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Messe d’obsèques de l’amiral Bernard Louzeau en la cathédrale Saint-Louis des Invalides 13 septembre 2019

L’Œuvre d’Orient s’est associée à la prière de ses proches pour l’enterrement de l’Amiral Louzeau, qui fut son président durant seize ans.

Vous retrouverez ci dessous l’homélie prononcée par son fils, le Père Frédéric Louzeau.

 

Que vous dire en cette heure si intense ? Il y aurait tellement de choses à partager ! A la fin de la messe, lors du dernier adieu, ma sœur Cécile dira quelques mots au nom de la famille. Lors de l’hommage militaire qui suivra la messe, le chef d’état-major de la marine évoquera la carrière et la personnalité de papa. Chacun pourra également, dans le secret de son cœur, faire mémoire de ce qu’il a été pour lui et de ce que Dieu lui a donné à travers lui. Pour ma part, je voulais seulement témoigner des derniers mois et semaines de sa vie. Une vie diminuée par la maladie et les infirmités de l’âge, une vie humble et cachée. Une vie que seuls quelques-uns d’entre vous ont touchée, notamment les personnes qui l’ont soigné, et tout spécialement maman, et à qui nous voulons dire un immense merci.

Nous venons d’entendre l’évangile de la Présentation du Seigneur Jésus au Temple (Lc 2,22-32) qui s’achève par le cantique de Syméon : « Maintenant ô Maître souverain… » Pourquoi l’avoir choisi ? Pour 2 raisons.

Une première raison toute simple et circonstancielle : dans les dernières semaines, papa a été hospitalisé à l’hôpital de Cherbourg, non loin de la Cité de la mer où stationne le Redoutable. Je passais souvent le voir au moment du dîner, pour l’aider à manger. Après le repas, avant de prendre congé, je lui proposais de prier avec lui. Il a toujours accepté. Avec ceux qui m’accompagnaient, nous chantions l’office des complies qui s’achève par ce Cantique de Syméon : « Maintenant ô Maître souverain, tu peux laisser s’en aller ton serviteur… » Papa a donc entendu ces paroles divines presque chaque soir des dernières semaines, et spécialement le dernier soir.

Il y a une seconde raison, plus profonde, qui nous a poussé à retenir cet évangile. Syméon ne dit pas seulement qu’il est prêt à s’en aller, c’est-à-dire à mourir, mais que cette disposition est enveloppée de paix et même de paix divine. « Maintenant ô Maître souverain, tu peux laisser s’en aller ton serviteur en paix… ». Ayant contemplé la face de l’Enfant-Jésus, Syméon a vu Celui qui l’accueillera au moment de la mort et il est délivré de ses frayeurs. Pour être franc, que papa puisse lui aussi partir en paix n’était pas gagné d’avance, si vous me permettez cette expression familière. Pourquoi ? Parce que les trois dernières années ont été pour lui des moments de grands tourments intérieurs et d’une profonde lassitude psychique. Il s’est vu progressivement dépouillé de ce qui le réjouissait tant : la pratique du violon d’abord, puis l’écoute de la musique en raison d’une surdité qui déformait le spectre acoustique, les promenades dans les forêts du Jura, l’engagement dans des activités associatives de toute sorte, la lecture de livres ou de journaux (lui qui était curieux de tant de choses), les rencontres chaleureuses et enfin aussi la joie de bien manger et de bien boire… Cette diminution de ses capacités humaines a pesé sur son humeur et son moral, au point qu’il souhaitait ouvertement mourir – perspective qu’il évoquait tous les jours d’une manière ou d’une autre et qu’il n’hésitait pas à partager à qui le rencontrait. « Qui donc est pour moi dans le ciel, dit un psaume, si je n’ai, même avec toi, aucune joie sur la terre ? »
Or, voilà qu’après un choc septique survenu le 17 août, papa, plus épuisé que jamais, s’est retrouvé subitement établi dans la paix. Au point même de me dire un soir : « J’accepte tout ». Je voulais témoigner devant vous de cette paix que Dieu seul peut donner à l’homme tourmenté et dire au Seigneur un immense merci pour ce grand cadeau. Dans cette perspective, vous pourrez relire le long psaume que nous avons chanté (Ps 116) : il retrace le chemin d’un homme qui, justement, passe du tourment à la paix divine. « J’étais pris dans les filets de la mort, retenu dans les liens de l’abîme, j’éprouvais la tristesse et l’angoisse… Retrouve ton repos, mon âme, car le Seigneur t’a fait du bien. » Ces trois dernières années n’ont pas été inutiles ou de trop dans la vie de papa. Bien au contraire. Elles couronnent une existence bien remplie. Combien de fois, le voyant perdre l’une de ses capacités humaines, ai-je entendu intérieurement la parole du Christ : « Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu. » Je le crois : le Seigneur l’a conduit par ce chemin mystérieux pour qu’il entre en enfant de Dieu dans la Joie de son Seigneur.

Enfin, pour terminer, permettez-moi de me faire l’écho d’une question que papa répétait plusieurs fois par jour : « et maintenant, que dois-je faire ? ». Pour un homme qui fut un modèle de détermination et de décision, cette question ne se lassait pas de nous désarmer. Nous répondions des choses banales en fonction des circonstances : « tu dois prendre ton repas, tu dois te reposer, tu dois dormir pour reprendre des forces… » Et papa était forcément déçu par une réponse qui n’était pas à la hauteur. Car sa question était : que dois-je faire pour « bien mourir » ? que dois-je faire pour aller en Dieu ? que dois-je faire être sauvé ? Cette question lancinante, je me permets de vous la transmettre aujourd’hui, vous laissant le soin d’y répondre par vous-même, si vous le voulez bien. Pour ma part, je dois offrir à Dieu, avec vous, le sacrifice d’action de grâces pour la vie et la mort de papa. C’est le sens de l’eucharistie que nous célébrons. Un immense merci à toi, cher papa, pour tout ce que tu nous a donné. Un immense merci à toi Seigneur de nous l’avoir donné comme père ou grand-père, comme époux, comme chef ou comme ami. Daigne accueillir son âme dans ta demeure, la purifier et la réjouir de ta divine Lumière, dans l’attente du grand festin de la Résurrection. Oui, bienheureux les invités au festin des noces de l’Agneau.

 

Père Frédéric Louzeau

Crédit photo Julien-Antoine Desforges