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[LIBAN] Témoignage de Laurie : " Le Liban est vraiment une terre sainte "

Notre volontaire Laurie, 27 ans, orthophoniste, a décidé de consacrer 10 mois de sa vie au service des enfants sourds et muets de l’Institut du Père Roberts à Sehailé au Liban.


Ma mission à l’Institut

Hier j’ai fêté mes 6 mois au Liban.

6 mois qui sont passés si vite, et m’ont pourtant parfois semblé ne jamais devoir finir. En effet, quel long processus que de prendre ses marques dans un pays ou chaque jour est empreint d’incertitude ! C’est une maxime acquise pour nous autres volontaires : ici, la routine n’existe pas.

En témoigne le fonctionnement chaotique de l’Institut : entre la diminution de 5 à 3 jours d’ouverture par semaine, les fermetures pour cause de covid ou de neige, les absences sporadiques d’élèves dont les parents ne peuvent plus payer les transports et les jours fériés, il est difficile de distinguer le fil rouge de l’année scolaire qui se déroule tant bien que mal, parfois aidée par quelques séances online.

Comme prévu avant les vacances de Noël avec les sœurs, mon rôle a radicalement changé à la rentrée de janvier 2022. De professeur de français/orthophoniste anglophone, je suis devenue orthophoniste à temps plein. Je prends en charge les élèves francophones des classes de Projets Personnalisés, par séances de 30 minutes. C’est un vrai bonheur de retrouver mon identité professionnelle ! J’ai maintenant le temps de créer une relation particulière et approfondie avec chaque élève, et de les intéresser au français en personnalisant les sujets de discussion : la chasse avec Jimmy, l’électricité avec Elias, le dessin avec Rebecca etc. Je les sens très heureux et valorisés par ce suivi qui leur permet d’avoir un moment privilégié en tête à tête, consacré à leur progrès individuel. J’ai malgré tout gardé la responsabilité de 2 groupes de langage oral anglais, et en suis très heureuse : malgré mes difficulté persistantes à gérer une classe, cette nouvelle forme de pratique professionnelle me sort de ma zone de confort et m’ouvre de nouveaux horizons pour la suite de ma carrière.

En parallèle de mon travail d’orthophoniste, je continue d’aider les sœurs dans leur recherche de donateurs et de médicaments : rédaction de projets, prise de contact avec de nouvelles association, diffusion de la liste de médicaments aux futurs volontaires et aux visiteurs, envois de lettres de remerciement… Autant de petites tâches qui m’ont paru bien insignifiantes à mon arrivée, mais dont je mesure maintenant l’importance. Ce soutien quotidien qui s’apparente à un travail de fourmi est finalement ce qui se rapproche le plus du quotidien des Libanais : survivre, jour après jour, chercher sans cesse de nouvelles solutions de financement sans jamais renoncer malgré les difficultés qui s’amoncellent. C’est d’ailleurs ce genre de travaux qui m’a le plus rapprochée des sœurs : elles viennent maintenant spontanément me trouver lorsqu’il y a un besoin matériel urgent, et nous travaillons ensemble à trouver une solution.

Cet aspect de ma mission m’a également fait réaliser la chance que j’ai de pouvoir faire du volontariat à un âge un peu plus avancé que la moyenne : mes années d’étudiante et de jeune pro en France m’ont permis de tisser un réseau amical, familial et professionnel qui m’est ici infiniment précieux. Je trouve toujours la bonne personne à contacter en cas question technique ou personnelle, et permets ainsi à bon d’entre eux de devenir eux aussi missionnaires auprès de nos frères Libanais. Puissance de la communion des saints !

Un grand événement aussi : l’arrivée d’Eloïse dans ma mission. Je l’attendais impatiemment : la solitude n’était plus vraiment désagréable mais j’étais heureuse à l’idée de pouvoir parler avec une compatriote ! Son arrivée n’a pas été aussi facile que prévu, de par les circonstances qui nous ont confinées 1 mois, de par le décalage dans la mission et enfin de par la perspective de son départ prochain. Il n’est pas anodin d’accueillir quelqu’un que l’on ne connaît pas, au milieu d’une mission longue. Cela nécessite un investissement personnel que je n’avais pas du tout anticipé. Mais comme tous les autres volontaires, Eloïse est enthousiaste et adorable, ce qui nous a finalement permis de trouver un équilibre. Elle m’aura par ailleurs bien secouée : au vu des circonstances actuelles, le quotidien avait peu à peu pris le pas sur mon envie d’explorer le pays et de visiter les autres mission. Eloïse n’étant là que pour 3 mois, elle n’arrête pas de bouger et me pousse à en faire autant. Le Seigneur prend soin de nous jusque dans les moindres détails, y compris le choix de notre entourage !

