu » écrit en 1860, le prêtre chaldéen François Daoud, en Turquie. Les assyro-chaldéens sont déjà pris en étau entre les Ottomans et les Kurdes, une poignée d’entre eux se réfugient en France. S’ensuivront le génocide de 1915, le conflit entre le PKK et les Turcs en 1984, la guerre Iran-Irak entre 80 et 88, la 1ère guerre du Golfe en 1991, l’invasion américaine en 2003, et enfin l’invasion de Daech en 2014. Sur leur terre d’origine, l’ancienne Babylone, ils sont aujourd’hui moins nombreux que ceux en exil.

Une communauté dynamique

« Est-ce que l’on se rend compte de ce que signifie pour un peuple entier de quitter sa terre ? » interroge l’air grave, le père Narsay Soleil, vicaire des paroisses chaldéennes du Val d’Oise. Comme la majorité des chaldéens de France, sa famille est originaire du sud-est de la Turquie, et comme nombre d’entre eux est arrivée à Sarcelles en 1984. On estime à près de 15 000 le nombre de chaldéens dans le Val d’Oise, ce qui en fait la plus grande communauté en Europe.
À Arnouville, depuis que la nouvelle église a été inaugurée en 2016, les trois célébrations du dimanche ne désemplissent, avec près de 1200 paroissiens fidèles au rendez-vous. En semaine, hors pandémie, à la messe de 10h l’église est pleine. « C’est un grand paradoxe : on a été chassé de nos terres, on nous a mis sur les routes, on a tout perdu, mais ici on a tout, on est heureux, on garde ce lien entre nous et surtout avec l’église. On nous a donné une chance, on l’a prise » ajoute le père Narsay. Est-ce d’avoir traversé les grandes tragédies du siècle dernier qui donnent aux chaldéens cette foi ancrée, héréditaire, évidente et profonde ? Ou est-ce au contraire cette foi qui leur a permis de surmonter les déchirures de l’exil et les défis de l’adaptation ?

Trouver ses marques

Hurmiya se souvient parfaitement de son arrivée en France, le 1er janvier 1984. « En Turquie, le village se vidait petit à petit, nous nous sentions menacés. D’autant que la sœur de mon beau-frère avait été kidnappée par les Turcs. Cela a été un évènement traumatisant pour notre famille. » Les 7 membres de sa famille se sont installés dans le F5 de son oncle à Sarcelles, lui-même père de 4 enfants. « À 12, on était un peu entassé ! en Turquie nous n’avions pas l’habitude de dépendre des autres ». Pourtant, ce qu’a retenu Hurmiya de ses débuts en France, c’est le réseau de solidarité qui s’est tissé autour d’eux : le père Pierre qui les a tant aidés, la directrice de l’école qui les accompagnait dans toutes leurs démarches, le voisin chinois qui bricolait pour eux. Et ceux du village qui étaient arrivés avant.
La réalité est autre pour les nouveaux arrivants irakiens, traumatisés par la barbarie de Daesh qui s’est abattu sur leur pays. L’intégration semble plus complexe. Il ne s’agit peut-être que d’une question de temps, les chaldéens turcs se sentant désormais pleinement français, préférant mettre un voile sur la difficulté des premières années. Georges, son épouse et ses 6 enfants, après une vie de fuite à l’intérieur de l’Irak, l’ont définitivement quitté en 2015. « Les 2 premières années ont été très dures, seule l’Église (chaldéenne, ndlr) nous a aidé. Quand je demandais mon chemin en anglais dans la rue, personne ne me répondait. » Il est reconnaissant envers le service aux personnes réfugiées de l’Œuvre d’Orient de lui avoir permis d’apprendre le français rapidement et gratuitement. Même si son français est aujourd’hui assez bon, il ne l’est pas assez pour reprendre son métier d’ingénieur pétrolier. Il fait des repassages, décharge des camions à Roissy. Le père Narsay souligne que « les chaldéens venus de Turquie se sont tous retrouvés au même endroit, tandis que les Irakiens sont dispersés, aux quatre coins du monde et de France. Le lien de solidarité a été moindre et surtout comment réunir la famille ? »

Notre langue est notre patrie

Entre eux, qu’ils viennent de Turquie ou d’Irak, ils parlent le soureth. Pour Georges, garder cette langue est aussi essentiel pour des raisons pragmatiques : c’est la langue commune entre cousins dispersés entre Suède, USA ou Australie. « Cette langue est notre patrie ». Qu’ils soient irakiens ou turcs, il est une nostalgie sur laquelle tous s’accordent. Celle de leurs terres bien sûr, mais plus encore, celle des grandes fêtes religieuses qui les réunissaient tous, ces repas partagés. « Si tous s’accordent à dire qu’ils vivent mieux ici et ont beaucoup de gratitude envers la France, pour beaucoup d’anciens, une société où l’individu prime sur la communauté reste difficile à concevoir. » constate le père Soleil. Il n’en reste pas moins que les chaldéens parviennent à tenir ce difficile équilibre : s’intégrer sans oublier qui l’on est et d’où l’on vient.
Eglantine Gabaix-Hialé
Crédits photos : Guillaume Poli

Reportage paru dans le dernier numéro du Bulletin. Pour vous abonner à notre revue trimestrielle, le Bulletin de L’Œuvre d’Orient, publiée depuis 1857 et entièrement dédiée à l’histoire et l’actualité des chrétiens d’Orient, cliquez-ici.