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Turquie : Vivre sa Foi dans un pays laïc où l’Etat est omniprésent

Mgr Louis Pelâtre, Vicaire apostolique d’Istanbul Interview – 17/06/2011

1. L’Œuvre d’Orient : Monseigneur, quelle est la situation des chrétiens en Turquie ?

Mgr Pelâtre : Les chrétiens en Turquie sont une toute petite minorité, on les laisse tranquilles, ils ne sont pas visibles, ni significatifs. Il y a eu 2 assassinats : 1 évêque l’an passé, Mgr Padovèse et un prêtre Père Santoro il y a 5 ans, ce n’est pas du tout représentatif. En 40 ans de vie sur place, c’était du jamais vu ! On compte peut-être 100 000 chrétiens sur une population de 75 millions d’habitants, concentrés principalement à Istanbul (où il y a 12 paroisses) et dans la région d’Ankara.

On ne peut malheureusement pas parler réellement d’Église catholique turque car les communautés se différencient les unes des autres pour des questions culturelles et identitaires. Je suis face à différentes linguistiques : A Istanbul, l’Église St-Louis des Français est fréquentée uniquement par les francophones, les levantins (présents depuis l’Empire Ottoman et qui sont en voie de disparition) ne parlent qu’italien, l’anglais est pratiqué par les expatriés. Depuis 2003, la Turquie accueille de nombreux réfugiés irakiens, et désormais d’Afrique Noire (congolais, camerounais, nigériens) qui viennent chercher du travail. Avec les Philippins, ils remplissent nos églises latines.

2. L’Œuvre d’Orient : Monseigneur, comment vivent les jeunes chrétiens?

Mgr Pelâtre : Les jeunes pensent tous à émigrer pour des raisons économiques mais aussi culturelle : « mon Père, il n’y a pas d’avenir ici, nous voulons aller dans un pays chrétien ». Les turcs musulmans émigrent également vers les États-Unis, et vers l’Allemagne pour les travailleurs ouvriers. Je tente de dissuader mes jeunes paroissiens, mais sans succès. Ils ont appris des langues étrangères, et peuvent bouger à l’étranger. Mais au moins ici ils sont soudés les uns autres, je crains leur déception une fois partis. Je tente de les motiver : cet été, je suis à la tête d’un groupe d’une cinquantaine de jeunes venant des différentes communautés pour les JMJ de Madrid.

Les écoles chrétiennes, ont gardé le nom d’écoles « catholiques », mais ne forment plus vraiment les chrétiens. Très réputées, l’enseignement y est bilingue français-turc. Ouvertes à tous, on y rentre par concours. On y enseigne plus le catéchisme. Avec Atatürk, ces écoles ont été semi-nationalisées. Les religieux peuvent désormais simplement nommer le directeur et l’éducation nationale choisit le sous-directeur.

3. L’Œuvre d’Orient Des réfugiés ont quitté la Syrie. Y a-t-il parmi eux des chrétiens ?

Mgr Pelâtre : Effectivement des réfugiés syriens sont bloqués dans le sud de la Turquie, dans la Province d’Hatay. Ils n’arrivent pas à Istanbul.

4. L’Œuvre d’Orient : Avez-vous des attentes envers le nouveau gouvernement ?

Mgr Pelâtre : Lors des dernières élections le parti dominant a été réélu. La Turquie a une image politique stable. Elle se sent forte devant un monde arabe qui ne l’a jamais beaucoup estimée. nous n’attendons pas de surprise avec ce gouvernement : nous avons la liberté de culte. Les chrétiens sont si peu nombreux qu’on ne les embête pas.

Notre vrai problème reste les propriétés foncières : nous n’avons pas et n’avons jamais eu de titres de propriété. Mais depuis quelques années, l’État nous dit « vos titres de propriété ne sont pas valables. Vous pouvez rester mais vous n’êtes pas propriétaires« . Ce n’est pas une situation confortable. Les turcs ont une application très stricte et étroite de la laïcité : même les musulmans sont sous le contrôle du gouvernement. Prenez mon exemple : je ne suis pas reconnu comme évêque, je peux ouvrir un compte à mon nom mais pas au nom de mon diocèse. Mes collègues musulmans me racontent l’omniprésence de l’État « au temps d’Atatürk, les théologiens islamiques avaient un faible niveau d’études ; ils ont donc crée une université de théologie islamique dont le responsable est désormais nommé par l’État ».

Si on nous proposait cela nous, catholiques, le refuserions.


L’Œuvre d’Orient a versé en 2010 en Turquie comme allocation : 111 000 € hors secours urgents, offrandes de messe, et bourses de séminaristes