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Les coptes et les musulmans, une fraternité précaire ? Eliane Ursula ETTMUELLER - 2008

 

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Par Eliane Ursula Ettmueller

Universidad Complutense de Madrid/Ruprecht-Karls-Universität Heidelberg

La relation entre musulmans et minorités chrétiennes d’Égypte a subi de grands changements tout au long de la cohabitation des deux religions sur le même territoire. Cet article entend analyser leur face à face et la répercussion sur cet équilibre des multiples ingérences extérieures. Il propose en même temps de vérifier dans le contexte égyptien, l’hypothèse de Gilles Kepel sur le renouveau d’une religiosité exclusiviste, intégriste et agressive, exposée dans son ouvrage « La Revanche de Dieu » paru en 1991.

Quelques retours sur l’Histoire

L’arrivée de l’évangéliste saint Marc entre 48 et 64 ap. J.-C marqua le début de l’histoire du christianisme en Égypte. Plus tard, au Conseil de Chalcédoine en 451, l’Église égyptienne se sépara des Églises latine et grecque sur fond de dispute christologique, l’Église égyptienne défendant sous le patriarche Cyril la doctrine du monophysisme. Ainsi, deux confessions étaient donc établies en Égypte dès la deuxième moitié du Ve siècle, l’Église byzantine et l’Église monophysite égyptienne. Ce schisme provoqua beaucoup de persécutions des chrétiens égyptiens par l’Empire Byzantin qui s’achevèrent, paradoxalement, avec la conquête arabe de leurs terres.

2 Il est important de signaler qu’avant la conquête arabe, tous les Égyptiens étaient appelés « coptes[1] [1] L´orientaliste Volney fut le premier à constater au XVIIIe…». Toutefois, après l’arrivée de l’islam au pays des pyramides, où il devint majoritaire au début du XIIe siècle, ce nom subit un changement de signification qui faisait désormais référence à une réalité religieuse et non plus ethnique.

3 Les chrétiens vécurent, à travers les siècles, beaucoup d’événements favorables ou défavorables, conditionnés par le contexte politique dans lequel se trouvaient immergées les différentes administrations islamiques qui interprétaient, avec beaucoup de liberté, ce que devait être le contenu des droits protégeant les ahl al-dhimma [2] [2] Les communautés monothéistes non musulmanes sous règne…
définis comme tels selon la loi islamique. En fait, la condition assez précaire, surtout en ce qui concerne la participation aux affaires de l’État en matière politique et administrative, ne commença à s’améliorer visiblement qu’à partir du XIXe siècle avec l’arrivée au pouvoir de la dynastie de Mohammad Ali. Pendant cette période, les chrétiens s’intégrèrent dans l’administration de l’État. Ainsi, par exemple, le conseiller financier de Mohammad Ali fut pendant de nombreuses années le copte al-Mu’allim Ghali. Ses coreligionnaires purent gérer leurs affaires plus librement et ils commencèrent à gagner du prestige parmi les classes aisées et les intellectuels en Égypte. Pour ce qui est des lois discriminatoires, l’impôt de jizya [3] [3] La taxe spéciale imposée aux peuples dhimmi. …
fut aboli en 1855 et, dix ans plus tard, les coptes allaient être recrutés dans l’armée et admis au premier Conseil consultatif, aux côtés de leurs compatriotes musulmans.

4 Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la minorité chrétienne d’Égypte vécut des moments tourmentés, mais pas forcément dans ses relations avec les musulmans. En premier lieu, les missionnaires catholiques et protestants anglicans qui avaient échoué dans leur objectif de convertir les musulmans réorientèrent en effet leurs efforts vers la minorité chrétienne, plus ouverte à la réception du message provenant d’une autre confession chrétienne que leurs compatriotes musulmans. Par conséquent, deux Églises s’ajoutèrent alors à la géographie religieuse égyptienne : l’Église anglicane, fondée en 1860, et la première Église catholique officielle créée en 1895. Ainsi, les chrétiens égyptiens étaient divisés entre coptes orthodoxes, coptes protestants et coptes catholiques, le premier groupe étant resté de loin le plus important dans l’espace public jusqu’à aujourd’hui.

