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Réussir à scolariser les enfants en dehors de tout système

Depuis 1984 une petite Communauté des Frères est présente à Bayadeya, village situé dans le Gouvernorat de Minia, à environ 300 km au sud du Caire. La dénomination « village » peut surprendre, car il s’agit ici d’une communauté de 24.000 habitants. Ses caractéristiques méritent d’être signalées : la ressource traditionnelle des « fellahs » est l’élevage, principalement des bufflesses qui fournissent lait et viande, secondairement des moutons et des chèvres. S’y ajoutait, jusqu’en mai 2009, un grand nombre de porcs : leur suppression sera durement ressentie. L’agriculture est orientée vers les besoins de l’élevage : luzerne et maïs notamment. Le blé répond aux besoins d’une population grande mangeuse de pain. C’est encore un régime en grande partie autarcique. Seule la canne à sucre est entièrement commercialisée.

Mais un territoire de 600 ha, même si l’on y assure deux ou trois récoltes par an, ne suffit pas pour subvenir aux besoins d’une telle population. Certains cherchent à émigrer, notamment aux Etats-Unis : on en compte une centaine regroupés en Virginie. Beaucoup quittent le village plusieurs années de suite et trouvent un gagne-pain soit dans les métropoles du pays, soit dans les stations balnéaires de la Mer Rouge, soit dans les pays du Proche-Orient : Liban, Chypre, Jordanie, Arabie et surtout Koweit. Il s’agit là d’un contingent de trois mille hommes. Ils acquièrent alors la capacité d’acheter les bijoux nécessaires pour se marier. Ils rapportent des devises qui introduisent de façon chaotique la modernité dans tous les domaines de la consommation : paraboles sur les terrasses, jouets, habits à la mode chez les jeunes, motos, équipements ménagers…

 

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Mais cet argent sert principalement à réaménager ou carrément à reconstruire des maisons vétustes ou à en construire de nouvelles pour répondre à la croissance de la population. Depuis trois ans on assiste à un changement radical de l’habitat. Sans cesse s’ouvrent de nouveaux chantiers qui donnent de l’emploi aux nombreuses équipes de maçons. Mais l’afflux de ces moyens accroît la disparité entre les « ayants » et les « n’ayants pas »…

La religion

Il faut assurément employer ce mot au pluriel. D’abord il y a la distinction chrétiens-musulmans. Paradoxalement le village a la même proportion que l’ensemble de l’Egypte mais inversée. On a donc grosso modo 90% de chrétiens. Eux-mêmes appartiennent à six confessions différentes. Très accrochés à leurs signes d’identité, ces religions sont à composantes plus cultuelles que pastorales proprement dites, faisant peu de cas des problèmes concrets qu’éprouvent les gens sur les plans personnel et collectif.

Les églises coptes catholique et orthodoxe sont encore bien implantées mais leur conservatisme est tel que beaucoup de fidèles, surtout les jeunes, leur préfèrent les églises évangéliques à la théologie douteuse mais à l’approche psychologique mieux adaptée. On peut aussi s’étonner de l’impasse qu’elles font sur les questions de diététique et sur les mariages arrangés, souvent consanguins, quel que soit le nombre de handicapés qui en résultent.

La Révolution du 25 janvier a levé – au moins provisoirement – le veto ministériel concernant la construction de nouvelles églises. Les effets ne se sont pas fait attendre. Sept églises – dont une est déjà terminée, équipée d’un clocher dont la hauteur dépasse celle du minaret – sont en construction qui s’ajouteront aux six anciennes. Sans doute les aides viennent de l’extérieur. On peut se féliciter de cette liberté si longtemps désirée. Mais on est aussi en droit de s’interroger : tandis que se déroule ce concours de religions, les jeunes – rappelons que la moitié de la population a moins de trente ans – ne disposent ni de terrain de jeux, ni de piscine, ni de théâtre, ni de cinéma, ni de salle des fêtes et surtout pas de salle de bal !

Les écoles

Désormais peu d’enfants échappent à la scolarisation. Les statistiques sont satisfaisantes mais les résultats médiocres. L’école publique accueille journellement deux fournées d’un millier d’enfants. Les classes ont des effectifs qui dépassent la soixantaine. A la fin du primaire, la plupart des élèves ne savent ni lire ni compter. Ils ne peuvent pas compter sur leurs parents qui sont absents ou analphabètes, au point qu’il n’existe pas de librairie dans le village, ni même un point de vente de journaux.

Pour remédier à ces carences, l’AHEED (Association – Catholique – de Haute-Egypte pour l’Education et le Développement) a créé de nombreuses structures : un Centre Social comprenant des clubs divers, un dispensaire, une bibliothèque et un foyer d’éducation familiale et sociale pour 150 filles. A côté existe une école primaire appelée « Ecole catholique ». A la périphérie se trouve une autre école primaire et un collège sous l’appellation « Aurore Nouvelle ». Malheureusement les familles sont assujetties à verser des scolarités relativement importantes, ce qui décourage les plus pauvres.

