• Actualités

Témoignage de Bérangère, volontaire à Jérusalem

 

Jérusalem, le 20/11/2018

 

 

Je suis arrivée à Jérusalem il y a quelques semaines maintenant. Après un voyage un peu épique, une heure d’interrogatoire à la douane avec un petit homme d’une amabilité notoire, un trajet Tel-Aviv-Jérusalem non sans encombre, j’ai enfin retrouvé les sœurs à l’Hospice Saint Vincent de Paul, ouf ! Un véritable havre de paix après cette longue journée ! J’ai tout de suite été interloquée par la localisation de la maison, qui se trouve au milieu d’un quartier très riche, en bordure d’une rue équivalente aux Champs-Elysées parisiens. Frappant mais très révélateur du pays et des disparités qu’il peut y avoir entre les différentes populations, religions, nationalités.

 

J’ai été très bien accueillie par les Sœurs, qui m’avaient préparée une chambre tout confort et qui ont été adorables avec moi, dès le début, le luxe ! C’est infiniment précieux quand on arrive dans un endroit qu’on ne connait pas, loin de ses repères et de ses habitudes. J’ai vite retrouvé les autres volontaires de l’Hospice ; Patrick, Sixtine et Pierre. Les trois travaillent avec les personnes handicapées, tandis que je m’occupe des bébés à la crèche que gère Sœur Silouane, tandis que Sœur Marlène s’occupe des handicapés et que Sœur Alice s’occupe de l’administration (j’admire ……).

L’ambiance qui règne dans la maison est chaleureuse et conviviale, c’est un bonheur de s’y sentir comme chez soi. Les Sœurs sont aux petits soins avec nous et s’inquiètent toujours de savoir si nous ne manquons de rien, si tout va bien, si nous n’avons pas froid, si nous mangeons bien… Pour nous qui sommes loin de nos familles, elles représentent de vraies mamans pour nous et c’est rassurant de les savoir ici, avec nous !

Patrick est volontaire depuis déjà 9 mois, alors que nous venons d’arriver avec Sixtine et Pierre ; c’est donc très intéressant de pouvoir échanger avec lui sur nos premières impressions, nos premiers ressentis, nos peurs, appréhensions, joies, questions, qui nous animent en ce début de mission. On sent qu’il a déjà le recul nécessaire pour nous rapporter certains points ou moments clé de son expérience, que nous sommes amenés à vivre en ce moment, de manière plus ou moins intense.

 

 

Le travail à la crèche est beaucoup plus intense et stimulant que ce que j’imaginais. Je m’occupe des enfants qui ont entre 1 an et 18 mois, ce sont des petits érythréens pour la plupart, qui ont fui leur pays en guerre contre l’Ethiopie et qui vivent à Jérusalem dans une grande pauvreté. Il y a également quelques petits français, dont les parents sont expatriés. Je travaille avec Jeanna et Salam, deux salariées palestiniennes, qui sont adorables avec moi ; ce sont deux femmes au grand cœur, qui ont le sens du service, de l’abnégation et de l’enthousiasme.

Nous arrivons à communiquer en anglais (oui, oui, il n’est jamais trop tard pour s’y mettre !!) et elles m’apprennent quelques mots en hébreu et en arabe. Quand nous n’arrivons pas à communiquer par les mots, nous trouvons d’autres moyens pour se faire passer les idées, comme les gestes, le regard, les expressions. C’est impressionnant, cette mixité et cette diversité ! Je crois que j’entends parler au moins 6 langues dans l’enceinte de l’Hospice ! Tout cela me permet de prendre vraiment conscience de la complexité et de la richesse du contexte dans lequel je vais avoir la chance d’évoluer durant mon année ici. Aussi, travailler avec des personnes d’une culture différente de la mienne est une expérience très intéressante. En effet, cela permet de constater qu’il peut y avoir d’autres manières de travailler, de communiquer avec les enfants ou de s’en occuper.

