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"L'Irak vit un moment très dur, je demande au monde occidental, aux français de prier pour nous "

Ce dominicain, né à Qaraqosh vit à Bagdad où il a ouvert la Bagdad Academy, une « université » de Sciences Humaines accessible à tous. Créé en 2008, dans le but de participer à la reconstruction du pays dévasté par la guerre, la Bagdad Academy a su en quelques années s’imposer comme un espace de liberté, de dialogue, et de recherche, comme fondement d’une transmission du savoir et de la réflexion personnelle.


Ecclesia-magazine
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Amir Jaje : « L’Irak vit un moment très dur

Depuis le départ des américains, les différents partis politiques sont en conflit, avec le premier ministre Nouri al-Maliki. Ils refusent son 3ème mandat et n’arrivent pas à s’entendre, à former un gouvernement d’unité pour remonter le pays.

L’Irak est le champ de bataille d’une guerre régionale, entre le monde chiite représenté par l‘Iran et le monde sunnite, représenté par l’Arabie Saoudite et les pays du Golf.

Saddam Hussein, sunnite, s’est appuyé sur les sunnites pour gouverner. Ils gouvernaient depuis des siècles et des siècles.

Depuis l’invasion américaine, les chiites sont au pouvoir. Par « revanche » ils ont marginalisé les sunnites et gardent le pouvoir entre leurs mains.

Cette domination a généré un « ras le bol » chez les sunnites.

Et on assiste à cette explosion chez les sunnites aujourd’hui.

L’EIIL est une « surface », pour moi ces djihadistes ne représentent pas un état général.

S’il n’y avait pas un mécontentement fort, les djihadistes n’auraient jamais pu faire tomber la deuxième ville d’Irak gardée par plus de 30 000 soldats.

Comment sinon expliquer la fuite de 30 000 soldats face à une brigade de 700 soldats ?

La population sunnite a accueilli les djihadistes pour se révolter contre le gouvernement chiite.

 

RND – Qui sont les hommes du jihad ?

Amir Jaje : Une grande partie sont des djihadistes qui viennent de l’étranger, de Syrie : ils ont combattu un temps en Syrie et devant les conflits entre rebelles, et avec le régime, ils ont dû sortir de Syrie et rentrer en Irak, où ils ont trouvé un terrain plus favorable.

Et malheureusement ils élèvent leur drapeau dans plusieurs villes.

 

RND – Comment réagit la population ?

Une peur panique s’est emparée de la ville de Mossoul, la nuit du 9 au 10 juin.

On parle de 500 000 réfugiés, en majorité musulmans.

Les chrétiens également ont fui vers toutes les villes au Nord du pays : Qaraqosh, Telkef, Al Qosh, ect… Mais pas en direction d’Erbil, les kurdes n’acceptent pas facilement l’entrée des gens qui viennent de Mossoul.

Il ne reste à Mossoul plus que 50 ou 100 familles chrétiennes, qui n’ont pas pu partir.

La ville de Qaraqosh a reçu un nombre de réfugiés qui dépasse sa capacité.

Et depuis une semaine, il n’y a ni eau, ni électricité, ni gaz, ni pétrole sous 45° et 50 °. C’est la punition de l’État islamique vis-à-vis des chrétiens car les kurdes ont envoyé leurs soldats autour de Qaraqosh pour défendre la ville. La ville est paralysée.

A Bagdad, au centre du pays, règne un esprit de panique car des bruits disent que les djihadiste sont autour de Bagdad.

Ce qui est également très grave c’est que les dignitaires chiites ont appelé à l’armement de la population chiite contre l’invasion sunnite. Si les chiites attaquent les sunnites ça va être une vraie guerre civile qui peut détruire totalement l’Irak.

La situation ne permet pas d’avoir de tels événements.

Il est nécessaire que ceux qui gouvernent le pays, résolvent le problème et s’entendent. Mais il n’est presque plus possible que les partis politiques discutent avec le 1er ministre. Ils refusent complètement.

 

RND – Qui peut faciliter les choses ?

Il faudrait que le 1er ministre accepte de renoncer au pouvoir, que les partis politiques s’assoient ensemble et forment un gouvernement d’urgence pour sauver le pays d’une guerre civile

La communauté internationale est responsable de tout ce qui se passe aujourd’hui en Irak. Les américains sont responsables directement ils ont mis le chaos dans le pays.

 

RND – La communauté internationale doit-elle intervenir ?

Non, une intervention serait fatale pour le pays. Il faut intervenir par voie diplomatique :

  • mettre la pression au premier ministre actuel pour couper, éteindre,  la flamme de guerre civile
  • mettre la pression aux hommes politiques pour qu’ils s’entendent
  • mettre la pression sur les pays qui ont les clés de la solution, entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. qui ont le pouvoir d’étouffer la guerre civile : leur influence est immense. Si ces deux pays décident de sauver l’Irak c’est possible.

 

RND – Les chrétiens ont-ils un rôle à jouer ?

Il reste des chrétiens, même si leur nombre a beaucoup diminué. Avant l’invasion américaine il y avait 1 million de chrétiens et aujourd’hui même pas 400 000.

Ils ont un rôle à jouer.

Nous les chrétiens nous sommes l’espoir de ce pays, parce que la présence des chrétiens et d’autres minorités, est un signe de dire on peut vivre ensemble dans la différence. Ils jouent un rôle de pont entre les frères qui se combattent. Les sunnites et chiites sont frères mais n’arrivent pas à s’entendre. Les chrétiens sont signe de l’unité du pays. La vocation des chrétiens est essentielle.

 

RND – Est-ce une erreur de l’Occident de regarder les chrétiens comme persécutés ?

Oui je n’aime pas trop le mot persécution. Il n’y a pas un phénomène général de persécution en Irak, c’est-à-dire un phénomène général contre les chrétiens mais aujourd’hui il y a des attaques contre tel ou tel chrétien, endroit, église. On ne peut pas généraliser. Ça peut être par des criminels, cela peut être par des fous, cela peut être par des intégristes, il n’y a pas un phénomène général même à Mossoul.

Je viens de parler avec Mgr Petros Moshe, archevêque syriaque catholique de Mossoul, aujourd’hui les islamistes veulent montrer aux chrétiens, vous vous n’êtes pas notre objectif, notre objectif est de chasser le gouvernement de Mossoul.

Il y avait une statue de la Vierge Marie sur une église à Mossoul ; elle a été retirée. Mais on ne peut pas généraliser.

On ne peut pas dire que les églises ont été brulées, détruites, … Ce n’est pas vrai.

Aujourd’hui les chrétiens ne sont pas directement visés. Il n’y a pas de persécutions en Irak. Les chrétiens ont un rôle de pont. Ce que nous faisons.

Beaucoup d’ordres religieux, beaucoup de sœurs, plusieurs congrégations travaillent dans le domaine d’école pour élever les enfants ensemble vers l’ouverture.

Notre académie de Sciences humaines de Bagdad, crée par les dominicains, sert aussi de pont, pour ouvrir l’esprit des gens. Un musulman m’a dit « cette académie est une boule d’oxygène, c’est un espace de liberté ».

Je demande au monde occidental aux français de prier pour nous ».


Lire notre appel pour l’Irak

Pour aller plus loin L’Irak vit un moment crucial de son histoire dans laquelle les chrétiens doivent avoir leur place