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Syrie : Les chrétiens à l’épreuve du présent, de Mgr Pascal Gollnisch

La grande Syrie de l’antiquité est le vrai berceau de la naissance de l’Église. Le Nouveau Testament nous raconte la conversion, puis le catéchuménat et le baptême de Saul devenu Paul à Damas, et la fondation de l’Église d’Antioche (aujourd’hui turque mais historiquement syrienne), où « pour la première fois les disciples reçurent le nom de chrétiens » (Ac. 11, 26). Cette Évangélisation première se situe dans la confluence entre une culture syriaque sémite et une culture hellénique présente depuis Alexandre, au quatrième siècle avant notre ère, porteuse d’un rêve de communion des cultures européennes… les armes à la main. Ce rêve sera repris par les romains qui remplacent les grecs, toujours les armes à la main.

La Syrie antique sera l’un des principaux foyers des controverses christologiques du cinquième siècle, le refus du concile de Chalcédoine de 451 devenant l’étendard de la révolte contre l’empereur romain de Constantinople.

Dans ce contexte surgira la religion islamique venue de la péninsule arabe, autre culture sémitique, qui installera sa première capitale à Damas. La dynastie Omeyyade trouvera un certain mode de collaboration avec les chrétiens tant sur le plan culturel qu’administratif, véritablement fondatrice de la civilisation arabophone-musulmane.

Le déplacement de la capitale à Bagdad par les califes Abbassides, la venue des croisés, les deux vagues d’invasion mongole de 1258 et de 1409 (Tamerlan), la montée en puissance des mamelouks, la venue des turcs seljoukides puis ottomans, la pénétration progressive des puissances européennes concrétisée par les mandats de la société des nations après la première guerre mondiale vont provoquer un certain endormissement du monde syrien, jusqu’au réveil des années trente, porté par les fondateurs, en partie chrétiens, du parti Baas.

En réalité, deux stratégies sont possibles pour les chrétiens :

  • soit affirmer son identité religieuse minoritaire et demander la protection de l’Occident, en particulier de la France,
  • ou viser l’établissement d’un régime supra religieux, garant de la pleine citoyenneté pour tous.

Les chrétiens, déçus par l’attitude de la France, vont préférer cette dernière solution, soutenue par une forme d’alliance -très relative- entre les minorités alaouite, druze, kurde, et chrétienne. Cet idéal de citoyenneté supra religieuse confrontée à la montée de l’islam politique sera l’un des éléments de la crise syrienne. Mais l’idéal du Baas sera récupéré par le pouvoir militaire et une certaine socialisation de la société. Cette dernière sera souvent à l’origine d’une émigration de la bourgeoisie syrienne qui fuira davantage un pouvoir considéré comme autoritaire qu’un islam fondamentaliste, du moins jusqu’à la crise actuelle.

Si en chiffre absolu le nombre de chrétiens a augmenté depuis cinquante ans (triplé selon certains[1]), l’évolution numérique n’est pas favorable, en raison de l’émigration mais surtout en raison du dynamisme démographique de la population musulmane qui a marginalisé durant le vingtième siècle la population chrétienne.

Pendant cette période quatre événements internationaux ont marqué profondément la Syrie et traumatisé les chrétiens.

  • La chute de l’Empire ottoman s’est accompagnée du génocide arménien mais aussi du massacre des autres chrétiens qui, fuyant les attaquants turcs et kurdes, ont trouvé un accueil dans la population arabe syrienne, y compris musulmane.
  • Le conflit israélo-palestinien et les guerres successives, l’accueil des réfugiés palestiniens, représentent un problème, non réglé à ce jour, et qui a contribué à légitimer la nature militaire du régime.
  • La chute du régime irakien s’est traduite par un développement du djihadisme à ses portes, l’encouragement de la volonté autonomiste des kurdes et par l’afflux des réfugiés irakiens.
  • Enfin l’invasion du Liban, au début pour séparer palestiniens et maronites puis au service d’un projet d’occupation, a contribué à un certain isolement des chrétiens de Syrie. Cependant, malgré certaines épreuves comme la nationalisation des écoles les chrétiens ont pu développer leurs œuvres sociales et donc exercer une influence qui va bien au-delà de leur réalité numérique.

Le visiteur européen sera étonné par la diversité des Églises. Il convient d’être prudent. La diversité n’est pas nécessairement division et reflète souvent des histoires et des cultures différentes que l’unicité ecclésiale exprimerait mal. On trouve ainsi une Église Grecque orthodoxe, fidèle à Chalcédoine, et sa sœur catholique, l’Église grecque melkite. L’Église syriaque (monophysite) et sa sœur catholique. L’Église arménienne et ses sœurs catholique et protestante.

L’Église de l’ancien empire de Perse, les Assyriens ou les chaldéens catholiques. Les maronites et les latins, toujours catholiques. Enfin des anglicans et des protestants sont présents mais moins nombreux que dans les pays placés sous mandat britannique.

Aujourd’hui la Syrie vit une tragédie.

L’Occident avait prévu :

  • une chute rapide du régime Assad,
  • un rapprochement des positions russe et chinoise,
  • une structuration des rebelles pour constituer une opposition démocratique alternative.

Ces trois éléments ne se sont pas vérifiés et on observe une montée djihadiste angoissante et traumatisante pour les chrétiens, certains groupes voulant clairement leur disparition. Le drame de la guerre civile se traduit par des déplacements et des exodes massifs de nature à déstabiliser le Liban. Les morts, les blessés, les destructions de bâtiments, l’effondrement de l’économie devraient provoquer une réaction vive de la communauté internationale, qui a une part de responsabilité dans cette situation. La libération récente des otages journalistes a montré le développement du djihadisme international. On peut être étonné de la passivité des occidentaux devant cet inquiétant phénomène.

Les chrétiens partent. Ils quittent leur pays.

Personne n’est en mesure de savoir ce que sera leur avenir. Leur avenir est lié à la modernisation de la société syrienne, et à des avancées démocratiques. Il leur faut beaucoup de foi pour garder l’espérance.

Père Pascal Gollnisch, Directeur général de l’Œuvre d’Orient

Article publié initialement sur le site Le Courrier du Maghreb et de l’Orient

 


[1] Jean Pierre Valognes,Vie et mort des chrétiens d’Orient, 1995, Paris, Fayard