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[LIBAN] Le témoignage d'une volontaire : "Nous nous souviendrons de ce fameux lundi noir, le 16 mars."

« Témoignage d’une volontaire au Liban. Depuis septembre, elle est dans une école (au Liban) près de Beyrouth où elle continue sa mission d’enseignement et rend service à la communauté. »


Pourquoi être restée ?

La question de rentrer s’est posée… en une seule après-midi. Avec Gabrielle, une autre volontaire, nous nous souviendrons de ce fameux « lundi noir » 16 mars. L’aéroport de Beyrouth fermait brusquement ses portes, un dernier avion partait pour la France. Hésitations, réflexions, émotions, valise bouclée, larmes ravalées, go on rentre (tous les volontaires étaient déjà repartis). À la dernière minute un coup de fil de l’ambassade nous interdit de faire escale à Istanbul. Go on reste. Mais fin mars un rapatriement est organisé. La situation nous rappelait clairement qu’ici, bien qu’enracinées, nous étions « étrangères et de passage ». Que décider ? Quelles sont les motivations profondes de notre volonté de rester ? La seule raison qui vient trancher tout dilemme est assez simple : nous pouvons continuer la mission, donc on la continue. Cette saga corona ne menace ni notre santé, ni notre sécurité, donc on poursuit le volontariat. En revanche, à deux c’est mieux, donc Gabrielle s’est installée ici à Roumieh. Il n’y a absolument aucun mérite à avoir choisi cela dans la mesure où c’était beaucoup plus rassurant pour nous de ne pas s’arracher violemment à ce pays qu’on aime tant… et qu’ici nous sommes dans un cadre porteur. Voyez plutôt.

En quoi consiste ce volontariat revisité ?

Dès que les écoles ont fermé, le travail en ligne avec les élèves a repris… comme pendant ces semaines de révolution en octobre ! Ce travail occupe nos matinées. Et c’est précieux de garder ce petit lien avec les élèves. Je continue d’enregistrer à l’oral des contes pour les primaires. Puis je corrige les rédactions des 4e . Ces derniers ont participé au concours organisé par l’Œuvre d’Orient. Le but du jeu est d’inventer un récit illustrant la cohabitation des différentes communautés et sensibilités. Je tombe sur des pépites littéraires, ou je fonds devant des fautes délicieuses. Les 5e planchent toujours sur les Fables. Ils doivent en écrire une pour jeudi prochain, hâte de les lire. La semaine dernière, ils ont réfléchi sur « La Cigale et la Fourmi ». Entre la confiance joyeuse / l’opportunisme foireux de l’une et la sagesse réaliste / radinerie confinée de l’autre, que choisir ? J’ai été frappée que tous, sans exception, prennent position pour la Fourmi. (L’année dernière, à Paris, l’écrasante majorité de mes 3e défendaient la Cigale). Ces petits 5e font l’éloge de la responsabilité et leur sens du travail est définitivement admirable – certes, la situation du pays les y pousse fortement. Donc les élèves bossent, en jonglant avec les aléas d’Internet, ce qui n’est pas une mince affaire ici.

L’après-midi, nous travaillons dans le grand jardin des soeurs. Évidemment avec Gabrielle on s’invente une vie de botaniste-paysagiste. Alors qu’en réalité on est surtout dans la terre, pendant des heures, en train de désherber le hashich (= l’herbe). Mais on voit cet immense parc de Roumieh se transformer. Grâce au travail de notre ami égyptien, le bel Arman, et de l’armée de Pakistanais qui habitent ici, au collège. La terre est labourée, les pêchers sont taillés, le potager et le verger sont minutieusement soignés. On veille sur la promesse du « fin bourgeon d’avril ». Du Vittoz et de l’émerveillement en bloc. Ainsi la mission est remixée, mais se poursuit, bien différente de ce qu’on aurait pu imaginer. Mais nous sommes à notre place. Et, libanisées, on s’adapte à l’imprévu. Le reste ? Shallah.

Pourquoi la révolution reprend ?

La révolution d’octobre avait accéléré la dégradation économique du pays. Le corona provoque son effondrement. Les gens ne peuvent pas travailler et beaucoup de familles ont faim. Je trouve cela terrible d’être dans un pays où, maintenant, les gens ont faim… et de me sentir complètement impuissante. C’est aussi un exercice d’humilité, qui est la vertu du réalisme. La seule chose que je peux faire (et que me demande l’Œuvre d’Orient 😉 c’est de vous en parler. Comme ça vous pouvez soit faire un don, soit prier, soit faire les deux.

Rapidement quelques éléments pour comprendre. Quand nous sommes arrivées en septembre, 1 dollar valait 1 500 livres libanaises. Aujourd’hui il en vaut 4 000. Or l’économie du Liban est complètement dollarisée et dépend majoritairement de ses exportations. Les prix ont tous augmenté. Exemple : 1 kg de lentilles coûtait 1 000 livres, cela coûte maintenant 7 000 livres.

Donc le peuple gronde. Sa colère envers les politiciens est décuplée. Les manifestations en voiture et les blocages de route reprennent. De façon très violente. La thawra a perdu son visage pacifique. Avec le déconfinement, les affrontements et les tirs se multiplient, surtout dans la région de Tripoli où un jeune est mort l’autre jour. Espérons que des solutions politiques soient mises en place, et que des soutiens financiers arrivent.

La solidarité est ici très belle, les gens s’entraident énormément. Comme en France, de belles initiatives fleurissent partout. Je pense en particulier au père Gaby, le prêtre de la paroisse francophone, qui continue son engagement social très important. Dans la droite lignée du pape François, il se consacre entièrement aux pauvres, quitte à secouer courageusement la classe aisée d’Achrafieh. Car l’argent manque. Plus de la moitié de la population est tombée sous le seuil de pauvreté. L’existence des écoles est menacée ; depuis octobre, les parents ne peuvent plus payer les frais de scolarité. Or les écoles sont la clé de l’avenir des jeunes Libanais. Je pense aussi à Soeur Magda qui, avec son équipe de sœurs, vit depuis 1980 dans le camp palestinien de Dbayyeh. Nous les avions rencontrées juste avant le confinement. Pétries de dévouement et d’humilité, ces petites femmes sont le poumon médical, humain et spirituel de toutes ces familles apatrides qui luttent pour la survie. Avec Juliette et Gab nous étions bouleversées par leur reconnaissance pour vos dons : « L’argent des pauvres, c’est sacré. » Donc si on veut alléger notre porte-monnaie, même de trois pièces, ça ne manque pas d’idées. Vous pouvez aller flâner sur le site de l’Œuvre d’Orient. Cette association est beaucoup appréciée ici pour son travail de fond. Et pour son amitié fidèle, depuis le XIXe siècle, avec ces communautés. J’arrête cet appel au don avant d’atteindre le stade ultime de la lourdeur.

Le 17 mai, c’est la journée des Chrétiens d’Orient. N’hésitons à prier pour eux, nos grands frères à qui on doit tant. Leur foi est belle et leur courage est grand.