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L’esprit des ruines d’el-Khadr à Taybeh… - Fouilles et mise en valeur d’un lieu saint de Palestine - V. Michel - 2014

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Par V. Michel, Enseignant-chercheur, MCF, Histoire de l’Art et Archéologie de l’Antiquité,
HeRMA EA 3811 – Université de Poitiers
Directeur de la Mission Archéologique Française pour la Libye Antique
Centre de Recherche sur la Libye Antique (CERLA) – Paris IV Sorbonne

http://mansur-archeo.com/

 Institut du Monde Arabe, 6 février 2014.

 

Le site d’el-Khadr dans le village actuel de Taybeh a fait l’objet de 2000 à 2009 d’une recherche archéologique et d’une mise en valeur, sous ma direction, à la demande de la Municipalité de Taybeh, sous l’égide de l’Atelier Saint-Jean des 4 Couronnés, avec l’autorisation du Département des Antiquités de Palestine, sous le patronage scientifique des pères Michele Piccirillo du Studium Biblicum Franciscanum et Jean-Baptiste Humbert de l’École Biblique. La mission a été financée par le Consulat général de France à Jérusalem et le Sénat français.

L’agglomération est située dans les montagnes de Samarie à 30 km environ au nord-est de Jérusalem. Les prospections archéologiques attestent une occupation ininterrompue depuis l’âge du Bronze Moyen (2300-1550) jusqu’à nos jours. Cette localité a tiré ses titres de noblesse de la Bible, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament notamment sous les noms d’Ephraïm, d’Ophra et d’Éphron (Jos 18, 23 ; 2 Sam 13, 23 ; 1 M 11, 34). Taybeh est actuellement l’unique village de Terre Sainte dont la population est entièrement chrétienne. Cette continuité leur a permis de conserver intacte la tradition d’un fait brièvement évoqué dans l’évangile de saint Jean (Jn 11, 54). En effet, dès la période byzantine (IVe-VIIe siècle), on y vénéra le souvenir du séjour de Jésus à la veille de Pâques. L’agglomération apparaît sous le nom d’Éphron sur la célèbre mosaïque de l’église dite de « la Carte de Madaba » en Jordanie. Situé entre le désert de Judée et la région montagneuse de Samarie, il est précisé que « Ephron, c’est Ephraia où vint le Seigneur ».

Si la tradition populaire affirme que l’on doit le changement de nom d’Éphraïm en Taybeh à Saladin, le vainqueur des Croisés à la suite de sa victoire à Hattîn en 1187, les textes semblent la contredire. En effet, les géographes arabes Yâqût vers 1225 et Marâsid vers 1300 désignent encore le village, sous le nom de ‘Afra ou de ‘Ifrâ, correspondant à l’arabisation du nom hébreu Ophra-Éphraïm. En fait, il faut attendre le début de l’époque Ottomane pour trouver la première mention avérée du nom de Taybeh, dans les registres des impôts en 1549 où 315 musulmans et 115 chrétiens sont recensés. La raison pour laquelle Éphraïm s’est transformé en et-Taybeh provient d’un problème de racine du toponyme en arabe. Les habitants ont changé de nom afin de remplacer une racine de mauvais augure voire démoniaque (‘Afra) en un vocable de nature à conjurer le malheur, et-Taiyibet el-Ism, c’est-à-dire le joli (bon) nom, abrégé en Taybeh.

Durant la période byzantine, au moins deux églises ont été construites. À l’emplacement de la première, située au cœur du village, a été construite la nouvelle église des grecs-orthodoxes dont nous ne savons presque rien en l’absence de fouilles et d’études précises. La seconde église appelée el-Khadr ou kniseh Mâr Djiris, située au sud-est du village sur une éminence de 840 m d’altitude, fut confiée à la protection d’el Khader.

Après avoir présenté succinctement le site d’el-Khadr, il s’agira d’étudier les nombreuses traditions et vénérations et de montrer les moyens mis en œuvre pour mettre en valeur l’esprit du lieu, un patrimoine tant matériel qu’immatériel.

Histoire et archéologie du site

L’église d’el-Khadr constitue un exemple de conservation et de préservation de l’esprit d’un lieu… saint en Palestine. La singularité du site, resté debout malgré les infortunes du temps, provient moins du mobilier liturgique et des artefacts exhumés par les fouilles que du bâti, maintenant coûte que coûte les ruines en vie et servant encore aujourd’hui de cadre architectural à toute une série de traditions, de croyances et de pratiques cultuelles.

Qu’a-t-on découvert et que voit-on sur le site ?