5 Le deuxième épisode qui agita la communauté copte[4] et provoqua davantage de conversions vers les deux nouvelles communautés chrétiennes fut causé par les tensions entre les croyants et le pape copte. Les premiers commencèrent à dénoncer certains abus du clergé. Insistant surtout sur la critique de la corruption, ils exigèrent la formation d’un conseil de fidèles indépendant du clergé (majlis al-milli) pour pouvoir accompagner ce dernier dans l’élaboration de la politique économique et sociale de leur communauté. Le principal point de dispute concernait la gestion des fondations religieuses (waqf). En 1874, le gouvernement du Khédive Ismaïl répondit favorablement à la proposition, présentée par Boutrous Ghali Pasha[5] Il allait devenir Premier ministre en 1908. Il fut le…, d’établir un Conseil copte qui allait améliorer l’administration de la minorité chrétienne. Le premier majlis al-milli fut ainsi élu parmi les laïcs. Dès lors et jusqu’en 1948, les patriarches coptes allaient se battre pour placer cette institution rebelle sous leur autorité.

6 Résumons : au cours du XIXe siècle, avec la transformation de l’Égypte en État moderne, les coptes s’étaient intégrés progressivement aux affaires publiques, les élites coptes ayant commencé à coopérer plus directement avec les autorités musulmanes en ce qui concerne la gestion de leur propre communauté : « Le patriarche était un représentant officiel, sujet à un minimum d’approbation de la part du gouvernement. En plus, le majlis al-milli se trouvait sous les ordres du ministère de l’Intérieur. L’État avait la faculté de déterminer comment le pouvoir devait être distribué au sein de la communauté et quel groupe devait superviser les fondations [waqf]. [6] [6] Carter, B. L. , The Copts in Egyptian Politics, New Hampshire,…»

7 En ce qui concerne la réforme de l’Église copte et la formation du majlis al-milli, il est facile de percevoir l’interaction et la communication de la communauté copte, avec, d’une part, le gouvernement musulman et, d’autre part, les chrétiens arrivés d’Europe. Nous devons donc analyser la réaction des coptes à l’arrivée des chrétiens de l’étranger et l’influence de cet échange social sur la relation entre coptes et musulmans en Égypte.

 

 

Égyptiens plutôt que minoritaires

 

8 Quelques auteurs se plaisent à présenter le modèle égyptien comme un cas exemplaire de cohabitation pacifique entre les musulmans et la plus grande communauté chrétienne au Moyen-Orient[7] [7] Environs 10 % de la population égyptienne est copte…. D’autres, moins optimistes, mettent en doute la réalité de ce partage de la patrie commune entre les deux groupes religieux.

9 Pour pouvoir mieux appréhender cela, il est donc nécessaire de se poser la question de savoir si en Égypte l’identité religieuse prime sur l’identité nationale. En cela, la réaction de la communauté chrétienne à l’arrivée d’autres chrétiens peut être assez éclairante. Généralement, les coptes ne réagirent pas avec un grand enthousiasme à la venue des chrétiens venant d’ailleurs pour conquérir leurs terres, même quand ils disaient combattre l’islam au service du christianisme.

