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Irak : "Après la libération militaire, il faudra libérer les esprits !"

« J’ai la nostalgie d’une vie de paix. » Né à Qaraqosh le 5 octobre 1938, dans le royaume hachémite d’Irak, Mgr Basilios Georges Casmoussa a vécu tous les soubresauts de son pays : la tutelle britannique, l’instauration de la République par un coup d’État en 1958, le règne de Saddam Hussein, l’intervention américaine, la folie de Daech… À la tête de la revue indépendante La Pensée chrétienne, qu’il a fondée en 1964 et dirigée pendant trente ans, l’homme s’est souvent opposé à la dictature de Saddam. Archevêque de la communauté syriaque-catholique de Mossoul de 1999 à 2011, il a vécu la prise de pouvoir terroriste par le groupe État islamique – qui l’a enlevé en 2005 –, les persécutions de ses coreligionnaires et l’exode des chrétiens d’Orient.

Penser l’après

Il vit actuellement à Beyrouth, où il est évêque auxiliaire au sein du patriarcat syriaque catholique. Impuissant, le prélat assiste à la déliquescence de l’État irakien, « ce moribond que l’on essaie de ranimer ». Mais en usant de son magistère de la parole, Mgr Casmoussa se bat pour l’avenir de son pays. Quelques jours après l’archevêque de Kirkouk, Mgr Casmoussa était de passage à Paris, à l’invitation de l’Œuvre d’Orient, pour sensibiliser l’opinion occidentale au sort de son peuple. Alors que sa ville de naissance Qaraqosh est dévastée et que Daech contrôle encore la rive droite de Mossoul, l’homme de Dieu en appelle à préparer l’après.

« Après la libération militaire viendra l’heure de la libération des esprits, annonce-t-il. Nous devons nous y mettre tous ensemble maintenant. Le monde doit être conscient que la coalition militaire contre Daech ne représente qu’un début de solution et non une réponse complète au problème. L’Occident doit peser de tout son poids, politique, diplomatique, culturel pour aider les pays musulmans et les instances musulmanes à favoriser une lecture éclairée des textes religieux, reconnaissant le pluralisme, le respect des minorités et l’égalité des droits. Mieux, il faut assurer la séparation de la religion et de l’État, afin que la religion ne soit plus instrumentalisée à des fins politiques et que la politique ne serve pas à la propagation de la religion. Sinon, dans les deux cas, non seulement les chrétiens, mais aussi les musulmans y perdront. »

« Nous ne voulons pas être des mendiants, mais des bâtisseurs »

Autant prêcher dans le désert tant c’est d’un bouleversement complet de paradigme historique qu’il s’agit. Georges Casmoussa veut y croire, il n’y a pas le choix. « Si l’on ne change pas de discours, de lecture, de programme, nous n’aurons rien fait, et Daech réapparaîtra sous d’autres figures, prévient-il. C’est cela la grande peur des chrétiens d’Orient : vivre éternellement avec cette épée de Damoclès sur nos têtes ! »

Le dignitaire catholique salue l’engagement d’écrivains musulmans chiites « qui en appellent à une société pluraliste en Irak et mettent en lumière l’apport des chrétiens dans l’évolution civilisationnelle du pays ». Mais le prélat exhorte aussi à l’unité des siens. Trop de divisions entre les quatre grandes communautés chrétiennes du pays perdurent ! « Il faut que les évêques d’Irak, catholiques et orthodoxes, fassent tout leur possible pour coordonner leurs positions, lance Mgr Casmoussa. Nous devons refuser tout travail communautaire à part. La hiérarchie ecclésiale et les hommes politiques chrétiens laïques doivent pouvoir trouver un langage commun. »

Car l’avenir de l’Irak appartient aux Irakiens, et d’abord à eux. « Nous ne voulons pas être des mendiants, lance l’archevêque émérite de Mossoul. Nous devons être ce que dans l’histoire nous avons toujours été, à savoir des bâtisseurs. »