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JORDANIE : Discours de Sa Béatitude Fouad Twal au sommet « les défis des chrétiens arabes »

A l’initiative de Abdallah II,roi de Jordanie, une réunion a rassemblé quelque 70 patriarches, délégués patriarcaux, évêques, prêtres et autres responsables des communautés chrétiennes de la région, ces 3 et 4 septembre 2013 à Amman, la capitale de la Jordanie.

Ce sommet intitulé « les défis des chrétiens arabes », a permis à l’ensemble des représentants des diverses communautés chrétiennes de tous les pays de la région moyen-orientale de s’exprimer et de bénéficier d’une tribune médiatique sans précédent dans le monde arabe en cette période particulièrement troublée.

Monsieur le Président de la conférence,
Leurs Béatitudes,
Leurs Eminences,
Leurs Excellences les Evêques,
Les honorables invités.

Nous tenons à remercier la Jordanie, dont en tête Sa Majesté le roi Abdallah II et Son Altesse Royale l’Emir Ghazi ben Mohammad, de cette initiative unique de son genre. La présence d’un grand nombre de dignitaires religieux, chrétiens et musulmans, est très significative et constitue une quasi réponse à ce qui se passe dans notre Orient, sous forme de défis et difficultés, voire d’une question de vie ou de mort pour notre peuple.

Le processus de paix entravé en Terre Sainte, constitue un obstacle majeur à l’évolution de notre société d’une manière générale, et de la situation des chrétiens en particulier. Il est temps que nous procédions à la solution du problème palestinien de façon équitable et acceptable. Or, cela n’est possible qu’à travers des efforts authentiques du côté de la communauté internationale et des grandes puissances, à condition que la position de ces forces soit juste et neutre. En l’absence d’une solution, nous resterons à la merci des coups de vent en Terre Sainte, au Moyen-Orient et dans le monde entier.

L’instabilité touche tout le monde, mais plus particulièrement les chrétiens : d’abord parce qu’il s’agit d’habitants qui s’associent aux autres dans l’angoisse qui enveloppe toute la  société, et parce qu’ils sont eux-mêmes en même temps victimes de cet état étant chrétiens, tout comme l’a déclaré dans son discours SAR l’Emir Ghazi. Notons que tous les évènements qui ont affecté la région ont laissé un effet négatif, et en particulier, par rapport aux chrétiens (Iraq, Syrie, Egypte, Liban, Palestine). Ces derniers se sentent visés de façon particulière, ce qui nourrit la crainte dans les cœurs, et ce qui les amène donc à émigrer, malgré toutes les assurances qui leur parviennent d’ici et là.

En Terre Sainte, à Jérusalem en particulier, où le processus de judaïsation se poursuit, de même que la construction d’agglomérations, nous avons la douleur de signaler que notre situation catastrophique ne préoccupe plus ni la communauté internationale, ni les pays arabes islamiques, puisque l’attention est maintenant braquée sur le pénible conflit syrien, ou sur la problématique situation en Egypte. Discours et promesses ne sont guère suffisants, que ce soit du côté arabe, islamique ou occidental. Les gens, ayant perdu confiance en ces promesses, rêvent d’émigrer à l’étranger, pour justement échapper à une conjoncture qu’ils ne peuvent plus supporter. Plus de remords en cas de vente d’habitations, de propriétés, héritées de nos ancêtres – un moyen de s’assurer du processus d’émigration, fuyant le pays vers d’autres horizons. L’Orient arabe, démuni de chrétiens, n’est pas l’Orient que nous connaissons, que nous aimons.

L’ancien discours, en effet, ne convient plus à un présent à formules anachroniques. Avoir recours à un discours reposant sur le passé, sans toucher aux problèmes des temps modernes, n’est plus acceptable. Ecouter des discours dans des salles fermées au sujet de la tolérance, de l’acceptation d’autrui, mais sans les déclarer ouvertement et publiquement, n’est plus acceptable non plus. Le chrétien est le frère du musulman, et le musulman et le frère du chrétien. Voici le message d’Amman qui devrait se transformer en réalité dans les curricula pédagogiques, dans les discours religieux, ainsi que les medias religieux.