10 Par exemple, l’arrivée des chevaliers luttant contre l’ennemi musulman pour la reconquête de la Terre Sainte fut perçue avec beaucoup de méfiance par les chrétiens autochtones : « Pendant les croisades, les coptes, sous les Ayyoubides, montraient peu d’équanimité envers les Européens. Au contraire, ils interprétèrent la défaite des croisades comme une punition de l’hérésie de l’Église occidentale. En même temps, ils rejetèrent la prétention des chevaliers des croisades qui disaient qu’ils essayaient de protéger les minorités chrétiennes et, parmi celles-ci, les coptes [8] [8] El-Feki, M. , Copts in Egyptian Politics, Le Caire, General…. »

11 Quelques siècles plus tard, l’expédition française de Bonaparte fut menée sous le prétexte de libérer les peuples musulmans du joug des Mamelouks. Cette défense de l’islam par Bonaparte – qui est allé aussi loin que de s’auto-proclamer musulman[9] [9] Vid.  : Meinardus, O. F. A. , Two Thousand Years of Coptic…– ne pouvait évidemment pas plaire aux chrétiens sur place et fut fortement critiquée par des auteurs coptes comme K. Mikhail[10] [10] Mikhail, K. , Copts and Moslems under British Control, Londres,…. Pourtant, après la rébellion cairote de 1800, les Français cherchèrent à se rapprocher des coptes dans l’espoir de trouver des alliés dociles parmi leurs coreligionnaires. Ils obtinrent quand même un succès partiel dans cette entreprise avec la collaboration militaire du général Yacoub et de sa légion copte.

12 L’occupation anglaise, 80 ans après l’expédition de Bonaparte, trouva plus facilement des adeptes parmi les coptes en raison de leur marginalisation par le mouvement nationaliste islamisant de Ourabi Pacha. En effet, les écoles idéologiques où puisaient les forces d’opposition contre l’invasion étrangère, se concentraient d’abord sur le panarabisme propagé par Gamal al-Din al-Afghani et sur la fusion de celui-ci avec le panislamisme, œuvre de son disciple Muhammad Abdouh. Les coptes se sentaient donc menacés par les deux et préférèrent majoritairement s’identifier aux ancêtres de leur passé glorieux des temps pharaoniques, ce que les musulmans ne purent accepter car ce rapport historique devait les mettre au deuxième rang, c’est-à-dire celui d’Égyptiens moins « authentiques ».

13 Ces différents courants idéologiques sur fond d’activités des Anglais inspirées de la pratique du divide and rule provoquèrent de grandes tensions entre les deux communautés religieuses au début du XXe siècle. Elles conduisirent à l’assassinat du Premier ministre copte Boutrous Ghali Pacha en 1910.

14 En 1911, les coptes convoquèrent une conférence à Assiout pour revendiquer le respect du dimanche en tant que jour férié, l’ouverture de toute l’administration aux fonctionnaires chrétiens, l’introduction d’une réforme de la loi électorale pour faciliter l’entrée de leurs représentants aux conseils locaux, l’accès aux nouvelles facilités éducatives pour les élèves coptes et la distribution des subventions gouvernementales au profit des institutions de la société civile sans discrimination religieuse. Comme pour contrarier les revendications des chrétiens, il y eut la même année une conférence musulmane appelée Conférence égyptienne.

15 Au final, toutes les demandes coptes furent refusées. Saad Eddin Ibrahim a interprété ces événements, comme participant aussi de la règle du divide and rule, destinée à atténuer la cohésion nationale dont le talon d’Achille avait toujours été la relation entre les deux religions. Et le président du Centre Ibn Khaldoun de conclure : « Les deux conférences auraient pu avoir de graves conséquences en exacerbant les hostilités entre les musulmans et les coptes. […] Pourtant, cette provocation n’était pas arrivée à atteindre son but [11] [11] Eddin Ibrahim, S. , op. cit. (1996), p.  12. …. »

16 Ce qui empêcha un affrontement religieux violent fut sûrement l’arrivée d’un nationalisme égyptien qu’on pourrait qualifier de laïc. Ici nous nous référons au mouvement de Saad Zaghloul qui se distingua profondément de celui d’Ourabi qui, lui, s’appuyait sur la religion et sur les éléments émotionnels pour mobiliser les paysans. « Le Mouvement National Egyptien, au début du XXe siècle, bien qu’il fut en quelque sorte une renaissance du mouvement précédent, faisait surtout appel à la raison et était guidé par une petite bourgeoisie occidentalisée. Le rêve d’un Islam réformé a cédé la place à une revendication de la liberté politique et de l’auto-gouvernement [12] [12] El-Feki, M. , op. cit. (1991), p.  54-55. …. »

