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La situation œcuménique en Ukraine, Taras DMYTRYK & Pavlo SMYTSNYUK - 2011

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Œuvre d’Orient – 2011

Souvent dans la presse étrangère l’Ukraine est présentée comme la pierre d’achoppement dans le dialogue entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe. En même temps, les divisions entre les orthodoxes eux-mêmes attirent l’attention du monde orthodoxe sur ce pays d’Europe orientale. Pour Antoine Arjakovsky, un Français qui a travaillé longtemps comme directeur de l’Institut des Etudes Œcuméniques à Lviv, «l’Ukraine est un lieu stratégique pour l’avenir de l’unité au sein des Eglises orthodoxes mais aussi plus généralement pour l’actualisation de l’unité entre les chrétiens catholiques et orthodoxes».

Dans cet article on va essayer de présenter la situation religieuse en Ukraine, en indiquant les prémisses historiques et en présentant les problèmes actuels les plus importants.

Un peu d’histoire et de statistiques

Selon le sondage du Centre Razoumkov de 2006, plus de 90 % des Ukrainiens croyants sont des chrétiens, soit environ 16 millions sur 47 millions d’habitants du pays. Le christianisme a pénétré en Ukraine dès les premiers siècles après J.C., et il est devenu religion d’Etat à la fin du X siècle, pendant le règne du prince Vladimir le Grand. Dans les siècles suivants l’Eglise dans la Russie de Kiev faisait partie du Patriarcat grec-orthodoxe de Constantinople. En 1596 le synode de Brest formalisa la décision de la Métropole de Kiev-Galicie de sortir de la juridiction de Constantinople pour s’unir à l’Eglise catholique romaine, en conservant le rite et les usages orthodoxes. Ce synode donna donc naissance à l’Eglise greco-catholique ukrainienne (EGCU) et initia la division des Ukrainiens en orthodoxes et catholiques. Cette division persiste encore aujourd’hui.

Les autres divisions entre les orthodoxes eux-mêmes se sont produites au XX° siècle: d’abord en 1921, quand le premier Concile ecclésiastique panukrainien a proclamé la fondation de l’Eglise Orthodoxe Autocéphale Ukrainienne (EOAU). Cette Eglise, persécutée tant par le régime stalinien que par les nazis, lors de leur occupation de l’Ukraine pendant la deuxième guerre mondiale, existait depuis des décennies dans le milieu de la diaspora ukrainienne en Occident. La renaissance de l’EOAU a été proclamée en 1989.

En 1992 le métropolite Filaret de Kiev, probablement avec le soutien du gouvernement ukrainien, s’est détaché du Patriarcat de Moscou et a fondé l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine – Patriarcat de Kiev (EOU PK) – donnant naissance ainsi à une troisième branche de l’Eglise orthodoxe dans le pays. Depuis les débuts de leur existence l’EOAU et l’EOU PK cherchent à être reconnues par l’Orthodoxie mondiale, particulièrement par le Patriarcat Œcuménique de Constantinople, mais pour le moment elles  n’ont pas obtenu la reconnaissance désirée. En même temps, les orthodoxes de la diaspora ukrainienne se trouvent depuis 1995 sous la juridiction de Constantinople.

En 1946, quelques années après l’occupation de l’Ukraine occidentale par l’Armée rouge, l’Eglise Greco-catholique Ukrainienne a été supprimée par le gouvernement soviétique, tous les évêques, ainsi qu’ une grande partie du clergé et des fidèles ayant été arrêtés, et les églises, monastères et autres bâtiments ayant été soit fermés, soit remis à l’Eglise Orthodoxe Russe – qui n’était pourtant pas présente en Galicie* avant la guerre. Depuis la légalisation de l’EGCU en 1989 les greco-catholiques ont commencé – pas de manière toujours pacifique – à reprendre aux orthodoxes les églises et bâtiments ecclésiastiques, qui jusqu’en 1946 étaient leur propriété. C’est là le motif principal du conflit entre l’EGCU et l’Eglise orthodoxe, et le début du refroidissement des relations entre Moscou et le Vatican.

Depuis 1990 l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine, sous la juridiction du Patriarcat de Moscou (EOU PM) – la seule Eglise reconnue comme canonique par l’orthodoxie mondiale – bénéficie d’une certaine autonomie au sein de l’Eglise Orthodoxe Russe ; elle en représente le tiers des paroisses et du clergé, et le quart des évêques.

