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[IRAK] Mgr Pascal Gollnisch : « La crise que traverse le pays est avant tout une crise morale »

Source : Famille chrétienne Hugues Lefevre

Alors que l’Irak est au cœur des tensions entre l’Iran et les Etats Unis, Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre livre une réflexion sur ce pays où s’est installé une forme de chaos depuis la chute de Saddam Hussein. Il croit au rôle prophétique des chrétiens de ce pays pour faire advenir une véritable citoyenneté irakienne. Propos recueillis par Hugues Lefèvre

 

Quel regard portez-vous sur les tensions extrêmes entre l’Iran et les Etats-Unis – tensions qui se manifestent sur le territoire irakien ?

Les deniers tirs de missiles iraniens sont une réponse à l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani par les Etats-Unis. Cet assassinat faisait suite à l’attaque de leur ambassade en Irak. Précédemment, onze missiles avaient été envoyés sur des bases américaines par des forces sans doute pro-iraniennes. Il paraissait évident que les Etats-Unis ne toléreraient pas indéfiniment ces agressions. On sent bien que cette escalade peut gravement dégénérer. Il est donc urgent qu’elle cesse avant que la situation ne devienne incontrôlable. C’est normalement aux Nations unies d’agir. Seulement, on constate la paralysie totale du Conseil de sécurité de l’ONU. Il faudrait revoir son fonctionnement pour qu’enfin il puisse régler la situation et donner à l’Irak les moyens de sa souveraineté.

 

Des missiles iraniens ont été tirés près d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Cette région constituait un havre de paix, notamment pour les chrétiens de la plaine de Ninive qui s’y étaient réfugiés en 2014. Est-ce inquiétant ? 

Oui, c’est assez étonnant qu’on ait voulu viser une base américaine dans cette région puisque les relations du Kurdistan irakien avec l’Iran ne sont pas mauvaises. Je pense qu’il n’y a pas d’inquiétude spécifique aux chrétiens d’Irak mais c’est l’ensemble de la population civile qui est inquiète. Les missiles iraniens ne visent pas les chrétiens mais les Américains.

 

Mais les chrétiens d’Irak vont-ils à nouveau subir les conséquences d’un conflit qui les dépasse ?

C’est possible car cette crise entre l’Iran et les Etats Unis qui se joue en Irak déstabilise les structures de l’Etat irakien. Cela conduit inévitablement à une fragilisation de la situation des minorités, et donc des chrétiens ou des Yézidis. Mais, encore une fois, c’est tout le peuple irakien qui souffre.

 

Quel poids ont aujourd’hui les chrétiens en Irak ?

Leur situation a été durement tourmentée par les exactions de Daech. Mais ces chrétiens sont des citoyens d’Irak, attachés à leur pays, et dont le sort n’est pas séparable du reste des citoyens de l’Irak. L’analyse de la période où Sadam Hussein était au pouvoir est diversement analysée, certains privilégiant la stabilité dont jouissait le pays, d’autres la violence dont ont été victimes les kurdes et les chiites. Un point est clair : l’invasion américaine à laquelle la France a refusé de participer, menaçant d’exercer son droit de veto, ce qui a provoqué des sanctions économiques américaines, n’a pas fait que renverser Sadam Hussein, mais a détruit l’armée et l’Etat Irakiens. La coalition occidentale n’a pas su « apporter la démocratie », comme elle prétendait faire, et n’a pas permis d’assurer une véritable succession dans ce pays qui sortait d’une longue et cruelle guerre avec l’Iran, faisant plus d’un million de victimes. Le pays se trouve donc désorganisé, l’économie grandement fragilisée, en proie à des milices parfois violentes qui n’obéissent pas aux pouvoirs publics, et s’est trouvé incapable de s’opposer à l’avancée de Daech. Ajoutons que les maladresses américaines ont montré assez vite les occidentaux plus comme des occupants que comme des libérateurs créant ainsi une véritable méfiance vis-à-vis d’eux et de leur démocratie.

 

Il règne donc en Irak une forme de chaos… 

La crise que traverse l’Irak est avant tout une crise morale, tandis que les experts qui font  passer les questions économiques en priorité sont souvent en décalage avec les réalités.

L’Homme irakien a besoin avant tout de retrouver sa dignité ; il a besoin d’espérance, surtout les jeunes générations. Là comme ailleurs il veut lutter contre la corruption, pour la liberté d’expression et l’indépendance des structures judiciaires. Il doit trouver « sa » démocratie, non pas une copie des démocraties occidentales mais un modèle conforme au génie de son peuple. Le cœur de ces problématiques s’exprime assez bien dans le concept de citoyenneté. Il dépasse, dans le champs social et politique, les appartenances religieuses qui peuvent ainsi se concentrer sur les dimensions spirituelles. Nous devons arrêter de croire que ces idéaux ne touchent pas le cœur des Irakiens. Les jeunes adultes qui manifestent, parfois au prix de représailles, savent parfaitement à quoi ils veulent parvenir.

 

Les chrétiens ont-ils un rôle à jouer dans ce combat ?

 

Oui, ils ont sans doute un rôle prophétique et de pédagogue. L’action infatigable du Patriarche Sako trouve ici tout son sens ; bien au-delà de la question du nombre de chrétiens résidant en Irak, la force de son message représente un enjeu considérable, non seulement pour les chrétiens et les autres minorités mais pour l’Irak tout entier. Polyglotte, et en particulier parfaitement francophone, fait récemment Cardinal par le Pape François, le Patriarche est rompu au dialogue avec les musulmans, en tout cas ceux qui, dans son pays veulent moderniser la société.