Nombreux sont ceux qui vivent leur présent à travers le passé, leur passé devenant le rêve du futur. La charte de Muawiya, l’honorable position d’Omar, les versets coraniques, tout cela ne nous aide plus à rien, ce qui engendre l’inquiétude dans le cœur de nombreux dirigeants chrétiens et musulmans. Cette inquiétude a poussé Sa Majesté le roi Abdallah II, gardien de la Terre Sainte, à une telle initiative, et nous l’avons bien accueillie. Nous soutenons les efforts de Sa Majesté pour encourager nos fidèles, une modeste tentative de dissiper la crainte dans les cœurs, d’éviter par la suite l’émigration des habitants et de l’intelligentsia, et de réveiller la conscience chez ceux qui détiennent le sort des masses. De là provient l’importance de notre rencontre.

Il est certain que l’élément de la religion qui nous unit – les chrétiens du Moyen-Orient à l’Occident – ne peut servir d’excuse chez d’aucuns pour lier les chrétiens de l’Orient à la politique de l’Occident et ses intérêts.

Ce qui nous unit à l’islam, avec tout ce qu’il comporte comme versets appelant à la fraternité, en citant des textes tirés de l’Evangile et du Coran, ne nous protège plus face à un fanatisme aveugle chez certains groupes extrémistes qui ne connaissent aucune miséricorde, et ne met pas un terme à la souffrance du chrétien. De surcroît, le silence de l’islam modéré et rationnel, mais sans influence aucune sur le cours des évènements, nous place devant un état de panique.

En revanche, il nous incombe de faire face à ces courants extrémistes avec courage et clairvoyance, à travers notamment un plan pédagogique sain, mettant en exergue les aspects positifs de l’islam, de la chrétienté et du judaïsme, afin de permettre l’émergence d’une génération nouvelle, favorable à une ouverture d’esprit et une acceptation de l’autre. Il est de plus très important de créer une opinion publique qui s’oppose à ces courants, qui les isole, qui restreigne leur  influence, leur emprise sur la société. Dans ce contexte les medias jouent un rôle pionnier. Il y a lieu d’adopter un plan de travail sérieux pour faire face à ces courants extrémistes, pour le bien-être de la société en général, et la sûreté et la stabilité des chrétiens en particulier, afin de les  encourager à contribuer réellement et effectivement à fonder une société à l’écart de la marginalisation.

A nous, les dignitaires religieux, chrétiens et musulmans, il appartient de savoir comment se soutenir spirituellement et socialement afin d’affronter la richesse de la civilisation occidentale, voire ses dangers, ainsi que les vagues de la violence et de l’extrémisme religieux.

Une vision des gros capitaux qui se versent sur l’autel des guerres civiles pour des intérêts mondains, nous invite  à nous poser une question à laquelle il n’y a pas de réponse : pourquoi ce colossal gaspillage ? Pourquoi ne pas débourser ces fonds pour Al Quds, ses institutions et ses citoyens, en y construisant des habitations par exemple ? Pourquoi ? Pourquoi ? …

Nonobstant les défis, nous continuerons à vivre dans l’espérance. Nos communautés sont capables de prendre leur sort en main, aussi  de se construire une société solidaire, plaçant la vie commune en tête de ses priorités. Or, cela ne vient pas spontanément, mais requiert pour y arriver une action méthodique à tous les niveaux.

Mes chers auditeurs,

Le temps enfin passe vite, les évènements se  précipitent aussi. Œuvrons pour un avenir meilleur pour nos enfants – un avenir où chacun de nous se sente rassuré, quant à sa propre personne, sa famille, ses propriétés, sa religion et ses sanctuaires…

+ Fouad Twal, Patriarche latin de Jérusalem

Source : Patriarcat latin de Jérusalem et  Infocatho.be

 

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