Une structure très mal conservée du fait de l’érosion naturelle et des aménagements postérieurs témoigne d’une occupation du site dès la période du Bronze Moyen (2300-1550) avec une structure au plan et à la fonction non identifiés. À l’époque romaine, un petit fortin construit avec des pierres à bossage, retrouvées remployées dans les murs d’époque byzantine et médiévale, garde le carrefour des routes orientale venant de Jéricho et méridionale venant de Jérusalem où plusieurs bornes milliaires ont été retrouvées. De cette période, datent également plusieurs tombes et un pressoir à vin mis au jour sur le côté sud du site.

Durant l’époque byzantine (IVe-VIIe siècle), le site évolue à partir d’une simple église devenant progressivement un vaste complexe ecclésiastique (28 x 25 m). Dans sa phase initiale, une basilique à trois nefs à abside centrale saillante est pourvue d’une unique sacristie au sud-est et accessible par un escalier monumental à l’ouest. Dans sa deuxième phase, la sacristie est remplacée par une longue chapelle au sud et des salles annexes domestiques et liturgiques, dont un baptistère, sont construites en enfilade sur le côté nord.

Détruit pas avant le VIIIe siècle, le site est restauré à l’époque médiévale (XIIe siècle) lors de l’arrivée des croisés à qui l’importance stratégique du village n’avait pas échappée. Ils érigèrent au sommet du village un château, le Castrum Sancti Helyes (« Château de saint Élie ») qui est bien documenté dans la littérature. Réduite à une petite chapelle à nef unique et à transept à absidioles, elle occupe désormais l’espace central du complexe byzantin. L’organisation de l’espace intérieur a été sensiblement conservée avec trois corps de bâtiments juxtaposés, preuve peut-être, d’un état de conservation assez satisfaisant quand les croisés décidèrent de reconstruire le complexe. C’est à cette époque que la cuve baptismale de la période byzantine est transférée dans l’absidiole sud. Les murs de l’église médiévale, plus épais qu’à l’époque byzantine afin de supporter les voûtes, sont bien conservés avec, par endroits, plus de 5 mètres de hauteur. Le dallage médiéval jamais recouvert témoigne d’une occupation et d’une dévotion populaire continue de la part des Chrétiens du village. Parmi les éléments de décor, on peut mentionner la découverte dans la couche d’écroulement du cul-de-four de l’abside centrale, de blocs conservant un décor de fresque. De nombreuses pierres d’époque byzantine sont remployées dans la nouvelle maçonnerie, comme des fragments de fût de colonne retaillés en départ d’arc, un reliquaire à circulation d’huile inséré dans un pilastre de la chapelle sud et plusieurs colonnes noyées dans le mur fortifié occidental.

À la suite d’une destruction naturelle (le tremblement de terre de 1202 ?) ou artificielle (destruction lors de la conquête de Saladin à partir de 1187), le complexe a été partiellement reconstruit et la maçonnerie a été consolidée, surtout visible dans le renforcement des murs par un comblement entre les pilastres et dans la construction du talus contre le parement extérieur de l’abside centrale.

Puis, de l’époque Mamelouke (1250-1517) jusqu’aujourd’hui, les murs n’ont pas cessé encore d’être reconstruits, les espaces transformés et les célébrations religieuses régulières, rendant souvent difficile la lecture et la compréhension du site.

Traditions populaires à redécouvrir et à valoriser…

L’enquête menée auprès de la population, particulièrement de la vieille génération, l’étude bibliographique et la recherche archéologique ont permis de recenser et de retrouver la richesse et le génie du lieu, intéressant l’histoire du village actuel et du site d’el-Khadr en particulier.

Concernant le complexe ecclésiastique d’el-Khadr, plusieurs traditions y sont attachées, mais toujours très difficiles à vérifier : le patronage de sainte Hélène mère de l’empereur Constantin, le lieu de la retraite de Jésus, le culte d’un saint personnage, la dédicace à saint Georges, à Gédéon ou encore au prophète Élie… Les raisons qui ont motivé sa construction et la vénération originelle à l’époque byzantine ne nous ont pas été transmises précisément, ni par les textes, ni par les inscriptions.

1. La tradition populaire contemporaine reconnaissant sainte Hélène comme commanditaire de la construction est facile à comprendre surtout en Orient : un lieu présentant un patronage impérial aussi exceptionnel et prestigieux placerait le site parmi les principaux monuments d’époque constantinienne de Palestine, aux côtés du Saint-Sépulcre ou de la basilique de la Nativité à Bethléem. Si on peut comprendre l’enjeu, en revanche, aucun texte ancien ne l’atteste, ni même le suggère.

