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Mgr Pascal Gollnisch : “La situation des réfugiés syriens met le Liban en danger“

Une interview La Vie par Sophie Lebrun

Certains ont commencé à rentrer : lundi 13 août, la sixième opération de retour organisée depuis le mois de juin pour des réfugiés syriens installés au Liban a concerné quelques centaines de personnes. Mais tous ne sont pas dans ce cas-là : majoritairement sunnites, opposés au gouvernement ou ayant refusé de choisir un camp, ils craignent la répression en revenant en Syrie ou simplement de ne pas retrouver leur maison suite aux destructions dues au conflit. Si des politiques libanais et des responsables internationaux évoquent la solution d’une naturalisation de ces réfugiés syriens au Liban, beaucoup sur place y voient un facteur de déstabilisation important pour ce petit pays à l’équilibre communautaire et religieux fragile.
Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient redoute quant à lui une « explosion » du Liban s’il devait vivre l’augmentation d’un cinquième de sa population d’un seul coup. Il témoigne.

« Il y a environ 1,2 à 1,5 million de réfugiés syriens au Liban actuellement. Essentiellement musulmans sunnites, ils ont fui la guerre et sont plutôt dans une distance vis-à-vis du régime de Damas. Certains rentrent en Syrie depuis juin dernier. Mais dans ce million de personnes très diverses, d’autres craignent encore un retour chez eux. Ceux-là peuvent quitter la région – il leur faut alors un visa ou s’embarquer dans une migration sauvage avec les problèmes que cela pose – ou rester au Liban. Cette solution n’est pas facile car ils vivent dans des conditions précaires : ils sont souvent mal payés quand ils arrivent à trouver du travail. Installés dans des tentes, ils survivent grâce à l’aide alimentaire apportée par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) de l’Onu.

Cette situation de fait, résultant d’un accueil d’urgence face à un conflit violent, ne peut pas se transformer en une situation de droit, ni une situation viable. Car le Liban lui-même en est aujourd’hui menacé. L’équilibre subtil qui existe entre les chrétiens, musulmans chiites, sunnites et les druzes, avec une répartition des pouvoirs, a permis jusqu’alors à ce petit pays du Moyen-Orient d’être une exception dans la région : il jouit d’une certaine stabilité politique et de la liberté religieuse, quand elle n’est pas possible chez ses voisins. Cet équilibre serait pulvérisé s’il fallait donner la nationalité libanaise à un million de sunnites sur ce pays de quatre millions d’habitants. Sans compter que l’histoire entre la Syrie et le Liban n’est pas exempt de heurts : la Syrie a occupé le Liban pendant des années jusque dans les années 2000. Ce serait donc comme si la France de 1945 accueillait 20 millions de réfugiés allemands…

Les réfugiés palestiniens, près de 500.000 personnes à majorité sunnites aujourd’hui, présentes depuis les années 1960, ne se sont jamais vus proposer la naturalisation. Une politique « deux poids, deux mesures » ne serait pas comprise.

Or si le Liban est déstabilisé, c’est toute la région qui peut s’enflammer car, sur ses terres, se concentrent toutes les tensions du Proche-Orient. Tout peut exploser en très peu de temps, comme l’Histoire nous l’a déjà appris avec plusieurs successions de conflits.

On sait combien le chaos en Libye a des conséquences sur l’Europe : un déséquilibre libanais en aurait aussi.

Quant aux chrétiens libanais, il faut rappeler qu’ils sont des citoyens comme les autres au Liban. Leur souci n’est pas seulement leur propre sécurité – et quand on voit les conséquences des déséquilibres démographiques dans les pays autour d’eux comme l’Iran, la Turquie et l’Irak où les chrétiens ont presque disparu ou sont menacés – mais celle de leur pays entièrement. Comme les autres citoyens libanais, les chrétiens sont attachés à l’équilibre qui permet au Liban d’exister. Sans cet équilibre, la survie même du Liban est mise en danger.

Mais pour revenir en Syrie, il est nécessaire que le gouvernement de Damas assure un retour dans des bonnes conditions de sécurité : certains réfugiés peuvent en effet être soupçonnés d’avoir combattu le gouvernement. Ensuite, il faut que des logements soient disponibles. Or avec le conflit, plusieurs quartiers dans les villes ont été rasés. Enfin, la situation économique en Syrie est compliquée : cette guerre a mis à terre l’économie du pays et les réfugiés revenus peuvent se retrouver sans ressource. Sans une résolution de ces trois aspects, la question du retour reste dans une impasse passablement explosive. »