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Patriarche Bechara Raï : la fuite des chrétiens constitue une grosse perte culturelle, religieuse, morale et économique pour la région

Elu en mars 2011, 77e patriarche de l’Eglise maronite, Mgr Béchara Raï dirige une communauté de 3,5 millions de chrétiens d’Orient à travers le monde.

L’Hebdo : Attentats contre des quartiers chrétiens, églises incendiées, assassinats, intimidations… Depuis quelques années, des centaines de milliers de chrétiens irakiens, égyptiens ou soudanais sont poussés sur les chemins de l’exil. Assiste-t-on à un nettoyage ethnique généralisé ?

Mgr Béchara Raï : Le « nettoyage ethnique » des chrétiens d’Orient n’est pas un objectif en soi, mais il est une conséquence de la déstabilisation de la région. Ils sont les victimes innocentes des intégristes qui les marginalisent, qui en font des citoyens de seconde zone là où la religion d’État est l’Islam et la source de la législation civile est le Coran. Les chrétiens doivent alors fuir leur patrie, comme les Irakiens, pour des raisons économiques, politiques et sécuritaires. Cela constitue une grosse perte culturelle, religieuse, morale et économique pour la région.

Le printemps arabe, qui a permis une montée en puissance des islamistes, en Tunisie, en Libye ou encore en Égypte, pourrait-il accélérer cet exode ?

Oui. Les chrétiens, en tant que minoritaires, sont des boucs émissaires faciles dans certains pays où nous passons d’un régime dur à un régime plus dur encore.

La faute notamment aux groupes fondamentalistes qui sont financés par certains États du Golfe, armés, organisés et soutenus par certains pays d’influence, alors que les musulmans dans leur grande majorité sont plutôt modérés.

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Comme en Syrie, par exemple ?

La situation en Syrie est très critique. Je crains que les événements sanglants en cours n’aboutissent à une guerre civile entre sunnites et alaouites avec de lourdes conséquences pour les chrétiens. Dans ce cas, les réformes politiques désirées resteront lettre morte et le désordre politique, social et sécuritaire règnera dans toute la région, Liban y compris.

Etes-vous médiateur dans cette crise ?

Médiateur, c’est trop dire. J’appelle au dialogue et à l’entente pour entreprendre les réformes politiques nécessaires et je condamne la violence. Nous voulons éviter que la Syrie se transforme en un nouvel Irak qui reste pour nous un exemple très éloquent de ce qu’il ne faut pas faire. Où est d’ailleurs la démocratie dans ce pays ?

Qu’attendez-vous de l’Occident ?

Pas grand-chose. Les pays occidentaux regardent avant tout leurs propres intérêts économiques et politiques, alors que la communauté internationale détourne le regard des problèmes des chrétiens d’Orient.

Cela dit, l’Europe va faire face à un gros problème avec ses minorités musulmanes dont certains membres ne veulent pas séparer État et religion. Pour eux, l’Islam vient en premier. Et ils font plus d’enfants que les chrétiens.

Est-ce que le Liban, où les religions cohabitent sans trop d’accrocs pour l’instant, peut servir de modèle dans ce Moyen-Orient en pleine mutation ?

Les chrétiens du Liban ont toujours eu un rôle moteur. Ils sont à l’origine de la formation du pays qui se distingue, politiquement, culturellement et socialement des autres États de la région avec des institutions qui respectent toutes les religions, qui leur reconnaissent une autonomie juridictionnelle en matière de mariage notamment. C’est grâce à eux que le Liban est devenu « le poumon » des Arabes et de l’arabité, par les libertés, la culture, la démocratie, l’ouverture à l’Occident…

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