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France: le vibrant hommage aux chrétiens d'Orient à l'IMA

Source Terra Santa

Résumer une histoire bimillénaire et plurielle. C’est le pari qu’a voulu relever Jack Lang, le Président de l’Institut du Monde Arabe (IMA) à travers l’exposition « Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire ». Dont le coup d’envoi a eu lieu hier mardi 26 septembre 2017 à Paris en France. Pour son 30e anniversaire, l’IMA peut se targuer d’avoir organisé la première exposition générale sur ce thème en Europe. L’exposition ambitionne de présenter « le christianisme oriental sous toutes ses facettes : historique, cultuelle, culturelle » comme le souligne Jack Lang mais aussi de « rappeler que le très vieux peuple des Arabes chrétiens fut l’un des acteurs de la modernité de cet oublieux berceau au sein duquel il peine aujourd’hui à conserver sa place. » Un regard dense, sensible et renouvelé sur la région et sur les 20 millions de chrétiens (majoritairement orthodoxes et catholiques) qui l’habitent. L’exposition se tiendra également au musée des beaux-arts de Tourcoing, du 17 février au 5 juin 2018. A noter que le site Bibliothèques d’Orient sera présenté à Paris comme dans le Nord. Lancé  le 12 septembre dernier par la Bibliothèque nationale de France, il donne accès à près de 7000 documents patrimoniaux d’exception.

D’une ampleur inédite, cette exposition est organisée avec un partenaire de choix sans qui elle n’aurait vu le jour. A savoir, l’Œuvre d’Orient. Dirigée par Mgr Pascal Gollnisch, cette association catholique française placée sous la protection de l’Archevêque de Paris est dédiée au soutien des chrétiens d’Orient depuis 1856. Elle articule prioritairement son action autour de l’éducation, de l’aide sociale et de l’action culturelle et de la vie des diocèses (bourses d’études, formations, bibliothèques, traduction de livres…). Le réseau et l’expertise apportés par l’Œuvre d’Orient pour contacter les institutions locales, les Eglises et des particuliers susceptibles de prêter leurs objets ont largement aidé à la préparation et au montage de l’exposition. La Custodie franciscaine de Terre Sainte avait été, de son côté, sollicitée par l’organisation catholique sur la thématique de Jérusalem.

A l’ombre de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l’exposition invite à un voyage entre Nil et Euphrate. Pour traverser les courants de l’histoire non pas seulement religieuse mais aussi politique, culturelle, sociale des chrétiens d’Egypte, Jordanie, Irak, Liban, Syrie et Terre Sainte. L’exposition débute avec l’apparition du christianisme jusqu’au développement du monachisme, puis à la formation des Eglises grecque, copte, assyro-chaldéenne, syriaque, arménienne, maronite, et latine sur fond de débats théologiques fondateurs et de shiismes. Après l’apparition de l’Islam, les chrétiens arabisés continuent à jouer un rôle majeur dans la vie administrative, sociale et intellectuelle sous les différents califats et dans l’Empire Ottoman (1453-1923). Au XIXe siècle, apparaît un nationalisme qui éveille les consciences à l’appartenance au monde arabe pour laquelle les chrétiens ont activement participé. On voit aussi que les chrétiens d’Orient sont les fervents défenseurs d’une culture arabe à l’origine notamment de la Nahda, la renaissance arabe moderne initiée par des intellectuels prônant la laïcité au XIXème siècle. L’époque moderne est marquée par les missions catholiques et protestantes venues d’Europe. Aussi, au terme de cette exploration historique, l’exposition donne à travers des témoignages, films et photos la parole aux Chrétiens d’Orient d’aujourd’hui qui luttent pour la préservation de leur patrimoine et pour leur place dans le monde arabe. Avec toujours cette lancinante question : partir ou rester ? A ce titre, on peut citer « a blessed mariage » (Le Caire 2015), un tirage de six photos du copte Roger Anis et de son épouse Karoline. En échangeant des petits mots entre eux avant leur mariage aux photographies de la cérémonie el jour J, ce projet personnel introduit les questionnements d’un jeune couple, les peurs, les rêves et le poids des traditions. « Se marier en Egypte est très compliqué, cela implique beaucoup de choses d’un point de vue traditionnel, religieux et économique » signe l’artiste.

