• Actualités

L'avenir des chrétiens dans le monde arabe en général, de Mgr Maroun Lahham (2/2)

La grande question posée aujourd’hui est celle-ci : Quel est l’avenir des chrétiens dans le monde arabe ? Et d’abord, y a-t-il un avenir pour les chrétiens du monde arabe? La réponse dépend du niveau auquel on se place. Je suis un évêque, et il me semble normal de commencer par le niveau de la foi. Je sais que les arguments basés sur la foi résistent au test des laboratoires scientifiques, mais ils ne sont pas moins valides pour autant.

Que dit la foi d’un chrétien arabe ?

Elle dit qu’il y a toujours eu une Église et des chrétiens dans le monde arabe, et qu’il y a actuellement une Église (des Églises) et des chrétiens dans le monde arabe, et qu’il y aura toujours une Église et des chrétiens dans le monde arabe.

Dieu ne permettra jamais que son pays natal (la Terre sainte) et son espace géographique (le Moyen Orient) deviennent des musées. Les chrétiens arabes ont toujours entouré les lieux saints de leur présence et de leurs prières, et il est impensable, toujours aux yeux de la foi, que les pierres vivantes disparaissent pour laisser la place aux seules pierres mortes. Point, à la ligne.

Ceci dit, je sais il n’y a pas que le niveau de la foi. Le niveau de la géopolitique et de la socio-politique est différent et peut être moins rassurant. Car les chrétiens du monde arabe ont un certain nombre de défis à relever pour continuer d’exister.

  • Un premier défi est le contexte d’instabilité sociale et politique dans lequel vivent les chrétiens du monde arabe :

Conflits, violences, occupation, avenir politique incertain, émigration forcée, occupation politique etc… Conséquence : Un manque d’énergie personnelle et communautaire pour faire face à la vie dure. Et si on considère la tentation de l’étranger chère au P. Jean Corbon : « les chrétiens arabes, disait-il, ont toujours un œil à l’étranger », on comprend l’hémorragie de l’émigration des chrétiens arabes dans plusieurs pays. Je donne un seul chiffre. Le pourcentage des palestiniens chrétiens en Palestine est de 1.2% alors que le pourcentage des chrétiens palestiniens dans la diaspora est le 10%.

  • Un autre défi est de nature religieuse.

Les pays arabes sont des pays à majorité musulmane. Certes, on ne peut pas parler de persécution religieuse proprement dite – à part quelques cas bien définis tout récemment en Irak – mais on ne peut pas dire non plus que l’appartenance religieuse n’a pas d’effets sur la vie de tous les jours, aux dépens des chrétiens bien sûr. Dans les pays arabes actuellement, nous sommes encore loin de parler de la dignité de la personne humaine, abstraction faite de son appartenance religieuse.

  • Un troisième défi est interne aux chrétiens et il a deux aspects. Le premier est commun à tous les chrétiens et il regarde la foi, ou plutôt l’appartenance religieuse.

La foi des chrétiens arabes est une foi sociale, communautaire, héritée, une foi qui n’est pas toujours assumée et vécue à partir d’un choix personnel et convaincu. Plusieurs Églises arabes ont fait des synodes et ont travaillé pendant des années pour aider les fidèles à passer d’une foi héritée à une foi personnelle. Les semences sont jetées… la récolte viendra un jour. Inchallah!

  • L’autre aspect du défi interne aux chrétiens du monde arabe, et qui met leur avenir à risque, est leur division.

Ceux qui connaissent nos pays savent que nos Églises forment une véritable mosaïque. Il y a certes du positif en cela: une richesse culturelle, liturgique, spirituelle et dogmatique, mais la désunion des Églises est un handicap missionnaire et elle affaiblit leur témoignage et surtout leur charge prophétique. Nous connaissons la belle expression du Pape Paul VI: « Le monde actuel accepte les témoins plus que les maîtres, et s’il accepte les maîtres, c’est parce qu’ils sont d’abord des témoins».