 

2. L’église marque t-elle l’endroit précis de l’épisode biblique mentionné dans l’évangile de Jean ? Rien n’empêche de concevoir a priori l’emplacement de l’évènement biblique dans l’une des deux églises en l’absence de dédicace précise. Toutefois trois éléments ont orienté « naturellement » le choix des habitants vers l’église d’el-Khadr : l’état de ruines du site à l’aspect romantique, le fait qu’il soit la propriété de la Municipalité et non de l’une des trois communautés chrétiennes du village et sujet de disputes, le caractère excentré de l’édifice… toutes ces raisons ont donc conduit les habitants vers ce lieu « neutre ». L’autre église byzantine, située sur le flanc sud-est du village actuel, a été reconstruite par les grecs-orthodoxes en 1820-1830, puis de nouveau en 1927, sans qu’aucune fouille, ni recherche, ni relevé n’aient été réalisés. Toutes les données anciennes sont donc perdues à jamais.

3. L’unique mobilier cultuel de cette période consiste en deux rares reliquaires bien conservés mais vides. Il s’agit de reliquaires à circulation d’huile dont le type est bien connus en Syrie. La présence de ces deux réceptacles suffit à justifier l’importance de l’église à l’époque byzantine et à comprendre l’évolution du site voyant la construction d’un martyrion sur le côté sud de l’église byzantine à la fin du Ve ou au début du VIe siècle (2ème phase).

4. À ces vénérations, s’ajoute celle d’une autre importance actuellement, celle d’el-Khadr, signifiant le « verdoyant », « l’Immortel » et la piété populaire identifie cette figure mythique ancienne à saint Georges, très renommé dans la région et qui est toujours invoqué actuellement par les Chrétiens.

5. Ces vénérations s’ajoutent aux nombreuses erreurs d’attribution déjà existantes, notamment celle en faveur du prophète Élie associé parfois au Khadr et celle de Gédéon.

–          La vénération du prophète Élie se rattache à un passage du livre des Rois (1 Roi 19, 4-8) où Élie est nourri par un ange avant d’atteindre le Mont Horeb dans le désert du Sinaï. Lors de sa fuite du mont Carmel et avant d’arriver au Sinaï, la logique populaire veut qu’il ait fait une halte… pourquoi pas à Taybeh ? Ainsi est née une tradition invérifiable… La mémoire du prophète Élie est également présente dans le nom du château croisé (Castrum Sancti Helyes) et dans une grotte située au sud-est de l’église.

–          Il faut également mentionner la confusion entre la localité d’Ophra de Samarie, c’est-à-dire Taybeh et l’Ophra de Manassé située en Galilée. Cette erreur de lecture conduisit à vénérer dans le village de Taybeh, la naissance de Gédéon (Juges 6, 11), la colline de la toison (Djebel el-Djizzeh) et même à identifier son tombeau sous une colonne à moitié enfoncée dans les ruines de la chapelle sud.

Comme très souvent en Terre Sainte, toutes ces traditions sont apparues tardivement, pas avant l’arrivée des Croisés, désireux de pouvoir situer géographiquement tous les lieux saints mentionnés dans la Bible, but de tous pèlerinages, sans souci de vérité ou en s’appuyant sur une lecture erronée de la Bible. Chaque période apporte d’ailleurs son lot de traditions et de vénérations, dans un souci bienveillant de rentabiliser les pèlerinages.

Les lieux vivants de mémoire

De nombreux petits sanctuaires maçonnés d’époque moderne ont été construits à l’intérieur des ruines au fil du temps, remployant les pierres du site, servant à des dépôts d’objets divers ou à des lampes et des cierges dont les traces noirâtres de combustion sont autant d’empreintes indélébiles laissées sur la pierre. De petits morceaux de papiers écrits sont insérés dans les interstices des pierres non jointoyées. En effet, les visiteurs, pèlerins occasionnels ou dévots habituels, aiment ses gestes de piété concrets et symboliques.

Le lieu sert encore aujourd’hui aux Chrétiens du village pour les sacrifices d’animaux en l’honneur de saint Georges, reflétant une tradition mixte entre rites païens sanglants et référence au rite sacrificiel et expiatoire du bouc émissaire biblique. De retour dans le village, à l’occasion d’un mariage ou pour exprimer un vœu de guérison, un homme, une femme, une famille offre un sacrifice sanglant en égorgeant un agneau, un mouton, une chèvre, voire un veau ou une génisse, sur le seuil de la porte de l’église médiévale. Ensuite, le « sacrificateur », père de famille ou simple boucher du village, applique sa main ensanglantée sur les jambages de la porte puis y trace des croix. Il s’agit de la marque salvatrice de la croix couvrant la marque de la main qui symbolise le péché. Simplement pendu à un crochet fixé au linteau de la porte pour y être dépecé sur place, l’animal est enfin découpé et distribué aux pauvres du village.

