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[LIBAN] Le témoignage de Gabrielle : "Notre confinement strict s’est peu à peu ouvert sur la belle montagne libanaise"

 Gabrielle, 21 ans, est partie au Liban à la fin de son master 1 de lettres afin d’enseigner le français chez  les sœurs de la Charité de Besançon à Baabda.. À présent de retour en France, elle nous raconte ses derniers mois de mission et la manière dont elle a vécu le confinement.

Comme beaucoup, le confinement nous a offert un superbe spectacle printanier. Après un mois à Baabda, j’avais rejoint Marguerite dans sa montagne de Roumieh. Confinées dans un parc vaste et majestueux, nous avons eu la joie de contempler l’éclosion des ribambelles de roses qui embaumèrent le jardin. L’hiver fut rude, très rude, et la chaleur ne s’est faite désirée que pour une arrivée plus triomphale. Très vite, des températures très estivales nous ont réjouies et le soleil s’est montré généreux. Nos laborieuses journées de jardinage nous ont récompensées d’un bronzage doré des plus chics. Sœur Marie, notre maître d’œuvre, nous a guidé d’une tendre main de fer et le jardin s’est métamorphosé. Petit désherbage, puis arrachage énergique des hautes herbes entourant le poulailler et enfin épierrage de grands champs pour préparer la plantation d’un potager. Nous avons travaillé en silence ou en musique, en priant ou podcastant, en papotant ou en méditant sur l’humilité des petites gens qui labourent le sol de leurs mains. Contempler la terre ouvre des horizons insoupçonnés ! Patiemment, schwei schwei, nous avons vaincu et nous sommes élégamment métamorphosées en Le Nôtre de comptoir. Décidément, la mission avait pris une autre direction. Toujours au service, les mains dans la terre, à soutenir d’un sourire ou d’un sceau de pierres les employés qui s’échinaient. Accepter d’être utile là où on le quête, baffe sur baffe d’humilité, dans la joie.

Notre confinement strict s’est peu à peu ouvert sur la belle montagne libanaise. Omar, un ami libanais au grand cœur, a patiemment montré patte blanche auprès des sœurs et obtenu de nous emmener sillonner le Mont Liban. Nous avons donc joyeusement enfilé nos baskets pour des randonnées endiablées, occasion rêvée de s’ancrer un peu plus dans cette terre si attachante. Le 13 mai, nous avons ensemble effectué le traditionnel pèlerinage de mai à Harissa, pour nous confier à Notre-Dame du Liban. L’ascension est solennelle, des stations invitent à la prière, on devine à travers les branches la mer et les pèlerins se saluent pieusement d’un « ma7boulè ». Que Dieu entende ta prière. Pépite suprême de croiser un groupe de pèlerins en méditation et d’entendre une Libanaise lire  La Vierge à midi de notre cher Claudel ! La plage a progressivement pris le pas sur nos sessions montagnardes et nous avons pédalé le long de la côte, avant de patauger gaiement dans cette Méditerranée si fascinante.

Instauré de facto par la grande prudence des Libanais, le confinement s’est peu à peu détendu et les restaurants ont entrouvert leurs portes, suivis de loin par les malls. Le lundi 18 mai dans la matinée, le gouvernement a annoncé la fin de l’année scolaire. Covid-19, crises à foison, abîme financier, empilements de galères indémêlables rendant la situation intenable et l’ouverture impossible. Rude décision ! Infatigable optimiste bourrée d’espérance, je m’accrochais à la promesse du gouvernement que l’école reprendrait, même pour quelques jours, quelques semaines, même fin juin ou mi-juillet. Voilà mes rêves piétinés bien bas ! Plus d’élèves, plus de colonies de vacances et un quotidien de plus en plus onéreux. Difficile de justifier une aimable présence compatissante et souriante quand on représente une bouche supplémentaire à nourrir ! Il est donc décidé de rentrer au plus tôt, au gré de l’ouverture de notre charmant aéroport Hariri, décidément bien capricieux. Le retour dans ma communauté s’annonçait donc bref et éprouvant, l’atterrissage en France délicat et les adieux déchirants.

C’est là que le confinement révéla toutes ses merveilles. Les deux mois à Roumieh avaient permis de faire fleurir ces graines de grâces, semées dans les larmes et récoltées dans la joie. Ces huit semaines de retrait, de désert, d’humble vie de Nazareth se sont fait révélateur quasi chimique de ce qui pointait timidement. Après des mois de semi-solitude, qu’il était doux de papoter de tout et rien, de partager les galères du quotidien et les errements métaphysiques, de contempler les étoiles et glisser une bonne vanne qui réchauffe le cœur.