17 Un des hommes politiques coptes les plus importants commença sa carrière dans le Wafd – parti fondé par le mouvement nationaliste de Saad Zaghloul – en même temps que le futur Premier ministre al-Nahhas. Il s’agissait de Makram Ebeid qui fut plusieurs fois délégué aux négociations avec les Anglais, ministre des Finances et un des dirigeants les plus distingués du Wafd. Bien qu’Ebeid ne se fût jamais présenté en tant que défenseur de sa communauté religieuse, ses activités politiques et le message pour la cohésion nationale lancé par le Wafd eurent une grande portée symbolique. En conséquence, pendant la révolution nationale de 1919, musulmans et coptes fraternisèrent de façon peut-être inédite[13] [13] Cette année-là, les représentants des coptes ont participé….

18 Quand les Anglais voulurent introduire, dans le Traité d’Indépendance de 1922, une clause qui aurait justifié leur intervention en Égypte par une prétendue protection des intérêts des étrangers et des minorités, les coptes et le Wafd protestèrent énergiquement. Les premiers firent valoir aux occupants en partance qu’ils étaient des Égyptiens comme les autres et non une minorité dont ils pouvaient abuser pour justifier leur politique interventionniste.

19 Cependant, la lune de miel du mariage révolutionnaire des musulmans et des coptes ne dura pas longtemps. À partir des années 1930, l’idéologie d’un retour vers la religion pour résoudre les problèmes du post-colonialisme s’imposa. Dans ses campagnes de sensibilisation religieuse de la société, l’Association des Frères Musulmans (jama’a al-ikhuan al-muslimin), fondée par Hassan al-Banna en 1928, obtint en effet de vifs succès. Ainsi, dans les années 1940, les hostilités ouvertes entre coptes et musulmans recommencèrent. Ces chocs violents entre les deux groupes, amortis par les événements de la Deuxième Guerre Mondiale resurgirent peu après 1945. En outre, les disputes au sein du parti nationaliste Wafd et son affaiblissement contribuèrent à marginaliser de nouveau les coptes dans l’activité politique.

20 Même si le Wafd n’avait jamais été un « parti guidé par les coptes », comme l’accusait son opposition, sa volonté d’unir tous les Égyptiens dans la lutte nationaliste poussait les coptes à y adhérer. Par conséquent, les gouvernements formés par le Wafd portaient au pouvoir le plus souvent deux coptes, comme Wasif Boutrous Ghali et Makram Ebeid, aux ministères des Affaires Etrangères et des Finances et, depuis Zaghloul, « la proportion de la représentation copte au Parlement égyptien était directement proportionnelle à la représentation de tout le Wafd, cela veut dire, à la force électorale du parti Wafd.[14] [14] El-Feki, op. cit. (1991), p.  179. …» Il faut également souligner que les coptes avaient prouvé un fort sentiment patriotique et une loyauté inconditionnelle envers le mouvement nationaliste aux temps de la lutte pour l’indépendance et trente ans plus tard pendant le coup d’Etat des Officiers Libres[15] [15] Meinardus, O. F. A. , Two Thousand Years of Coptic Christianity,….