L’EOU PM est la plus nombreuse en Ukraine selon le nombre des communautés (11 731), mais pas selon le nombre des fidèles**. En fait 10,9 % des Ukrainiens déclarent leur appartenance à cette Eglise, contre 14,9 % au Patriarcat de Kiev (de qui relèvent par contre 4 221 communautés). 1 % de la population ukrainienne et 1 219 communautés religieuses appartiennent à Eglise Orthodoxe Autocéphale Ukrainienne.

La majorité des catholiques en Ukraine (5,3 % de la population; 14,1 % de tous les croyants; 3 728 communautés) appartient à l’Eglise greco-catholique. Les communautés de l’UGCC sont concentrées presque exclusivement en Ukraine occidentale. Actuellement l’UGCC est la plus grande Eglise catholique de rite oriental.

Les catholiques de rite latin constituent 0,6 % de la population d’Ukraine, ou 1,7 % de tous les croyants. Dans le passé la quasi totalité des membres de cette Église (qui est présente sur le territoire d’Ukraine depuis l’époque médiévale) étaient des étrangers. Aujourd’hui, même si le nombre des fidèles et du clergé d’origine polonaise reste grand, l’Eglise Catholique romaine devient de plus en plus une Eglise ukrainienne.

Aux confessions protestantes se rattachent enfin 0,9 % des Ukrainiens.

Le pouvoir civil et la situation religieuse en Ukraine

En Ukraine l’Eglise est séparée de l’Etat, mais cette division n’a jamais pris les formes de la laïcité française. Les hommes politiques, au différents niveaux du pouvoir, ont souvent soutenu financièrement la construction des églises et  d’autres projets ecclésiastiques. Presque tous les Présidents de la République ont voulu – chacun à sa manière –  apporter leur contribution à l’unité des trois juridictions orthodoxes présentes en Ukraine. Pendant 20 ans après l’indépendance, les religions ont pu fonctionner avec une certaine liberté.

Depuis l’élection de Yanoukovytch en 2010, les plaintes à propos de la discrimination religieuse se sont fortement multipliées. Le nouvel Archevêque Majeur de l’EGCU critique «l’attitude inadéquate et inégale du pouvoir civil vis-à-vis des représentants des différentes confessions. Parfois l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine du Patriarcat de Moscou est ouvertement favorisée». Ce fait est dénoncé tant par les responsables ecclésiastiques [ ?] que par les observateurs de la situation religieuse en Ukraine. Tout récemment il y a même eu une pétition, signée par 90 députés du parlement ukrainien au Président, exigeant de lui de «mettre fin à sa pratique erronée de favoriser une Eglise particulière aux détriments des autres, de renouer un dialogue adéquat avec toutes les confessions existantes en Ukraine, et d’observer d’une manière réelle et pas purement déclarative le principe d’égalité de toutes les Eglises et organisations religieuses».

Les accusations de persécution de certaines confessions nous semblent pour le moment un peu exagérées. Les plaintes de l’EOU PK sur la persécution de leur Eglise suite à l’élection de Victor Yanoukovytch en février 2010, semblent être  fondées sur des cas peu nombreux de passage de quelques-unes de leurs paroisses sous la juridictions de l’EOU PM. Mais d’une part de tels passages de paroisses d’une juridiction à l’autre avaient lieu aussi avant 2010; on a vu de plus, même si moins fréquemment, des cas de passages de communautés de l’ EOU PM au Patriarcat de Kiev, comme le cas en a été rapporté dans la région de Vinnytsia en octobre 2011.

A notre avis, en Ukraine les autorités municipales ou régionales ont tendance en Ukraine à favoriser l’Eglise majoritaire et à ignorer les besoins des confessions minoritaires. Les orthodoxes de EOU PM en Ukraine occidentale (en majorité catholique) ont les mêmes problèmes à obtenir des terrains pour la constructions des édifices du culte que les greco-catholiques dans le sud de l’Ukraine (majoritairement orthodoxe).

