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Nouvelle constitution tunisienne et liberté de conscience

« La Tunisie comme telle ne fait pas partie des pays concerné par l’Œuvre d’Orient puisqu’il n’y a pas d’Église orientale catholique. Nous commençons avec l’Égypte. Il y a très peu de catholiques tunisiens, il y a des étrangers qui se retrouvent dans des paroisses en Tunisie. » lire la suite de l’analyse de Mgr Gollnisch

 


Le 26 janvier 2014, trois ans après la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali, après deux années de travaux et de débats intenses, l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) adoptait à une immense majorité (200 voix pour, 12 contre et 4 abstentions), la nouvelle Constitution tunisienne, cinquième loi fondamentale du pays après le Pacte fondamental de 1857, les Constitutions de 1861 puis de 1959, et la loi constitutive de 2011.

 L’ÉTAT, GARDIEN DE LA RELIGION

Le texte, organisé en 10 chapitres et 156 articles, s’inscrit dans « les objectifs de la révolution, de la liberté et de la dignité, révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011 » (Préambule). Sur le plan institutionnel, il instaure un régime parlementaire mixte selon un régime « républicain démocratique et participatif dans le cadre d’un État civil et gouverné par le droit et dans lequel la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce sur la base de l’alternance pacifique à travers des élections libres, et du principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs » (Préambule). Après avoir rappelé « l’attachement de notre peuple aux enseignements de l’Islam et à ses finalités caractérisées par l’ouverture et la modération, des nobles valeurs humaines et des hauts principes des droits de l’Homme universels […] » (Préambule), le texte ajoute, de manière très novatrice par rapport aux Constitutions antérieures, que « l’État est gardien de la religion. Il garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes ; il est le garant de la neutralité des mosquées et lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane. L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, à protéger les sacrés et à interdire d’y porter atteinte, comme il s’engage à interdire les campagnes d’accusation d’apostasie et l’incitation à la haine et à la violence. Il s’engage également à s’y opposer » (article 6).

LIBERTÉ DE CONSCIENCE RECONNUE A TOUTE  PERSONNE

Le 2 février 2011, les évêques catholiques d’Afrique du Nord écrivaient dans le communiqué final de leur réunion annuelle : « Reprenant le message du Saint-Père [Benoît XVI] pour le 1er janvier 2011 : ‘Liberté religieuse, chemin vers la paix’, et éclairés par lui, les évêques de la CERNA [Conférence Épiscopale de la Région Nord Afrique] reconnaissent que la liberté religieuse est la garantie d’un respect complet et réciproque entre les personnes. Elle se traduit avant tout par la liberté de conscience reconnue à toute personne, la liberté de chercher la vérité. Elle suppose le respect de l’autre, de sa dignité, fondement de la légitimité morale de toute norme sociale ou juridique. La liberté de conscience et la citoyenneté seront sans doute de plus en plus au cœur des dialogues entre croyants musulmans et chrétiens qui habitent au Maghreb ». Forts de ces mêmes convictions, nous nous réjouissons que l’Assemblée Nationale Constituante ait adopté les dispositions de cet article 6. Appuyés sur l’enseignement de l’Église, nous voyons en effet dans le respect de l’autre et de sa dignité en tant que personne, quelle que soit sa croyance, le fondement de la légitimité morale de toute norme sociale ou juridique.

Des voix ont fait remarquer que le rôle de « protection des sacrés » dévolu à l’État pouvait prêter à des interprétations potentiellement menaçantes pour les libertés. Une formule n’est jamais un absolu ; c’est son application qui compte. Il demeure du devoir de tous de veiller à ce que cette application favorise à tout moment le bien commun et celui des personnes. De manière plus large, le Président de la République, M. Moncef Marzouki, avait déclaré le 27 juin 2012, à l’occasion de la rencontre annuelle de la Fondation Oasis à Tunis: « S’il faut défendre la liberté de conscience, c’est parce qu’elle est le fondement d’un type d’appartenance moderne qu’est la citoyenneté. Aujourd’hui l’appartenance religieuse fonde l’appartenance à une communauté de foi, et non à l’appartenance à la communauté nationale. On peut être citoyen tunisien, tout en étant musulman, chrétien, juif, athée. Le plus important est qu’on le soit sans difficulté, de façon non conflictuelle, naturelle, confortable oserais-je dire, en connivence et en synergie avec l’autre reconnu et accepté comme si différent et si semblable. Tel est notre objectif, tel est notre destin si nous voulons nous humaniser chaque jour un peu plus. » Si la « protection du sacré » a pour visée de garantir l’épanouissement de la dimension spirituelle de toute personne, quel que soit son credo, dans le respect de sa liberté et en harmonie avec les autres, cela va certainement dans le sens de « l’humanisation » qu’une telle déclaration appelait se ses vœux.

LE DROIT, EXPRESSION D’ORDRE CULTUREL

L’enjeu est, fondamentalement et pour toute société, d’ordre culturel. Le droit est une expression de la culture. Il en émane autant qu’il la sert. Les droits et les libertés seront d’autant mieux garantis que la culture aura à cœur de vivre et de mettre en valeur cette diversité et cette ouverture à l’autre dans le respect mutuel des différences et dans la paix. Dans ce contexte, les minorités religieuses (les chrétiens en sont une : 30 000 environ pour 11 millions d’habitants) sont une richesse et une chance de la Tunisie. Leur présence rappelle en effet que le pays, de par son histoire, a toujours été un carrefour de civilisations ouvert sur l’altérité. La préservation et la mise en valeur ce qui fait l’une des plus belles caractéristiques culturelles de la Tunisie, à savoir sa diversité, sont et seront un indicateur important de la qualité et de la robustesse du processus démocratique en cours. La démocratie, disait en effet Clement Atlee, « n’est pas simplement la loi de la majorité, c’est la loi de la majorité respectant comme il convient le droit des minorités ».

La situation des minorités religieuses, la garantie de leur participation à une cohésion nationale riche de ses diversités, constituent en ce sens un moyen de « mesure » privilégié de la qualité d’un cadre démocratique.

Nous y sommes sensibles et attentifs, continuant d’y apporter notre humble pierre aux édifices en construction. Ainsi l’exprimait ce récent éditorial de Mgr Ilario Antoniazzi, Archevêque de Tunis : « Nous, chrétiens de Tunisie, nous nous sentons partie intégrante de cette terre et nous nous efforçons de l’améliorer toujours plus et d’être des exemples attrayants d’amour et de vérité là où nous nous trouvons. Nous admirons la maturité de notre peuple, l’amour pour cette patrie, la culture historique et profonde qui nous permet de transiter vers un futur de lumière avec une nouvelle Constitution qui aura, nous l’espérons, comme fruits : la démocratie, la liberté, l’égalité et le respect mutuel. Chaque coin de cette terre nous concerne, nous sommes fiers de témoigner par notre vie que nous sommes les compagnons de voyage de nos frères chrétiens et musulmans et que nous voulons rester ouverts à tout changement pour le meilleur, à toute souffrance, à tout appel à l’aide, surtout s’il vient de loin : des exclus, des pauvres, des sans espoirs ou de la périphérie, comme dirait le pape François » (« Flash » – Bulletin Diocésain de l’Archidiocèse de Tunis – mars/avril 2014).

 

Nicolas LHERNOULD +