Ces derniers, après s’être installés au gouvernement, proclamèrent la liberté de religion. Nonobstant ce principe, le début du régime de Nasser coïncida pour les coptes à des évolutions défavorables, et ce à plusieurs niveaux : au niveau politique, en raison de la dissolution des partis en 1953, les coptes, désormais écartés du Conseil de la Révolution, en tout cas de facto puisque l’institution militaire ne les accueillait pas beaucoup, se retrouvèrent éloignés de la gestion de l’État ; au niveau économique, la confiscation publique des terres provoqua l’émigration des coptes aisés vers les États-Unis où la plus grande association copte de la diaspora – l’American Coptic Organization – fut créée ; enfin au niveau « organisationnel », la plus grande crise du XXe siècle de la papauté copte eut lieu entre 1954 et 1959, laissant vacant le Siège de saint Marc pendant deux années et demi. Quant au majlis al-milli, il resta suspendu jusqu’en 1971. (Ces circonstances facilitèrent l’adoption d’une loi, en 1957, qui remplaça tous les waqf par des fondations gouvernementales.)

22 Tous ces événements n’empêchèrent pourtant pas les coptes de se joindre activement à la lutte de leurs compatriotes musulmans pour la nationalisation du Canal de Suez. En 1965, le nouveau pape Cyril VI s’opposa même à l’abandon de la théorie de la culpabilité des juifs dans l’assassinat de Jésus-Christ édicté par le Deuxième Concile du Vatican, ce qui a causa une crise politique majeure entre les deux Églises. Cette attitude du patriarche contribua à la lutte patriotique de l’ensemble des musulmans et des coptes contre Israël deux ans plus tard, c’est-à-dire lors de la guerre de 1967.

23 Pour revenir à la question posée au début sur le primat de l’identité nationale ou de l’identité religieuse, à l’évidence, le XXe siècle apporte une réponse : l’identité nationale prime dès qu’il y a une menace extérieure. Les coptes font preuve d’un grand nationalisme tout en étant fiers de leur christianisme de longue tradition qui n’a pas dévié du message originel du Christ comme l’auraient fait les dogmes des autres Églises plus jeunes.

24 En ce sens-là, il est compréhensible qu’ils se sentent plus à l’aise avec leurs compatriotes musulmans qu’avec le reste des chrétiens qui, selon eux, n’auraient rien compris au vrai christianisme. Les intromissions hostiles des Européens qui essayèrent de convertir et d’exploiter l’Égypte en usant des différends entre musulmans et chrétiens pour mieux pouvoir s’imposer, ont renforcé le nationalisme copte. Particulièrement symptomatique sont les déclarations du pape Chénouda III. Ainsi, par exemple en 1994, dans une conférence des Nations-unies sur les droits des minorités à Chypre, il fit savoir au monde que les coptes ne voulaient pas être distingués des autres Égyptiens. Il insista sur le fait que sa communauté religieuse ne se sentait pas comme une minorité qui a besoin de revendiquer ses droits politiques et de demander de l’aide à l’étranger. Il conclut en disant que les coptes étaient des Égyptiens et qu’ils faisaient partie de l’Égypte, de la même nation que les musulmans[16] [16] Cité par Meinardus, O. F. A. , op. cit. (1999), p.  85. ….

25 Pourtant, pendant les trente dernières années, eurent lieu des « incidents interconfessionnels » ainsi qualifiés par euphémisme, qui pourraient confirmer la thèse de Gilles Kepel[17] [17] Kepel, G. , La Revanche de Dieu, Chrétiens, Juifs et Musulmans…
d’une intensification de la prise de conscience religieuse et la défense violente de celle-ci en Égypte. Il nous reste donc à analyser la vraisemblance d’un renforcement du choc entre coptes et musulmans comme conséquence de la « revanche de Dieu ».