Les relations entre les Catholiques et les Orthodoxes

Dеpuis le début de la renaissance de l’EGCU en 1989, et jusqu’à la toute récente rencontre du Pape Benoît XVI avec le Métropolite Hilarion, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou en septembre dernier, selon les hiérarques de l’Eglise Orthodoxe Russe, les relations entre les Greco-catholiques et les Orthodoxes en Ukraine occidentale constituent l’un des problèmes les plus graves dans le dialogue entre les deux Eglises et l’obstacle majeur pour la rencontre entre le Pape et le Patriarche de Moscou. L’Eglise Russe considère la mauvaise volonté des autorités civiles à donner à l’EOU PM un terrain au centre de Lviv pour la construction d’une cathédrale digne de ce nom comme une discrimination à l’égard de ses fidèles. Officiellement les accusations de Moscou s’adressent aux autorités municipales de Lviv, mais il semble bien qu’aux yeux du Patriarcat le vrai coupable soit la communauté greco-catholique.

Pareillement la demande de l’EGCU d’être élevée (ou reconnue, selon le point de vue ) par Rome comme Patriarcat est vue depuis la Russie comme du prosélytisme. Il est probable que parmi les motifs du refus du Saint-Siège d’élever  l’EGCU au rang de Patriarcat, se trouve aussi la forte opposition de l’Eglise de Moscou soutenue par les autres Eglises orthodoxes.

Un autre sujet de tension  entre le Patriarcat de Moscou et les Greco-catholiques sont les rapports de l’EGCU avec les Eglises orthodoxes présentes en Ukraine, mais qui ne sont pas reconnues par toutes les Eglises orthodoxes dans le monde, à savoir  l’EOU PK et l’EOAU.

Le printemps est-il proche ?

Depuis l’élection de Benoit XVI, les rapports entre le Saint-Siège et l’Eglise russe se sont un peu améliorés. Les échanges de délégations entre le Vatican et Moscou se sont multipliés et le ton des conversations officielles est devenu un peu plus chaleureux. On entend parler plus fréquemment de la nécessité d’approfondir la collaboration entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe russe. Tout récemment le Métropolite Hilarion a lancé l’idée d’une «alliance stratégique» entre les deux Eglises en vue de défendre les valeurs chrétiennes traditionnelles dans un monde moderne en pleine sécularisation.

Lors de sa première conférence de presse après son élection comme Archevêque Majeur de l’EGCU, Mgr Svyatoslav Chevtchouk, en citant le Métropolite Hilarion a déclaré : « Il est évident, que toute notre Eglise et moi même nous sentons très à l’aise avec une telle alliance stratégique».

D’autres signes positifs se sont manifestés depuis  l’intronisation de Mgr. Chèvtchouk. Les trois Eglises orthodoxes étaient représentées à la liturgie d’intronisation. Le nouvel Archevêque Majeur a également reçu les vœux du Métropolite Vladimir (Sabodan), chef de l’EOU PM, et du Métropolite Hilarion (Alfeev). Quelque mois après son élection, le primat des Greco-catholiques était reçu par le Métropolite Vladimir, et une rencontre avec Mgr. Hilarion devrait bientôt avoir lieu.

En septembre 2011, le Synode des évêques de l’EGCU a demandé aux fidèles catholiques de «promouvoir le dialogue dans la vérité et l’amour avec les autres Églises et communautés ecclésiales» et d’«éviter tout ce qui pourrait offenser ou nuire à nos frères et sœurs d’autres confessions».

Un autre geste, petit, mais symbolique, est l’accord entre les évêques catholiques et orthodoxes d’Ukraine, pour assister ensemble à l’inauguration de l’arbre de Noël, qui sera donné par l’Ukraine au Pape pour être installé cette année sur la place Saint Pierre à Rome.

Si cette dynamique positive continue, on peut espérer pouvoir instaurer dans un proche avenir un dialogue entre les Greco-catholiques et les Orthodoxes sous la juridiction du Patriarcat de Moscou, dans lequel les problèmes seront affrontés dans un esprit d’amour et  de pardon mutuel.

* Partie occidentale de l’Ukraine, avec Lviv comme capitale.

**Le nombre des communautés provient des données du Bureau National de la Statistique, 2008; le pourcentage des fidèles provient du sondage du Centre Razoumkov, 2006.

*** L’Ukraine compte aujourd’hui environ 46 millions d’habitants.