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Le Liban de nouveau consacré à Notre-Dame de Fatima

Le reportage de l’Orient le Jour

Nous attrapons sœur Gloria Maalouf dans le corridor d’entrée de la Casa do Carmo (Maison de Notre-Dame du Carmel), une hôtellerie collée au sanctuaire de Fatima. Elle appartient à la congrégation des servantes du Cœur Immaculé de Marie. Comment une fille de Kfartay (Metn) a pu finir au Portugal, nous ne le saurons jamais, mais une chose est sûre : elle sait se rendre indispensable aux organisateurs. En hâte, elle nous rappelle le programme de la veillée de prière de ce samedi, première partie de cette Journée du Liban à Fatima organisée à l’occasion du centenaire des apparitions de la Vierge (1917-2017) : le chapelet, la procession aux flambeaux, puis l’exposition du Saint-Sacrement et un moment d’adoration… jusqu’à 3 heures du matin. « Sinon, la paix ne viendra pas ! » lance-t-elle en tournant le dos pour se rendre à la Chapelle des apparitions, où la veillée commence. La journée doit se clôturer, dimanche, avec le renouvellement de la consécration du Liban au Cœur Immaculé de Marie, effectuée la première fois en 2014.

« Jusqu’à trois heures du matin… Sinon, la paix ne viendra pas ! »
C’est une affirmation extrême, mais elle a probablement raison. « Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! » avait insisté l’ange de l’apparition, en 1917, en désignant la terre. La Vierge aussi est dans l’extrême. La Seconde Guerre mondiale et l’horreur des communismes, annoncées en 1917 par Marie « si on ne l’écoute pas », ce n’était rien d’autre. Si c’est aux châtiments qu’on mesure la gravité de la faute, elle devait être immense : 66 millions de morts en URSS, selon Soljenitsyne, qui a goûté au goulag. Autant dans une guerre déclenchée par l’idéologie nazie qui a même programmé l’élimination d’une race.

 

Pas de pèlerinage sans conversion
Venu à Fatima renouveler, aux côtés du patriarche maronite Béchara Raï, l’acte de consécration du Liban, Mgr Paul Rouhana, évêque maronite de Sarba, insiste sur l’importance de la conversion. « On peut venir à Fatima, à Lourdes ou à Harissa pour des raisons égoïstes, remarque-t-il. Se rendre dans les sanctuaires pour notre gratification personnelle, pour recevoir des grâces de consolation, c’est quelque chose, mais c’est insuffisant. Pour être réellement agréée, pour être une voie vers la paix, la visite doit s’accompagner d’une conversion du cœur à l’amour de Dieu et du prochain. À l’amour dont parle saint Paul dans l’épître aux Corinthiens. Il est au cœur des relations entre les êtres humains. C’est un programme entier de conversion, de patience, de pardon, de maîtrise de soi. C’est le contraire de la dureté de cœur. Il faut relier la foi populaire aux vertus théologales de foi, d’espérance et de charité, pour qu’elle porte du fruit. »

C’est le défi devant lequel sont placés les milliers de fidèles venus du Liban et de tous les pays de l’émigration, pour répondre à l’appel de la commission de consécration du Liban, au cours d’un pèlerinage rendu possible par un travail acharné d’organisation dirigé par une femme d’exception, Suzie Hage. Samedi soir, les cœurs des pèlerins libanais venus de tous les pays du monde étaient gonflés d’espérance. Le matin, une brèche avait déjà été faite au protocole méticuleux du sanctuaire, quand on avait autorisé le patriarche maronite dans la petite Chapelle des apparitions, privilège réservé au pape. Le soir et à la nuit tombée, un rosaire a été récité devant cette même chapelle, avec des séquences en arabe et en arménien, toujours par autorisation spéciale. La langue arménienne a été utilisée en l’honneur de l’Église arménienne-catholique, dont le vicaire patriarcal, Georges Assadourian, a fait le pèlerinage, en même temps que le patriarche des syriaques-catholiques Youssef III Younan et une trentaine de prêtres.

Au témoignage des pèlerins étrangers présents à cette veillée, les cantiques orientaux lui ont donné une saveur particulière. La procession aux flambeaux a été, elle, encore plus féerique que d’habitude, rehaussée qu’elle était par les chants polyphoniques d’une chorale triée sur le volet par le ténor Gaby Farah, dont le Salve Regina a été une révélation de ce pèlerinage.
Que la grâce de Dieu ait marqué cette veillée de prière, le patriarche l’a confirmé le lendemain au micro d’une journaliste portugaise qui l’interviewait, en faisant remarquer : « Voyez comment hier, après le chapelet et durant la procession aux flambeaux, alors que nous étions arrivés sur place fourbus, nous avons oublié notre fatigue ! »

 

Couronnement
Couronnement de la Journée du Liban à Fatima : la messe de consécration proprement dite s’est tenue dans la grande basilique de la Sainte-Trinité, d’une capacité de 9 000 places, un immense espace un peu froid. Dans son homélie, le patriarche Raï a rappelé que parmi les « merveilles » que Dieu a faites à la Vierge figure sa participation personnelle à l’œuvre de salut et de rédemption, qui en fait, dans la gloire de l’Assomption, « la mère de tous les vivants ».

L’office religieux a été rythmé par la procession des offrandes, encore un écart aux habitudes, des intentions de prière clairement prononcées, le beau flambeau offert au sanctuaire par le sculpteur Raffi Yedalian, la liturgie admirablement animée par la chorale de Gaby Farah. Beaucoup de fidèles ont témoigné du recueillement de cet office, et dit combien ils ont été touchés de voir des chrétiens de Syrie, d’Irak, d’Arménie et de tout le Moyen-Orient cités par le patriarche. Malheureusement, après la prière de consécration lue à voix haute par la foule des fidèles et la bénédiction finale, la foule s’est dispersée comme après un dimanche ordinaire et la solennité du moment s’est perdue dans le bavardage du temps du déjeuner.

 

Pas de protection magique
Peut-être eût-il fallu à la foule que le patriarche rappelle que la consécration du Liban, en ces temps troubles jamais vus, n’est pas une assurance contre les souffrances, mais la promesse d’un accompagnement dans un temps dont l’Église maronite elle-même a demandé qu’il soit fait souvenir des martyrs du temps présent ? La consécration, aurait-il dû rappeler, c’est celle de l’amour en échange de l’amour, de la Croix en échange de la Croix, du oui de Marie en échange de l’Incarnation.
Peut-être eût-il fallu aussi que le patriarche fasse un immense acte de contrition au nom du Liban, lui qui a l’écrasante tâche de conduire spirituellement un peuple à travers le désert des épreuves et des séductions, à travers aussi les pièges des pharisiens et des zélotes de ce temps, jusqu’à la Terre promise de sa vocation historique.