 

 

L’ Égypte et la revanche de Dieu – Conclusions

 

26 Le changement de présidence de Nasser à Sadate bouleversa complètement le système politique égyptien, Sadate s’étant présenté à son peuple comme un président croyant qui faisait un large usage du vocabulaire religieux dans ses discours politiques. Ainsi, il essaya de s’appuyer davantage sur les forces religieuses pour marginaliser l’opposition gauchiste. Le choc avec les coptesdehors ;-)) ne tarda pas à se produire. Dès que les élites coptes se rendirent compte de l’intention du nouveau président de proclamer l’Égypte « État islamique » et d’introduire la charia comme base de la législation, elles protestèrent fortement. Le 17 et le 18 juillet 1972, une conférence copte fut convoquée à Alexandrie contre la nouvelle Constitution. Sadate y répondit par sa « Conférence pour l’Unité Nationale », le 24 du même mois, en déclarant la liberté de religion. Mais ceci ne devait pas pour autant suspendre les hostilités.

27 À l’automne, plusieurs attaques violentes contre des églises et des institutions coptes eurent lieu à Sanhoor et à Khanka. Une commission parlementaire, formée pour analyser les conflits, décida de donner la permission aux coptes de construire 50 églises par an[18] [18] Une promesse qui n’est jamais devenue réalité. ….

28 En mars 1978, des confrontations violentes entre coptes et musulmans à Minya et à Assiout donnèrent lieu à une marche de protestation de quatre-vingt-dix prêtres. Le conflit interconfessionnel reprit entre les dirigeants le 26 mars 1980, quand le pape Chénouda III se prononça officiellement contre l’instauration de la charia comme source principale de la législation. La visite de Sadate aux États-Unis fut même troublée par des manifestations organisées contre la discrimination religieuse par une délégation venue d’Égypte en collaboration avec l’Organisation Copte Américaine. La réaction présidentielle fut très vive. Accusant à tort Chenouda III d’inciter au sécessionnisme et d’appeler à la création d’un État copte en Haute Égypte, Sadate le déposa de ses fonctions, le 5 septembre 1981, et le fit placer en résidence surveillée au monastère de saint Bishoy. Ses obligations furent administrées par un Comité de l’État. Il est important de mentionner que le majlis al-milli, toujours jaloux de sa position vis-à-vis d’un pape trop charismatique, appuya alors Sadate dans cette décision.

29 L’augmentation de la ferveur religieuse ne faisait pas forcément des musulmans un allié politique docile. La participation du président Sadate aux accords de paix de Camp David avait été perçue comme un grand péché aux yeux des groupes fondamentalistes qui ne cessaient de traiter d’hérétique le gouvernement. Sadate devint donc la victime de ces esprits que lui-même avait voulu mobiliser au début de sa présidence, puisqu’il fut assassiné par les islamistes.

30 Avec Moubarak, il semblait, en tout cas au début de son mandat, que les relations interconfessionnelles allaient se normaliser. Après avoir été retenu dans son monastère pendant quatre ans, le patriarche Chenouda III put retourner à la tête de sa communauté en 1985. Cependant, à la fin des années 80, les violents conflits qui se produisirent en Haute Égypte amorcèrent un nouveau cycle de haine religieuse dans cette région. Au mois de mars 1987, des fanatiques islamistes accusèrent les coptes d’avoir incendié la mosquée de Kotb à Sohag et se vengèrent en brûlant, dans la même ville, l’église de la Sainte Vierge. Au mois de septembre, de multiples incidents violents furent enregistrés à Minya et à Assiout. L’année suivante, au Caire, une église fut incendiée à Rod el Farag et une bombe explosa près de l’église de la Sainte Vierge à Massarra. Deux ans plus tard, une autre attaque spectaculaire à la bombe se produisit à l’église de la Sainte Vierge d’Aïn Shams.

31 Selon Saad Eddin Ibrahim, l’année 1992 fut la plus sanglante de l’histoire contemporaine des conflits interreligieux en Égypte : 22 chrétiens décédèrent et 285 furent blessés[19] [19] Vid.  : Eddin Ibrahim, S. , op. cit. (1996). …. En 1997, le gouvernement trouva dans l’assaut contre l’église copte d’Abu Qirqas au Sud de Minya, une excuse pour prolonger l’état d’urgence[20] [20] En place pendant toute la décennie des années 90. … pour les trois années suivantes. Douze personnes y avaient trouvé la mort. Ces mesures n’allaient pourtant pas empêcher un massacre dans le village de Kosheh, où vingt coptes furent tués deux ans plus tard.

