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Le Liban chrétien – Enjeux actuels pour les maronites libanais (partie 2)

Une relation de réciprocité s’établit dès le XIe siècle entre l’Europe, plus précisément entre l’Eglise de Rome puis la France, et la communauté maronite du Liban. La création de l’état libanais en 1920 selon le projet politique porté par les maronites en est le couronnement. Une telle réciprocité, proche de la dépendance, a cependant soulevé de nombreux enjeux pour la communauté maronite à mesure que la puissance mandataire française s’est affaiblie jusqu’à l’indépendance du Liban en 1943, et que l’arabisme est devenu une force politique majeure au Liban.

 

Affirmation de l’arabisme et affaiblissement des appuis maronites au Liban 1920-1945

 

L’alliance des puissances européennes, et notamment de la France, avec les chrétiens d’Orient, et au Liban avec les maronites, a longtemps été considérée par ces puissances comme un gage de civilisation face à un Islam jugé obscurantiste et fanatique. Mais l’apparition de l’arabisme comme force politique majeure de la région remet en question cette conception et donc le soutien européen, et plus particulièrement français, dont bénéficiaient les maronites au Liban.


Entre 1920 et 1945, on observe un affranchissement croissant des peuples de l’Orient arabe vis-à-vis des puissances européennes. Parallèlement, la dimension chrétienne de la politique européenne diminue. La France prend ainsi de plus en plus compte des intérêts des populations arabes dont l’importance démographique et politique croît. Conscients que leur occidentalité ne leur assure plus la protection française, les maronites se définissent alors comme étant la seule communauté à porter l’idée d’une patrie libanaise, alors que les communautés musulmanes, mal intégrées au système politique, sont prêtes à rallier la Grande Syrie. Le Liban est ainsi présenté par la communauté maronite comme un foyer national chrétien afin de conserver l’appui de l’Occident et de la France.


Cependant l’arabisme devient une force politique dominante tandis que le prestige de la France est fragilisé par la défaite de 1940. En 1943 avec le Pacte National, la France retient donc l’option du compromis et de la coopération entre les communautés et notamment entre les chrétiens et la communauté musulmane sunnite majoritaire pour organiser l’Etat libanais.

 

Marginalisation politique progressive des maronites 1945-2005

 

Après les années fastes suivant 1945 et le succès apparent du modèle libanais de coopération, 1968 et la révolution palestinienne réintroduisent les clivages politiques entre les musulmans et les chrétiens et mènent à la guerre de 1975-1990. Durant la guerre, les chrétiens se constituent en milices et participent à plusieurs massacres. Ils connaissent également de lourdes défaites qui aboutissent à la chute du gouvernement intérimaire du général Aoun le 13 octobre 1990. Au-delà des nombreuses victimes de la guerre, plus de 800 000 personnes sont déplacées, perdant logement, travail et propriétés. Parmi ces déplacés, 80% sont chrétiens et peu d’entre eux reviennent dans leur logement par la suite. Les chrétiens, et notamment les maronites, vaincus, se soumettent à l’accord de Taëf en 1989 qui réduit leur rôle dans le système politique libanais en affaiblissant par exemple drastiquement les pouvoirs du Président de la République, chrétien maronite selon le Pacte National de 1943.


L’après-guerre est une période de remise en cause de la prééminence maronite qui avait prévalu jusqu’en 1975. Le gouvernement du général Aoun, qui a réussi à mobiliser de nombreux chrétiens mais également des musulmans de diverses communautés contre l’occupation syrienne, tombe le 13 octobre 1990. Jusqu’en 2005 et le départ des troupes syriennes, les partis chrétiens subissent un phénomène de marginalisation politique. L’élite politique chrétienne, et notamment maronite, est décapitée par l’exil, l’emprisonnement ou l’assassinat de plusieurs de ses dirigeants. Cette marginalisation des politiques chrétiens, et notamment maronites, renforce le rôle du Patriarcat maronite qui redevient ainsi le porte-parole des chrétiens. Son discours et ses prises de position ont des conséquences politiques certaines entre 1990 et 2005, notamment dans la mobilisation de la population contre l’occupation syrienne. La position anti-syrienne de la communauté maronite lui vaut d’être marginalisée sur la scène politique libanaise. Cette marginalisation ne s’achève cependant pas en 2005 avec le départ des troupes syriennes puisque le retrait syrien est suivi d’une alliance quadripartite entre Hariri (sunnite), Joumblatt (druze), le mouvement AMAL et le Hezbollah, qui exclut les chrétiens du gouvernement à l’exception de quelques portefeuilles ministériels mineurs.
Peu à peu, les chrétiens se divisent en deux positions politiques selon leur adhésion au mouvement du « 14 mars » ou au mouvement du « 8 mars ». La famille Gemayel et le parti des Kataëb ainsi que les Forces Libanaises de Samir Geagea représentent les maronites au sein du mouvement du « 14 mars », aux côtés des sunnites. Le général Aoun et Suleiman Frangié représentent quant à eux les maronites dans le camp du « 8 mars », aux côtés du Hezbollah.

 

Qu’en est-il des forces traditionnelles des maronites aujourd’hui ?

 

Pendant longtemps, la communauté maronite a pu se reposer sur quatre forces principales pour compter sur la scène sociale et politique libanaise. Elle bénéficiait tout d’abord d’une prépondérance dans le système politique national, le Président de la République, obligatoirement chrétien maronite depuis le Pacte National de 1943, concentrant une grande partie des pouvoirs. Cependant, les accords de Taëf réduisent ses pouvoirs au profit du gouvernement et de son chef, obligatoirement sunnite. En outre, les maronites sont composés à partir du XIXe siècle d’une classe moyenne très impliquée dans le secteur bancaire, industriel et dans le commerce. Pendant longtemps paysans isolés dans les montagnes libanaises, ils émigrent à Beyrouth à partir du XIXe siècle et deviennent un élément moteur dans la vie économique de la capitale jusqu’à la guerre en 1975. Cependant, leur classe moyenne, comme celle de tout le pays, peine aujourd’hui à se reconstruire. Les maronites sont également à l’origine d’une réseau d’institutions éducatives, de santé, de centres sociaux étendu dans tout le pays, et ouvert à toutes les communautés, qui est encore aujourd’hui un pilier du pouvoir maronite au Liban. Enfin, l’ancienne domination démographique des maronites, observable à partir du XVIIIe siècle, n’existe plus. Les maronites sont aujourd’hui fragilisés par leur infériorité démographique par rapport aux communautés musulmanes. Leur taux de natalité est faible et leur taux d’émigration très fort. Face à cet affaiblissement démographique, ils cherchent à intégrer leur diaspora forte de 4 millions de personnes au système politique national en revendiquant par exemple le droit de vote pour les Libanais de l’étranger.

Pour Ray Mouawad [1], professeur à l’université libanaise américaine de Beyrouth et spécialiste des maronites, l’avenir des maronites et plus largement des chrétiens au Liban dépend de la stabilité des institutions libanaises. Ils pourraient être amenés à jouer un rôle de liant entre les différentes communautés libanaises tout en consolidant leur statut d’intermédiaire entre le Liban et l’Occident, et plus largement entre l’Islam et l’Occident comme le développe notamment l’intellectuel et politique libanais Ghassan Tuéni dans Enterrer la haîne et la vengeance, un destin libanais

Article publié le 17 Juillet 2013 dans Les Clés du Moyen-Orient