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« Je ne veux pas vivre une vie qui soit autre chose qu’un don radical, à vie, à mort » Père Paolo Dall’Oglio

Églantine Gabaix-Hiale, ancienne correspondante en Irak pour l’Œuvre d’Orient connait bien le Père Paolo. Elle a vécu deux ans au monastère de Mar Moussa en Syrie – de 2004 à 2006 – qu’il a fondé. Puis elle a écrit deux livres avec lui, en 2009 et 2013, « Amoureux de l’Islam, croyant en Jésus » et « La Rage et la lumière ».

« Je ne veux pas vivre une vie qui soit autre chose qu’un don radical, à vie, à mort » écrivait le père Paolo Dall’Oglio, en mai 2013, trois mois avant sa disparation à Raqqa, le 29 juillet, où il était venu négocier la libération d’otages. Rentré quelques jours plus tôt clandestinement en Syrie, d’où il avait été expulsé en 2012, il m’écrivait que cette expédition était peut-être de la folie. Je lui avais répondu que oui, c’était de la folie, mais que nous avions besoin de sa folie et de lui vivant.

Depuis quatre ans, nous, sa communauté, sa famille, ses amis, n’avons plus de nouvelles. Son enlèvement n’a jamais été revendiqué. Il est parfois annoncé vivant, parfois donné pour mort, sans qu’aucune preuve, dans un sens ou dans l’autre, ne soit jamais apportée. Il partage le sort de ses deux cent mille Syriens disparus, sans sépulture, sans nom, sans deuil, que le régime syrien a enfouis et torturés à mort dans ses geôles, et que l’État islamique jette dans ses charniers.

Pendant trente ans, ce jésuite amoureux de l’Islam, comme il aimait à se définir, s’est battu. Pour réhabiliter le monastère de Mar Moussa en Syrie, accroché sur un éperon rocheux en plein désert, pour y restaurer les fresques, y fonder une communauté, dédiée au dialogue islamo-chrétien et à l’hospitalité. La grande question de Paolo, celle qu’il n’a jamais cessé de porter, était : que vient dire l’Islam aux chrétiens ? Et par là même : vers quoi entraîne-t-il le christianisme ? À la suite de Charles de Foucauld et de Louis Massignon, ses deux grands maitres spirituels, Paolo pensait que la religion musulmane, par le mystère qu’elle posait aux chrétiens, poussait l’Eglise vers une plus forte radicalité dans l’imitation du Christ, son humilité, son esprit d’accueil et de service. « Le mouvement vers l’autre est plus un pèlerinage, un hadj, qu’une campagne missionnaire, encore moins une croisade ». Les échanges quotidiens avec les nombreux musulmans qui venaient au monastère, les séminaires interreligieux, la vie quotidienne, témoignait de ce dialogue fructueux.

En mars 2011, au début de la guerre en Syrie, Paolo, avec sa communauté, a clairement œuvré pour une transition démocratique, progressive comme il le faisait depuis trente ans. Devant l’ampleur de la répression du régime face à des manifestants dans un premier temps pacifistes, ses prises de position individuelles contre le gouvernement lui ont valu d’être expulsé. Le moine Paolo s’est transformé en combattant, implorant toutes les chancelleries occidentales d’armer les rebelles pour éviter une islamisation extrémiste de la révolution. La plupart de ses prédictions se sont, hélas, réalisées, et nous en payons tous le prix.

Lorsque nous avons rédigé ensemble notre deuxième livre, à l’hiver 2013, sur la révolution syrienne, Paolo était littéralement hors de lui, presque fou d’impuissance ; cette guerre était une blessure intime, qui semblait renverser tout ce pour quoi il s’était battu jusque-là, tout ce en quoi il avait cru.  « Pour des raisons qui ont à voir avec l’engagement de ma vie, cette guerre civile ne porte pas seulement atteinte aux conditions minimales de vie pour les chrétiens orientaux, mes frères, qui se trouvent piégés entre deux camps, mais plus profondément, c’est une guerre civile qui déchire mon âme (…) Cette guerre civile m’est insupportable. Je voudrais faire quelque chose pour l’arrêter. (…) L’Oumma humaine devrait porter les blessures et les angoisses de l’Oumma musulmane, avec plus de miséricorde, de solidarité, car nous sommes tous embarqués sur cette planète fragile. Ne pas porter le poids les uns des autres, rend la vie insupportablement lourde ». Jusqu’au bout, Paolo a cru que la parole et le dialogue pouvaient être des armes efficaces, même face à ceux qui les refusaient.

Au Nord Liban, quelques jours avant sa disparition, j’avais rencontré des réfugiés syriens de Qsair, ville où il s’était rendu un an auparavant pour négocier la libération d’otages – avec succès. Quand ils ont su que j’avais écrit un livre avec lui, leur amitié m’était acquise. Il était leur héros. Celui qui « arrivait à passer dans des trous où une abeille ne serait pas passée» et enterrait avec eux leurs morts. Dans les yeux de ses hommes exilés et en colère, j’ai vu et compris son combat : « Quand vous verrez Paolo, dîtes-lui que les réfugiés de Qsair, musulmans et chrétiens, le bénissent. » Je ne l’ai pas revu depuis mais je lui avais raconté cette rencontre par mail, juste avant son départ pour Raqqa. Il m’a avoué avoir pleuré en pensant à eux et sans doute est-ce aussi pour eux qu’il est reparti. Alors aujourd’hui, mort ou vivant, je sais qu’il n’a pas échoué. Sa voix porte au-delà de lui.