J’ai également mes habitudes dans d’autres missions les jours de fermeture de l’Institut.

Le réseau libanais

Je me rends chaque semaine à Anta Akhi, et y ai également passé 3 jours au Nouvel An : l’Institut est à 20 minutes à pied, le déplacement est facile ! Je fais maintenant partie de la maison, ce qui est une grande fierté mais également une responsabilité : on m’y attend chaque semaine, et je mets un point d’honneur à prévenir lorsque j’ai un empêchement. Retrouver les personnes en situation de handicap est un vraie joie qui vient combler le vide laissé par les nombreux we A Bras Ouverts que je faisais en France. Les jeunes sont pour moi la figure incarnée du Christ : ils me réapprennent chaque fois à me mettre au service en laissant de côté ma propre volonté pour mieux écouter la leur. Ne jamais présupposer qu’on connaît suffisamment la personne pour prendre des décisions à sa place, même si la décision en question concerne ce qu’on va mettre dans la cuillère ou comment on va positionner la table. Et par ailleurs, quelle richesse que de redécouvrir les moments de partage les plus simples : vider et remplir un bol de jetons, regarder les gens qui passent, égrener un chapelet, commenter les émissions télé… Autant de façons d’apprendre à simplement être, sans chercher à faire. Choisir la meilleure place, celle de Marthe.

Depuis quelques semaines, Eloïse et moi allons également prêter main forte à Mathilde et Solange, à l’école Notre-Dame du Rocher d’Ajaltoune. Il s’agit de boucler les devoirs d’une vingtaine d’élèves pensionnaires, âgés de 6 à 16 ans. Tous sont issus de familles fragiles sur le plan humain et matériel : les caractères sont explosifs, les bagarres violentes et l’indiscipline permanente. Quelle douleur et quelle fatigue de voir ces enfants se frapper, s’insulter, s’enfuir malgré l’aide qui leur est apportée… J’ai parfois l’impression de verser des gouttes dans l’océan. Mais lorsque la totalité de l’agenda est finalement terminé, je me dis que tout cela n’aura pas été inutile ! J’ai pris sous mon aile le petit Ibrahim dont les difficultés d’apprentissage massives l’empêchent d’apprendre à lire. Nous décortiquons ensemble de longues listes de mots en les découpant en syllabes pour qu’il puisse les écrire seul. Quelle joie lorsqu’il en redemande !! Le simple fait de leur donner goût à quelque chose est déjà en soit un petit miracle au vu de la pauvreté de leur environnement.

La « vie de promo » bat son plein avec les autres volontaires. Nous sommes particulièrement nombreux au Liban cette année, une véritable petite armée au service de ce pays en voie de désintégration. Notre amitié a permis de tisser un beau réseau d’entraide qui fait chaque jour des miracles : coups de main ponctuels, visites improvisées, partage de savoir-faire, et pour couronner le tout le Cœur du Liban !! Quelle grâce que cette chorale, née il y a quelques mois d’une brève inspiration de Louis-Omer et Tanguy. A chaque répétition je m’étonne encore qu’elle fonctionne ! Et pourtant : les 6 premiers chants sont bel et bien enregistrés, le dossier de presse est rédigé et ma petite sœur table sur le design de la pochette. Plus personnellement, la pratique régulière du chant a été une vraie révélation. J’ai souvent participé à des chorales, de manière ponctuelle, mais c’est la première fois que j’en fréquente une assidûment. Une consigne de nos chefs de chœur m’a particulièrement touchée : pensez ce que vous dites. Cet état d’esprit m’a permis de vivre une grâce profonde en chantant le magnificat : j’ai réalisé que ces paroles advenaient en ce moment même, au Liban ! Malgré mes difficultés personnelles, la promesse du Seigneur s’accomplit en moi : la mission, de par sa gratuité, est don de vie. En ma chair s’accomplit la promesse, et mon cœur exulte de joie !

