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Où en est l’Égypte d’après Moubarak ?

La question est sur les lèvres de tous ceux qui s’intéressent au Proche-Orient. Elle passionne encore davantage ceux qui, comme les Amis de l’Œuvre d’Orient, portent le souci de l’avenir des chrétiens en pays à majorité musulmane.

Va-t-on vers une victoire des Frères Musulmans ? Quel va être alors l’avenir des chrétiens ?

Inutile de rappeler l’incroyable évènement de janvier-février 2011 : en 18 jours, la rue égyptienne est parvenue à mettre à terre un régime vieux de plus de trente ans, régime que l’on croyait indéboulonnable car soutenu par l’Occident, protégé par un puissant appareil sécuritaire intérieure, porté par une croissance économique assez forte.

Et tout s’est effondré en quelques jours :

  • démission forcée du président,
  •  incendie des locaux du parti qui le soutenait (le PND),
  • inculpation très rapide des cadres principaux du régime.

Le tout sans tomber dans une guerre civile, ni un bain de sang (quand même 850 morts, quelques milliers de blessés). La « Révolution » n’a connu aucun slogan antioccidental, elle n’a pas connu non plus d’incident interconfessionnel; au contraire :

Chrétiens et musulmans se protégeaient les uns les autres pendant les temps de prière place Tahrir. Les incidents interconfessionnels ont eu lieu avant (Alexandrie) ou après (Imbaba) : on y reviendra.

Finalement, un Révolution « à l’égyptienne », sans extrémisme. L’Égyptien de base a eu le sentiment de recouvrer sa dignité, en particulier face à la police qui pendant des décennies a pu brimer les gens et les rançonner en toute impunité. C’est d’ailleurs sur ce point, la réaction contre les excès de la police que tout le pays a bougé : partout, les commissariats ont été brûlés ; la révolte contre le régime, elle, a été plus circonscrite aux grandes villes et aux zones à forte densité ouvrière.

Sur le plan politique

La transition politique, en revanche, est beaucoup plus confuse : le pouvoir a été transféré à un Conseil supérieur des forces armées (CSFA), présidé par le Maréchal Tantaoui, ministre de la Défense depuis deux décennies. Hosni Moubarak, ses deux fils, le ministre de l’Intérieur et quelques dignitaires du régime ont été traduits en justice. Les deux chambres parlementaires ont démissionné ainsi que le gouvernement. Le CSFA a nommé un nouveau gouvernement, d’abord présidé par un militaire, le général Ahmed Chafik, qui a vite été récusé par la rue. Plusieurs remaniements ministériels ont eu lieu depuis ; le gouvernement gère le pays comme il peut : se sentant précaire, il ne prend guère de décisions, laissant les grands choix au CSFA.

Un référendum a eu lieu en mars 2011 pour amender quelques articles de la Constitution et rendre possible de nouvelles élections (Moubarak l’avait aménagée de manière à assurer l’avenir politique de son régime, éventuellement via son fils Gamal) ; des élections législatives sont annoncées pour novembre ; les présidentielles sont prévues pour 2012, à une date encore inconnue.

Une question difficile agite l’opinion : faut-il faire une nouvelle Constitution avant de faire les élections ? N’y a-t-il pas le risque d’avoir une Constitution partisane si elle est faite par la nouvelle assemblée, en fonction de sa dominante politique (islamiste, libérale, etc.).

Le gouvernement et les militaires ont tranché : un Comité de Sages (10 personnes) sera chargé de faire un projet de Constitution après les législatives.

Les observateurs avertis sont convaincus que les militaires ne veulent pas conserver le pouvoir;

Ils ont d’autres soucis, en particulier de très gros intérêts économiques (ils contrôleraient 20 % de l’économie du pays : usines, complexes touristiques) ; en revanche, ils veulent continuer à le surveiller, comme l’ont fait pendant des décennies les militaires turcs. Sortir d’un régime autoritaire qui a duré près de quarante ans (les régimes de Nasser et Sadate n’étaient guère différents) ne se fait pas sans mal, mais, tout bien pesé, rien de dramatique ne s’est encore passé.

Il y a de vrais soucis du côté de l’économie.

Après s’être effondré, le tourisme qui est une des principales recettes du pays -13 millions de touristes l’an dernier- aurait repris aux deux tiers. Beaucoup de travailleurs émigrés sont rentrés de Lybie et le gouvernement essaie d’éviter une crise sociale par des subventions variées. L’investissement étranger s’est lui aussi effondré – les entreprises étrangères hésitant à investir tant que la stabilité n’est pas revenue. Enfin, les Égyptiens qui ont des capitaux sont soit partis à l’étranger soit en prison, comme plusieurs anciens ministres ou des capitaines d’industrie comme Ahmed Ezz, soutien financier de Gamal Moubarak dans sa course à la présidence et Hussein Salem, décrit comme « l’âme damnée du président ».

Le résultat en est une chute attendue du taux de croissance annuel du PIB de 5,6 à 1,8 %, un chômage accru et le risque d’une explosion sociale que le régime aurait d’autant plus de mal à contenir que la Révolution a fait espérer à tous des jours meilleurs.

On est donc sorti de l’euphorie et entré dans la politique, c’est-à-dire la négociation.

Tout bouge. Tout est incertain.

Les Frères musulmans, réputés les plus organisés et les mieux préparés à prendre le pouvoir, connaissent d’intenses débats internes, et même des scissions : les jeunes de Tahrir récusent la direction politique actuelle qui elle-même avait mis au rencart les leaders historiques qui tiraient leur légitimité des années de prison faites sous Nasser, Sadate et Moubarak. Les partis politiques traditionnels ne sont pas en meilleur état : Wafd, Tagammu, Nassériens, etc. Le mot d’ordre de la révolution était « al-shaab yurid isqat al-niza » : le peuple veut faire tomber le système »). Ces partis sont accusés d’avoir trop pactisé avec le système du PND ; les Égyptiens veulent le changement.

Les nouveaux partis se multiplient : plus de trente ont été agréés à ce jour. On notera que ne sont pas agréés les partis explicitement confessionnels : un parti islamiste vient de se voir refuser l’agrément. Trop nombreux, face aux Frères musulmans plus unis, les nouveaux partis démocratiques tentent de se regrouper en alliances, mais peinent à s’entendre sur des plateformes politiques. Il faut du temps pour discuter et rédiger un projet politique dans une société comme l’Égypte, confrontée à tant de défis (scolariser des millions de jeunes, puis leur trouver des emplois, les loger, etc.). Autre défi : comment faire émerger des leaders, des personnalités à même de mobiliser le pays pour un nouveau projet de société ? Il faut du temps pour cela. À ce jour, seuls émergent Mohamed el-Baradei, qui a passé le plus gros de sa vie à Vienne comme Directeur de l’AIEA, et Amr Moussa, ancien secrétaire général de la ligue arabe et ex-ministre des affaires étrangères de Moubarak. Dans un pays aussi jeune que l’Égypte, on aimerait voir des figures politiques nouvelles, plus fraîches.

La rue maintient donc sa pression sur les militaires et sur le gouvernement, mais les observateurs ont plutôt confiance : les choses semblent évoluer dans le bon sens, malgré un chaos apparent, dont les habitants de l’Égypte ont l’habitude.

Jean Jacques Pérennès, IDEO, le Caire


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