 

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L’action des Sœurs du Sacré-Cœur

Elles sont présentes dans le village depuis 40 ans. Leur influence est considérable. Elles ont poussé, conjointement avec des mesures gouvernementales, dans le sens du progrès : arrêt de la pratique de l’excision, conseils d’hygiène domestique, soins médicaux, prise en charge du foyer d’éducation familiale et sociale, création d’un kindergarten – il en existe cinq autres dans le village -, ouverture il y a vingt ans d’un foyer « Foi & Lumière », etc.

Rôle des Frères

Début 2010 ils célébraient le 25ème anniversaire de leur implantation. Leur nombre étant réduit (trois seulement), ils s’investissent principalement dans deux domaines :

L’école parallèle

Elle a été fondée par les Frères en 1992 et l’AHEED a accepté de financer son fonctionnement. Le terme « parallèle » désigne une école qui échappe aux contraintes de l’enseignement officiel pour pointer sa pédagogie sur les fondamentaux « lire-écrire-compter ». Elle profite des locaux laissés libres l’après-midi par « Aurore Nouvelle » . Sa clientèle est composée aux deux tiers de filles. Près de 300 enfants la fréquentent qui, autrement, n’iraient pas à l’école « classique ». Les divisions ne sont pas établies en fonction de l’âge, mais du niveau : une grande fille de 15 ans peut côtoyer un gamin de 9 ans sans éprouver de complexe. A l’issue du 5ème niveau, un examen permet d’entrer dans un petit collège de 150 places sis dans un local du Centre Social où ils ont la garantie d’un meilleur suivi que s’ils rejoignaient le collège officiel.

L’Action Catholique

On la trouve dans cinq villages de la région qu’un Frère suit régulièrement. A Bayadeya elle embrasse toutes les classes d’âge. On a donc l’ACE – en fait dépendante du MIDADE – pour les petits et les pré-adolescents. Les jeunes de plus de 15 ans peuvent entrer dans la JOC. On retrouve la même structure chez les filles. Au-delà des 24 ans existe un groupe de MTC (Mouvement des Travailleurs Chrétiens) qui correspond à l’ACO en Europe. Tous ces jeunes se réunissent une fois par semaine sans tenir compte du calendrier scolaire et donc sans exception. Pour les responsables cela signifie d’autres réunions.

La visée des Mouvements est double : d’une part s’entraîner au voir-juger-agir à la lumière de l’Evangile et aborder les problèmes de la vie quotidienne familiale, scolaire et communale, sans s’écarter des lignes d’action qui s’ensuivent ; d’autre part faciliter la rencontre des jeunes au-delà des frontières religieuses. Même si elle organise une célébration à l’occasion de Noël et de Pâques, l’AC est ouverte aussi aux Musulmans. Ils y sont moins nombreux qu’autrefois, du fait de la montée de l’intégrisme, mais on les y trouve encore. Etrangement, en comparaison des protestants et des orthodoxes, ce sont les catholiques qui sont les plus réticents à venir. En tous cas les Frères sont perçus comme « ceux qui ne font pas de distinction ». En quoi ils sont vraiment « catholiques ».

Autres activités des Frères

Au-delà de ces deux chapitres essentiels, signalons deux pistes secondaires. L’existence d’une menuiserie attenante à l’Ecole parallèle permet aux garçons d’apprendre l’usage des outils tandis que les filles sont occupées à des travaux de couture. Hors les temps scolaires cet atelier permet de former des apprentis menuisiers. Enfin un effort est fait pour donner aux enfants le goût des livres au moyen d’un club de lecture ouvert une fois par semaine. Remarque importante Dans tous ces domaines signalés, les Frères ont le souci de s’effacer au profit de responsables locaux et, de créateurs qu’ils étaient au départ, ils ne sont plus que des accompagnateurs. C’est ainsi que l’Ecole Parallèle a une directrice qui prend son rôle très à cœur, avec autour d’elle une équipe de femmes décidées (remarquons l’absence d’hommes dans le domaine éducatif, dû à leur expatriation mentionnée plus haut). L’AC a un responsable général et d’autres à chaque instance. Enfin, en menuiserie, certains apprentis ayant plusieurs années d’expérience seront aptes à exercer un monitorat.

 


 

L’aide de l’Oeuvre d’Orient

En 2010, de la somme que l’O.O. a versée au District du Proche-Orient des Frères des Ecoles Chrétiennes a permis de faire face en grande partie aux dépenses de l’école parallèle (manuels scolaires, goûters, soins médicaux…).

Nous, Frères de Bayadeya, tenons à remercier chaleureusement les responsables de l’Oeuvre d’Orient.