De belles amitiés naissent en fonction des affinités. Nous veillons les uns sur les autres, et il est précieux de pouvoir compter sur des jeunes qui vivent la même situation que nous dans les moments de creux. Les amis de France n’ont parfois que peu d’éléments pour nous aider…

Mes impressions du Liban

Le Liban et son peuple ne cessent de me bouleverser. Je comprends que ce pays ait autant fasciné et attisé les convoitises ! Sa géographie en premier lieu : cette chaîne de montagnes escarpées qui se jette directement dans une mer turquoise exempte de marées. Striant le pays d’est en ouest, des vallées vertigineuses au flancs recouverts d’un mélange de végétation luxuriante et de rocailles aux formes étranges, et au fond desquelles coulent des torrents qui s’assèchent complètement en été. Une météo extrême, avec des chaleurs accablantes, des orages apocalyptiques, des vents violents, des averses qui s’infiltrent dans les fenêtre et transforment les rues en rivières, et une neige éclatantes qui paralyse la moitié du pays pendant plusieurs semaines. Une lumière unique qui fait de chaque coucher de soleil un spectacle éblouissant, et qui tantôt dessine des paysages d’une étonnante netteté, tantôt les plonge dans un brouillard mystérieux, ne laissant qu’entrapercevoir la silhouette des montagnes. Un fond sonore de circulation quasi-omniprésent malgré l’explosion du prix de l’essence, ponctué de coups de klaxons intempestifs et des vrombissements de moteurs. Et la nuit, dans les montagnes, le hurlement des hordes de coyotes.

Mais aussi et surtout les Libanais. Les Libanais tant éprouvés : déchirés par des conflits fratricides, sonnés par l’explosion du 4 août, épuisés par la crise financière, découragés par leurs politiques, mais toujours debout. Leur résilience défie tout entendement, à tel point qu’ils ne semblent même plus espérer de miracle. La plupart sont partis, seuls restent les plus pauvres, quelques très riches et une poignée d’irréductibles qui se battent envers et contre tout pour maintenir leur pays à flot. Et même chez ceux-là, le discours ambiant est pessimiste, fatigué, et surtout très triste : « C’était pas comme ça avant… » Leur force repose sur leur foi : ils savent que s’ils continuent à servir le Christ en servant leur prochain, Dieu pourvoira.

Car le Liban est vraiment une terre sainte : bien qu’imprégnés d’une culture de l’apparence parfois dérangeante, ses habitants sont habités d’une foi brute, solide, sans fioritures. Elle fait partie intégrante de leur vie quotidienne de manière beaucoup plus évidente qu’en France, et est omniprésente dans le décor : les oratoires de rue sont légions, les statues parfois monumentales de Marie et de Saint Charbel nous attendent à chaque coin de rue, et les stickers religieux inondent les conversations WhatsApp. Mais à cette soif de Dieu s’oppose une profonde division religieuse, lourde d’un passé imprégné de sang et de conflits éternels. La défiance entre communautés est extrême : quelle gêne pour la Française bercée de discours égalitaires que je suis de voir des chrétiens manifester ouvertement leur hostilité envers leurs frères musulmans…

C’est là je pense l’épicentre du problème libanais : chacun pour soi, et Dieu nous protège. L’unité nationale semble impossible, même face à un monstre politique tel que le Hezbollah. En dehors de quelques brèves et violentes manifestations, les Libanais semblent s’être résignés. Le pays survit, engloutissant des milliards de dollars d’aides internationales dans ses besoins les plus élémentaires. Et au cœur de cette crise abyssale, notre arrivée, mon arrivée, est accueillie avec beaucoup de reconnaissance. Plus que jamais, notre présence est indispensable. Non parce que nous allons pouvoir changer grand-chose à leur situation, mais parce qu’en nous mettant à leur service nous leur rappelons la beauté de leur pays et de leur mission, et réveillons ainsi leur espérance.

L’espérance que, comme à chaque fois, le Liban renaîtra de ses cendres.

Inshallah