Plus de 300 trésors d’Eglise

Conçue par Raphaëlle Ziadé, responsable du département byzantin du Petit-Palais, et Elodie Bouffard, chargée de collections à l’IMA, l’exposition déploie plus de 300 œuvres, véritables trésors d’Eglise qui s’offrent au visiteur dans une noble sobriété. A travers ces chefs-d’œuvre, on peut voir à quel point le patrimoine des Chrétiens d’Orient est un monde riche en images. Et c’est sans compter que l’histoire du Monde Arabe a alterné périodes de persécutions et temps plus propices aux échanges, influences et emprunts entre communautés chrétiennes et musulmanes. Certaines œuvres témoignent de ce dialogue, comme une bouteille décorée de scènes monastiques à la manière islamique (Syrie, XIIIe siècle).

Il aura fallu en tout deux ans et demi pour rassembler les pièces de l’exposition (manuscrits, tissus et objets liturgiques, fresques et mosaïques, icônes toujours vénérées, souvenirs de familles diplomatiques…) Entre autres, les Evangiles de Rabula, un célèbre manuscrit enluminé syriaque du VIe siècle conservé à Florence (Italie), et les premiers dessins chrétiens connus au monde, de Doura-Europos en Syrie, datant de 232. Ces fresques ont été prêtées par l’université de Yale (Connecticut) et nous font toucher les tout débuts du christianisme. Unique. Emouvant. Religieux.

En outre, certaines pièces sont présentées en Europe pour la première fois. Comme par exemple une fresque médiévale de la Vierge à l’enfant en provenance du Liban et datant du XIIIe siècle.

Le Terra Sancta Museum de la Custodie de Terre Sainte a notamment prêté le Firman ottoman de Soliman I expulsant les Franciscains du cénacle en 1500 à l’encre et l’or sur feuille de papier en rouleau, une Maquette en bois du Saint-Sépulcre datant du XVIIIe siècle. La photo d’Ibrahim al-Toual (Twal), de la tribu chrétienne des Azeizat de Madaba prise en 1905 et grand-oncle du patriarche latin émérite de Jérusalem Mgr Fouad Twal, a été prêtée par l’Ecole biblique d’archéologie française de Jérusalem. Mais ont également – ils sont trop nombreux pour être cités – été prêteurs, l’Institut Archéologique Franciscain du Mont Nébo en Jordanie, le Patriarcat Arménien de Jérusalem, la Dvir Gallery de Tel Aviv en Israël, la Collection George al-Ama de Bethléem, ou encore le Couvent syriaque catholique de Charfet à Harissa au Liban…

Par ses liens privilégiés avec la grande majorité des communautés chrétiennes orientales locales, l’Œuvre d’Orient a permis aux organisateurs de l’exposition de bénéficier de prêts exceptionnels par les communautés elles-mêmes. Face aux destructions perpétrées par Daesh à l’encontre des monuments et objets historiques chrétiens et non chrétiens en Moyen-Orient, Monseigneur Gollnisch s’est réjouit au micro de RCF que les communautés orientales aient accepté de confier leur patrimoine à l’IMA. Comme cet évangéliaire du XIe siècle richement coloré, exfiltré de Damas vers Beyrouth par le patriarcat syriaque orthodoxe pour le mettre en sécurité.

La France aux côtés des chrétiens d’Orient

Inévitablement, l’exposition renvoie en miroir « l’hiver arabe » que les chrétiens du Proche-Orient traversent ; en proie aux violences perpétrées par des groupes djihadistes et aux conflits régionaux meurtriers. « Notre mission est de maintenir à tout prix leur présence dans leurs pays respectifs afin de préserver le respect de la liberté de culte et d’opinion », a déclaré Michel Aoun, le président libanais – chrétien maronite – dans son discours lundi soir, lors de l’inauguration officielle de l’exposition. Son homologue français, Emmanuel Macron s’est adressé dans son discours directement aux chrétiens d’Orient : « Vous êtes la trace vibrante de ce qui résiste à l’imbécillité des hommes. » Et d’insister : « Je veux dire aux chrétiens d’Orient que la France est à leurs côtés, que notre priorité sera bien la défense de leur histoire ». Répétant à plusieurs reprises que l’histoire commune et les liens passés « obligent » la France. « On a parfois voulu dire que défendre les chrétiens d’Orient, ce serait accepter toutes les compromissions », a-t-il ajouté. « Non. Défendre les chrétiens d’Orient, ce n’est pas défendre Bachar al-Assad. Défendre les chrétiens d’Orient, c’est être à la hauteur de l’exigence historique qui est la nôtre » a-t-il enchérit. On l’aura compris, au-delà de la préservation du patrimoine matériel et immatériel des chrétiens d’Orient, « l’Institut du monde arabe  accomplit un geste fort. Il atteste leur existence. Il s’engage pour leur avenir. L’enjeu est d’ordre politique, culturel mais aussi civilisationnel », signent, dans un éditorial spécial commun,  Jack Lang et Jean-Christophe Ploquin, rédacteur-en-chef à La Croix.