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Mgr Sako : « Si l’Irak veut un avenir, il faut qu’il sépare la religion de l’Etat »

Source Le monde

De passage à Paris, Sa Béatitude Louis Raphaël Ier Sako interpelle dans un entretien au Monde sur les conséquences de la crise qui oppose le gouvernement de Bagdad et la région autonome du Kurdistan irakien, depuis la tenue d’un référendum d’autodétermination, le 25 septembre. Le patriarche de Babylone de l’Eglise catholique chaldéenne appelle, en outre, les autorités irakiennes à amender la Constitution pour garantir la citoyenneté pleine et entière de tous les Irakiens, sans distinction de religion.

 

Où en est la reconstruction des villages chrétiens de la plaine de Ninive qui ont été libérés de l’organisation Etat islamique (EI) ?

L’Eglise a aidé à la reconstruction, mais cela avance de façon un peu timide du fait des problèmes qui découlent du référendum kurde. La majorité des villages chrétiens de la plaine de Ninive sont sous la souveraineté de l’Etat central, tandis que trois importants villages (Tel Eskof, Ein Seifni et Al-Qosh) sont encore sous le contrôle des forces kurdes. Lors de la confrontation armée entre les forces fédérales et les forces kurdes, il y a eu des tirs sur les habitants. Ces derniers ont dû à nouveau fuir les villages dans lesquels ils s’étaient réinstallés. Nous voulons l’unification de la plaine de Ninive.

Les gens sont inquiets pour leur avenir, sur ce qui va se passer après l’expérience tragique de Daech et des trois années dans des camps de réfugiés à Erbil, Dahouk… Un autre défi se présente avec la crise au Kurdistan irakien. Les Irakiens n’ont pas tiré les leçons de cette expérience et de la série de crises et de guerres que traverse l’Irak depuis 1958.

Avez-vous reçu une aide de la communauté internationale pour la reconstruction ?

L’Eglise a commencé à aider dans la plaine de Ninive, avec l’appui des agences internationales et de certains pays, comme la Hongrie, mais il faut d’abord restaurer la sécurité et la paix, la stabilité, pour pouvoir entamer la reconstruction.

Etes-vous pessimiste sur l’avenir de l’Irak dans l’ère post-Etat islamique ?

Il y a une prise de conscience de tous les Irakiens que l’action militaire n’est pas une solution et qu’il faut encourager le dialogue. Les gens sont fatigués et perdus. La communauté internationale doit aider le gouvernement central et le Kurdistan à s’asseoir autour d’une table et à résoudre les différends qui les opposent.

Les chrétiens sont-ils revenus dans la ville de Mossoul ?

Il y a eu un changement de mentalités et de culture. Les gens en ont assez de Daech. Dans l’est de la ville, soixante familles chrétiennes ont déjà pu rentrer. Je pense restaurer une église dans cette partie de la ville et y nommer à nouveau un prêtre, pour inciter les familles à revenir. D’autres familles veulent rentrer pour retrouver leur travail et assurer leur subsistance. La population de l’est de la ville s’est montrée très accueillante avec eux. Il y a même eu de jeunes musulmans qui sont allés nettoyer les églises de la ville, qui ont toutes été endommagées.

Vous appelez à amender la Constitution de 2005, pourquoi ?

Si l’Irak veut un avenir, il faut qu’il adopte un régime civil, qu’il sépare la religion – qui relève des affaires personnelles – de l’Etat – qui est l’affaire de tous. Il faut assurer la citoyenneté pleine et entière de tous, et respecter la liberté de conscience, de pensée, de vivre…

Le processus de réconciliation nationale, promis par les autorités de Bagdad, a-t-il été lancé dans le pays ?

Non, et aujourd’hui la situation est pire encore à l’approche des élections (législatives et provinciales) de mai 2018. Les partis politiques et les coalitions préparent le terrain et sont en compétition. Ils instrumentalisent la religion.

Il est très important de se pardonner et de s’ouvrir au présent et à l’avenir. Il faut laisser de côté la mentalité de vengeance et de violence. Il faut préparer l’avenir avec une mentalité d’ouverture à l’autre et aux droits de l’homme. Il faut que tous les Irakiens s’y mettent. On commence à voir une prise de conscience au sein de la population, avec des manifestations chaque vendredi à Bagdad, pour les droits de l’homme, les droits des femmes, le changement de culture… Le nombre de manifestants augmente de semaine en semaine.