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Un Occident prompt à distribuer bons et mauvais points

Le monde occidental a une responsabilité importante dans la tension israélo-palestinienne, qui s’étend au Liban et en Syrie. L’intervention en Irak n’a pas été en mesure d’assurer une sécurité minimum aux communautés chrétiennes. L’insistance à parler d’une laïcité « à la française » et du « modèle » démocratique turc est souvent maladroite et inadaptée à la culture arabe. Enfin, l’exportation de la crise économique décourage les classes moyennes prêtes à s’unir aux milieux populaires pour réclamer des changements. Ce contexte qui vise les populations arabes dans leur ensemble suscite un désir d’expatriation qui n’épargne pas les chrétiens.

Le contexte oriental est celui d’une minorité chrétienne, dans une société à majorité musulmane elle-même diverse et victime de la violence terroriste.

En Algérie, tandis que nous pleurions à juste titre les moines de Tibhirine, plus de cent mille musulmans se faisaient assassiner. L’héritage ottoman contribue à faire des chrétiens des groupes sociaux dont la pleine citoyenneté est plus ou moins suspectée et l’existence plus ou moins tolérée ou « protégée ». Les droits de l’homme sont insuffisamment développés et la liberté de conscience, forme fragile de la liberté religieuse, devrait aller au-delà de la simple liberté de croire. L’explosion démographique et l’augmentation du niveau culturel déstabilisent ces sociétés. Elles ont les moyens de connaître le modèle occidental qui les fascine, mais pas celui de le reproduire. Les frustrations sont source de violences.

La situation des chrétiens est liée à la situation des pays concernés :

ils partagent les mêmes difficultés, tout en étant victimes d’un statut minoritaire. Cette vulnérabilité peut, paradoxalement, donner aux chrétiens une mission spécifique au service du dialogue et de la paix. Dans plusieurs pays, les chrétiens sont les médiateurs par qui des groupes peuvent se parler. Ils peuvent faire progresser les droits fondamentaux. Ils savent que des partitions ethnico-religieuses ne seraient pas une solution viable. Les libertés reconnues ou refusées aux chrétiens sont un excellent baromètre pour évaluer les libertés dans un pays. En ce sens, le départ des chrétiens est toujours un désastre pour un pays.

C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’intervention de Mgr Bechara Boutros Raï,

patriarche maronite du Liban, élu en mars 2011 et – selon la tradition – invité le mois dernier par la France en ami. Il a pu rencontrer les plus hautes autorités de notre pays. Homme de dialogue, de paix et d’ouverture, il n’a cessé de répéter qu’il n’était pas un homme politique même si l’histoire du Liban lui confère une dimension nationale. Il a su rassembler au Liban des personnalités chrétiennes et musulmanes pour aider chacun à prendre de la hauteur face au quotidien. En France, malheureusement, il a été plus souvent interrogé sur la situation syrienne que sur l’Église maronite.

Certains en Syrie veulent à tout prix le maintien du régime actuel sans savoir quelles pourraient être les évolutions possibles. D’autres exigent le départ de Bachar Al Assad sans savoir par qui le remplacer. Le patriarche libanais maronite, en tant qu’autorité spirituelle, invite, en Syrie comme ailleurs, à prendre de la hauteur. Son but n’est pas de « prendre parti ». Il n’hésite pas à condamner la violence actuelle. Il sait que les chrétiens syriens sont traumatisés par la situation irakienne : qui peut le leur reprocher ? Il sait que nul n’est capable d’envisager clairement l’avenir, et qu’un bain de sang est une hypothèse plausible : qui peut le nier ? Les conflits en Égypte, en Tunisie, en Libye sont intérieurs au monde sunnite. Le conflit syrien, entre sunnites et alaouites, peut dramatiquement dégénérer. Le patriarche sait parfaitement que des réformes sont indispensables en Syrie ; il souhaite que les chrétiens n’en fassent pas les frais. Certains en Occident sont prompts à distribuer des bons ou des mauvais points. Ils seraient mieux avisés d’évaluer les conséquences des interventions extérieures pour les chrétiens d’Orient, spécialement en Irak et en Palestine.

 

Article paru dans La Croix, dossier  » Chrétiens d’Orient, quel printemps ? «