 

Au début ça a été difficile, je le reconnais, et je me suis demandée comment j’allais bien pouvoir canaliser mon caractère de feu, impatient et hyperactif, pour pouvoir apporter aux enfants ce dont ils avaient besoin. Mais je me suis finalement aperçue que ces difficultés de début de mission, aussi déstabilisantes soient-elles, sont une véritable source d’enrichissement personnel et ont un côté très positif. En effet, de manière assez radicale, elles révèlent nos vulnérabilités, nos propres limites, notre besoin d’être reconnu et tout ce qui restaient inavoués à l’intérieur de nos cœurs. C’est une sacrée claque, c’est une belle leçon d’humilité que nous recevons ici, à l’école de l’Homme. C’est un retour à plus de simplicité, plus d’acceptation de l’autre et de soi, plus de profondeur et de vérité dans ses pensées et dans ses actes. Cela nous pousse à révéler ce qu’il y a vraiment au fond de nous et à répondre à ce à quoi nous sommes appelés. Ainsi, « l’autre est la chance de ta vie », et c’est ici que j’en prends déjà bien toute la mesure. Je prends conscience de la beauté et de la richesse de la rencontre et du service. L’exigence de l’ouverture et du don de sa personne est porteuse de sens, de joie, de vérité. Bizarrement, c’est en s’éloignant de sa vie quotidienne, de son pays, de ses repères que l’on se trouve véritablement, que l’on peut prendre du recul et percevoir qui l’on est vraiment et ce à quoi l’on aspire, alors …. Yallah !

 

A côté du travail, il y a le cadre. Je mesure de jours en jours l’immense chance que j’ai de vivre dans un tel contexte, qu’est Jérusalem ! La richesse de cette ville est incalculable … Il y a tant à faire, tant à découvrir, tant à saisir ! Le poids de l’histoire, de la puissance culturelle, des tensions encore vives et permanentes, font de ce lieu un endroit à la fois fascinant et apeurant ! Fascinant parce qu’il nourrit et ravive en moi des croyances et aspirations spirituelles que je cherche à travailler et approfondir.

Sans trop rentrer dans les détails, ce qui se passe ici n’est pas anodin … nos cœurs sont travaillés et bousculés, c’est assez fort. Apeurant, car le contexte n’est pas anodin, banal et il est double. D’une part, le conflit israélo-palestinien est encore actuel et je le ressens vraiment en vivant ici. D’autre part, car Jérusalem reste la ville trois fois sainte, recouvrant plus de 3000 ans d’histoire qui, pleine de controverses, suscite toujours autant de passions. On sent que tout repose sur un fil, tout semble suspendu on ne sait trop comment, on sent que le vide n’est pas loin et que la moindre étincelle peut rallumer un brasier ardent. C’est grisant, impressionnant et vif, mais je crois que j’aime ça.

 

Nous sommes un bon groupe de français ici, que ce soit des étudiants, des volontaires ou autres. L’ambiance est donc plutôt sympathique et de nombreuses activités sont proposées : week-end baroud dans le désert en stop, visites avec les frères dominicains de l’Ecole Biblique dans la ville ou dans le pays, sorties et week-ends scouts, groupes de prières ou de formation théologique, match de foot, entraînement pour le semi-marathon de Jérusalem …. On ne s’ennuie pas, on croque la vie à pleine dents et tente de saisir la puissance de l’expérience unique que nous sommes tous en train de vivre ! Je sens que de belles amitiés spirituelles sont en train de s’édifier et cela participe à la création de repères ici.

Jérusalem c’est un peu cela : beaucoup de dépaysement et de belles surprises, beaucoup de rencontres et de dons, beaucoup de langages et de confessions, beaucoup d’aventures et de révélations, beaucoup de chamboulement et d’apaisement. Malgré le contexte pourtant tendu, la vie semble s’y écouler (presque) comme un long fleuve tranquille et le temps apparaît comme étant suspendu. Oui, vivre ici demande une certaine adaptation, mais ce n’est pas si difficile que ça finalement. Tous cohabitent sans soucis, c’est très surprenant au début ; et puis on se laisse bercer par cet ensemble harmonieux aux douces saveurs, aux mille couleurs, aux rues étroites, aux cieux étoilés, aux journées intenses et aux heures orientales.

 

Je réalise ici, que ma petitesse et mes faiblesses attirent l’amour de Dieu. Je trouve déjà des réponses à certaines de mes questions intérieures, car je crois que l’on reçoit des lumières étonnantes ici, qui permette d’acquérir une profonde acceptation de soi, qui permette de consolider et d’édifier nos cœurs et nos âmes…  Or, c’est par cette acceptation que l’on peut se donner pleinement en retour, il me semble. C’est comme si, ici à Jérusalem, toutes nos impressions, nos sentiments, notre imagination et nos réflexions, étaient éclairées par une force insaisissable que je n’avais jamais ressentie jusqu’à présent ! En bref, c’est assez puissant et encore trop difficile à verbaliser, mais je laisse du temps au temps !