La vie a repris un cours plus habituel et j’ai fini par regagner mes pénates. Sœur Saïdé et sœur Badria sont venues me chercher en voiture et nous avons fêté mon retour d’une joie simple. Sœur Zemorrod avait préparé un goûter limonadé et la soirée fut dansante avec les aspirantes. Les sœurs m’ont chargé des progrès en français de mes compagnes d’Afrique et nous avons repris nos sessions journalières en deux groupes.

L’aéroport a annoncé son ouverture le 15 juin, nous avons donc pris des billets pour le 22, presque aussitôt annulé, l’ouverture est d’abord reportée au 22, puis au 29, puis jusqu’à nouvel ordre. Efficace. Finalement, MEA organise un vol pour rapatrier les Libanais travaillant en France le 15 juin. Après une discussion téléphonique lunaire avec un agent de MEA à épeler l’alphabet international en anglais, les billets sont validés. Le retour s’annonce et s’officialise ! Enfin pas trop quand même. Lassée des changements permanents, fatiguée d’annoncer sans cesse un nouveau programme, frustrée de décevoir la foule des reports de mon retour, j’ai décidé de garder pour moi la nouvelle et de rentrer quasi-incognito. Les choses se sont alors précipitées et les derniers jours nous étaient comptés. Sœur Saïdé a généreusement accepté de m’accorder quelques jours de vacances pour faire mes au-revoir et préparer mon voyage. J’ai donc bouclé les cours de la semaine, préparé des fiches pour les filles et rejoint Marguerite à Byblos pour une dernière virée, pour emplir nos cœurs de la beauté de cette nature.

Désireuses de découvrir autrement ce Liban chéri, nous avons posé nos valises chez Abouna Hani pour une semaine. Il nous a prêté une chambre au rez-de-jardin de sa maison et nous a ouvert son foyer. Là, nous rencontrons Dounia, sa femme depuis dix-sept ans, et leurs quatre enfants. Ils nous invitent à leur table et nous accueillent d’une simplicité désarmante. « On mange dans le même plat parce qu’on est de la même famille », glisse-t-il d’un sourire au petit-déj’, nous invitant à utiliser nos dix doigts pour attraper les œufs dorés dans la poêle. Au dîner, le père fait tomber le col romain et nous raconte les joies et galères de son quotidien apostolique. Son énergie est impressionnante et son dévouement total : il s’est fait agriculteur pour nourrir près de cinq cents familles, fermier avec plus de quarante chèvres et autant de poules pour veiller sur la sienne ; il enseigne la catéchèse dans deux écoles, récolte vêtements et chaussures pour habiller les plus pauvres et soutient quantité de projets sociaux. Sa femme l’épaule et le seconde. Psychologue, toujours à se former pour servir au mieux, elle s’engage avec lui et fait de leur maison une lumière pour ceux qui en ont besoin. Ensemble, ils reçoivent à toute heure du jour ou de la nuit les brebis perdues qui viennent demander conseil, éclairage ou recommandation. Ils insistent pour que nous profitions de notre dernière semaine et nous encouragent à sillonner une dernière fois le Liban, demandant seulement un peu d’aide pour trier les vêtements reçus. Ce couple missionnaire nous remercie de notre venue avant de conclure « Vous êtes des anges de Dieu ». Akid ! Dans nos têtes émerveillées par leur engagement et fort conscientes de la petitesse de notre action, c’est le monde à l’envers. Franchement, ça calme ! Et ça décape.

Puis est venu le temps des adieux. La dernière semaine en terre phénicienne a fidèlement clos cette riche année. Pleine de joies, de visite, de beauté, de conversion et de rencontres ! Nous avons constitué un quatuor de randonneurs pour s’imprégner une dernière fois de la Vallée Sainte et gravir Qornet-es-Saouda, plus haut sommet du Liban (ou son jumeau peut-être, de là- haut, les montagnes font toutes la même taille et les panneaux sont monnaie rare). Marguerite s’est improvisée guide, avec brio, pour me faire sentir la vie fourmillante de Tripoli ou la calme grandeur de Tyr. Une dernière fois, nous avons salué nos amis melkites en leur monastère de Laqlouq, trempé nos pieds à Byblos, englouti fatoush et grillades et sillonné Beyrouth. L’avant- veille de notre départ, nous avions réuni nos amis français et libanais dans un bar à ciel ouvert, pour lever ensemble nos verres jusqu’aux étoiles.