32 Au cours des huit dernières années, les hostilités entre coptes et musulmans continuèrent. Un incident assez spectaculaire fut l’agression à l’arme blanche des pratiquants réunis dans trois églises d’Alexandrie, par un individu déclaré déséquilibré mental par la police. Cette attaque entraîna des combats de rues entre musulmans et coptes au mois d’avril 2006.

33 Malgré cette détérioration, les revendications d’égalité ne s’estompent guère, au contraire. Ainsi, à la première conférence nationale contre la discrimination religieuse qui a eu lieu au Caire le 12 avril 2008, les représentants des ONG, hommes politiques et intellectuels, ont exigé la suppression de l’amendement de 1980 à l’article 2 de la Constitution qui fait de la charia la source principale de la législation, l’abolition de l’enseignement religieux dans les écoles publiques, et l’élimination du « fichier copte[21] [21] Fichier sur toutes les affaires coptes. Il a été administré…» des archives des services secrets[22] [22] Ashraqaoui, H. , « al-muatamar al-ouatani al-auel limnahatha…. À la suite des élections locales qui ont eu lieu le même mois et que les Frères Musulmans avaient appelé à boycotter en raison des manipulations plus que visibles du gouvernement, les coptes membres du Parti Démocratique National de Moubarak se sont plaints de leur marginalisation. D’autre part, le mouvement Kefaya, devenu assez important en Égypte où il représente la troisième voie entre le parti du président et les islamistes, fait de l’égalité citoyenne un pilier de sa doctrine. Un de ses leaders, George Ishak, fait montre d’une réelle audace.

34 Toutefois, les événements évoqués illustrent le fait que les coptes sont encore considérés comme des citoyens de deuxième catégorie, si le concept de « citoyen » peut être utilisé dans le contexte d’une démocratie ouvertement figée et caricaturale. Rien ne semble vraiment être resté du temps de la lutte nationale unifiée de l’ancien parti Wafd.

35 Pour ce qui est des hostilités entre coptes et musulmans, la définition que Frank Van der Velden a proposée reflète leur réalité avec beaucoup de précision. Il les a définies comme étant des conflits non pas religieux mais au long de la frontière religieuse [23] [23] Van der Velden, Christen in Ägypten, Le Caire, ökumenisches….

36 En direction de l’étranger, les coptes n’ont jamais abandonné leur lutte contre la dénomination humiliante de « minorité ». À l’intérieur pourtant, ils font face aux agressions verbales et physiques qui se sont multipliées depuis la présidence de Sadate. Il y a clairement un retour vers les religions qui promettent un avenir parfait dans l’au-delà après la souffrance et la lutte passagère sur une terre corrompue. Le mur entre musulmans et coptes, bien qu’il ne soit pas aussi visible que celui qui a séparé les communautés religieuses dans les cités de l’Espagne au temps du califat de Cordoue, a été renforcé, ce qui se manifeste par les multiples scandales autour des conversions et la quasi impossibilité du mariage entre croyants des deux religions.

37 L’enseignement médiocre que reçoivent les enfants sur les autres religions du pays ne facilite pas la cohabitation. En même temps, les autorités religieuses ont plus de succès avec des discours qui alimentent la haine d’un peuple littéralement affamé, qu’avec des sermons en faveur de la tolérance. La « revanche de Dieu » a pris possession de la terre des Pharaons qui n’a pourtant jamais vécu une époque pleinement sécularisée et libre de « conflits interconfessionnels ».