À la question posée au début de ce paragraphe, s’ajoute une autre : Comment garantir la continuité de la présence des chrétiens dans les pays arabes ? Le principe est le suivant: Les chrétiens arabes doivent rester chez eux, au Moyen Orient et dans le monde arabe, parce que le monde arabe est leur espace vital, le lieu où Dieu les a mis pour vivre leur foi et être ses témoins, le lieu dans lequel ils vivent depuis des siècles. Comment ?

Par une insertion claire, franche et totale dans le monde arabe. C’est dans cette perspective qu’il faut concevoir la présence des chrétiens dans le monde arabe. Une perspective à prendre en considération par tous ceux qui se préoccupent de la situation et de l’avenir de ces chrétiens.

La question est : comment ?

Comment aider les chrétiens du monde arabe à faire la volonté de Dieu et à témoigner de leur foi dans le Christ ressuscité là où le Seigneur les a mis, par un dessin de sa Providence ?

Les chrétiens du monde arabe vivent avec les musulmans depuis plus quinze siècles. Tout en conservant leur foi chrétienne, ils partagent avec les arabes musulmans la même langue, la même histoire, la même culture, le même mode de vie. Il faut savoir rendre hommage à ces communautés chrétiennes qui ont su au cours des âges affronter cette montée de l’Islam, avec réalisme et créativité. Elles ont su dépasser ce seuil historique en s’insérant petit à petit dans ce nouveau monde qui venait de naître, collaborant même au développement de sa culture dans tous les domaines. Évidemment, il serait naïf de penser que ces quinze siècles de coexistence se soient passés sans heurts, sans des hauts et des bas, mais globalement, le résultat n’est pas aussi négatif qu’on peut l’imaginer. Il s’ensuit donc que la présence des chrétiens arabes au sein du monde musulman – comme croix certes mais aussi comme gloire – est inscrite dans les profondeurs de l’être personnel et ecclésial des chrétiens arabes. En fin de compte, et comme dans le monde de la foi il n’y a pas de hasard, il faut voir dans la présence de chrétiens arabes au sein du monde arabo-musulman une volonté de Dieu qu’il faut accueillir dans la foi pour la transformer en vocation et en mission. Même si cette vocation/mission doit être portée dans l’humilité, la pauvreté, la sérénité et la plénitude de la joie évangélique, il faut avouer que, concrètement, certains de nos fidèles subissent cette vocation plus qu’ils ne l’assument. C’est une réaction instinctive, faite à partir de leurs peurs, de leurs difficultés, de leurs complexes, de leurs appréhensions en tant que groupe social qui cherche sa survie plutôt que sa mission/vocation. Il faut comprendre ce processus historique et psychologique, mais il faut en même temps briser ce mécanisme de peur par la force de la foi, car si l’historique, le psychologique et le sociologique entravent et enchaînent, la foi, elle, libère.

CONCLUSION

Que dire en conclusion? L’avenir des chrétiens arabes est en gestation. Ils étaient plutôt tranquilles avant les événements du printemps arabe, ils jouissaient d’une situation favorable et relativement stable. Démographiquement minoritaires, les pouvoirs politiques représentaient pour eux une garantie majeure qui les protégeait et leur permettait d’obtenir une surreprésentation politique et une reconnaissance qui est source d’épanouissement religieux, social et économique. Depuis quelques années, les sociétés arabes connaissent des soubresauts auxquels personne ne s’attendait, et qui ont irréversiblement changé la société. Tout le monde en a été affecté, y compris les chrétiens. Encore une fois, il faut attendre pour voir le nouveau visage que présentera le Moyen Orient après tous ces bouleversements. Quoi qu’il en soit, il appartient aux chrétiens arabes de relever eux-mêmes le défi de leur présence, et de ne pas compter d’une manière exclusive sur les circonstances politiques, qu’elles leur soient favorables ou non. Pour cela, ils devront toujours travailler au dialogue interreligieux, à l’ouverture à l’autre, à la convivialité et à l’engagement indéfectible dans le sol arabe.