38 Au sein d’un système politique autoritaire, pétrifié et corrompu, d’une économie d’un capitalisme agressif et « néocolonialiste » qui n’arrive pas à satisfaire la demande d’emploi des jeunes Égyptiens et d’une société écartelée entre une structure familiale omniprésente, traditionnelle et suffocante, et les excès des riches et des étrangers qui exhibent leur légèreté morale et leur luxe d’une manière obscène, les habitants sont convaincus que le lendemain sans soucis ne peut qu’arriver « inch Allah [24] [24] « Si Dieu veut bien.  » …».

 

Notes

[ 1] L´orientaliste Volney fut le premier à constater au XVIIIe siècle que le mot arabe qubti (copte) devait être une dérivation étymologique du grec ai-goupti-os (égyptien). Vid. : Volney, C.F., Voyage en Égypte et en Syrie, Paris, 1787.Retour

[ 2] Les communautés monothéistes non musulmanes sous règne islamique.Retour

[ 3] La taxe spéciale imposée aux peuples dhimmi.Retour

[ 4] A partir d’ici, quand on parle de « copte » on se réfère à la communauté copte orthodoxe.Retour

[ 5] Il allait devenir Premier ministre en 1908. Il fut le premier chrétien à accéder au poste politique le plus distingué de son pays dans l’histoire de l’Égypte musulmane. En 1910, il a pourtant été assassiné par un nationaliste musulman du Parti National.Retour

[ 6] Carter, B.L., The Copts in Egyptian Politics, New Hampshire, Croom Helm, 1986, p. 39.Retour

[ 7] Environs 10 % de la population égyptienne est copte ce qui veut dire que la communauté chrétienne en Égypte est quatre fois celle du Liban et deux fois celle du Soudan. Vid. : Eddin Ibrahim, S., The Copts of Egypt, Royaume Uni, Minority Rights Group International Report, 1996.Retour

[ 8] El-Feki, M., Copts in Egyptian Politics, Le Caire, General Egyptian Book Organization, 1991, p. 62.Retour

[ 9] Vid. : Meinardus, O.F.A., Two Thousand Years of Coptic Christianity, Le Caire, The American University in Cairo Press, 1999.Retour

[ 10] Mikhail, K., Copts and Moslems under British Control, Londres, 1911.Retour

[ 11] Eddin Ibrahim, S., op. cit. (1996), p. 12.Retour

[ 12] El-Feki, M., op. cit. (1991), p. 54-55.Retour

[ 13] Cette année-là, les représentants des coptes ont participé aux fêtes de Ramadan et ceux des musulmans aux Pâques coptes.Retour

[ 14] El-Feki, op. cit. (1991), p. 179.Retour

[ 15] Meinardus, O.F.A., Two Thousand Years of Coptic Christianity, Cairo, The American University of Cairo Press, 1999.Retour

[ 16] Cité par Meinardus, O.F.A., op. cit. (1999), p. 85.Retour

[ 17] Kepel, G., La Revanche de Dieu, Chrétiens, Juifs et Musulmans á la Reconquête du Monde, Paris, Editions du Seuil, 1991.Retour

[ 18] Une promesse qui n’est jamais devenue réalité.Retour

[ 19] Vid. : Eddin Ibrahim, S., op. cit. (1996).Retour

[ 20] En place pendant toute la décennie des années 90.Retour

[ 21] Fichier sur toutes les affaires coptes. Il a été administré par la présidence elle-même jusqu’à ce que Sadate l’ait transmis aux services secrets.Retour

[ 22] Ashraqaoui, H., « al-muatamar al-ouatani al-auel limnahatha a-tamiiz al-dini fi misr ioutalaba bilagha’ mada al-din min mounahig a-ta’alim oua sahb al-moualifa al-qubti min qubtha alan », Ad-Doustour, 13/4/2008.Retour

[ 23] Van der Velden, Christen in Ägypten, Le Caire, Ökumenisches Institut Kairo, 2003.Retour

[ 24] « Si Dieu veut bien. »Retour

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