Un dernier événement perpétue l’aspect mystérieux du site. La crypte fait l’objet d’une dévotion liée à Mariam, une jeune palestinienne qui a été tuée et y a été inhumée. Elle fut accusée à tort d’avoir « connu » un homme avant le mariage au début du XXe siècle. En souvenir de cette martyre, qui fut ensuite innocentée, la crypte s’appelle sitti Myriam. La découverte en 2002 d’un squelette retrouvé presque intact fit grand bruit. S’agit-il de son corps ? L’étude anthropologique réalisée en 2007 a révélé le sexe masculin du squelette.

L’apport de la recherche archéologique à la mise en lumière du génie du lieu

La protection du lieu, de l’environnement et des traditions attachés au monument apparaît ainsi aussi importante que le monument lui-même. En effet, on peut clairement identifier le génie du lieu à l’ensemble de ces traditions, croyances et pratiques constituant l’élément moteur et rassembleur du village, qu’il faut maintenir et mettre en valeur. Nos recherches en ont précisé certaines et révélé ou infirmé d’autres.

Le site d’el-Khadr est encore aujourd’hui, à la fois un lieu de culte et un centre de pèlerinages important pour les Chrétiens. Chargé de mémoire, fierté des habitants, il a offert également un potentiel remarquable pour un travail scientifique. En effet, la recherche archéologique a pour finalité, au-delà de l’apport scientifique, de sensibiliser le public à son Histoire, à son Identité, à son Patrimoine et à sa Valorisation. Elle doit permettre une meilleure compréhension du passé, riche de toute sa diversité culturelle qui s’est manifestée au cours de l’histoire sur ce territoire, dans ce village, et surtout à une époque où la Palestine redécouvre actuellement son héritage qu’il est urgent de sauver et de mettre en valeur.

Les fouilles, comme la mise en valeur du site, ont dû tenir compte de la fréquentation religieuse quotidienne du lieu et du respect de toutes les traditions précédemment évoquées… Il ne s’agit surtout pas pour l’archéologue de les supprimer. En effet, loin de bouleverser les habitudes ancestrales de dévotion, la fouille et la valorisation des vestiges permettent de redonner vie aux traditions et au génie du lieu.

La mise en valeur du site a consisté en des mesures de conservation et de restauration du bâti existant, en des aménagements à destination des pèlerins comme des touristes et en la création d’un musée.

1. La restauration du site :

Afin de limiter les dégradations et d’éviter tous risques d’éboulement, des travaux de maçonnerie respectant le style de chaque période de constructions ont permis de consolider le bâti existant et de restaurer certains zones comme le passage entre la chapelle sud et l’église centrale pour redonner de la verticalité au monument.

Sans privilégier une période particulière, le but était de prendre bien soin que toutes les phases d’occupation soient visibles. Ce travail fut mené avec des Compagnons du Tour de France dirigés par Jean-Loup Hanquart, qui ont sensibilisé et formé de jeunes palestiniens aux différentes techniques de taille, de sculpture et de restauration. L’idée était d’ancrer un projet archéologique dans une dynamique locale.

2. L’aménagement du site :

Le village de Taybeh, au centre duquel se trouve le site d’el-Khadr, est au cœur des grandes routes de Cisjordanie ; il est appelé à jouer un pôle d’attraction touristique évident, pas uniquement tourné vers l’entreprise préparant la seule bière de Palestine ! Entre les différents partenaires intéressés par le projet de valorisation, il a été décidé de réaliser un plan d’aménagement du site afin d’en faciliter l’accès et la circulation. La compréhension de son histoire générale et des différentes zones archéologiques a nécessité la mise en place d’une signalétique composée d’un fléchage et de panneaux explicatifs en trois langues (Arabe, français, anglais) et un nouvel éclairage intérieur et extérieur.

Plusieurs lieux de dévotions ont été maintenus pour le dépôt de cierges ou de bougies. Seuls deux sanctuaires édifiés l’un dans l’absidiole nord et l’autre contre le mur nord-ouest de l’église ont été conservés in situ ; les autres ont été démontés, à la demande de la municipalité et des chefs des communautés religieuses, permettant une plus grande clarté du site longtemps surchargé de « sanctuaires sauvages » et de « canaliser » les pratiques cultuelles dans des endroits précis et appropriés où les risques de détériorations sont minimes.

Pour le parcours, plusieurs itinéraires sont dorénavant possibles grâce à un aménagement spécifique et plusieurs barrières métalliques ont été installées pour sécuriser les zones archéologiques sensibles. Il est maintenant possible de faire tout le tour du site privé de sa gaine terreuse par un chemin de graviers le long du secteur nord, un large espace de circulation à l’est, une passerelle métallique longeant le mur extérieur de la chapelle sud permettant de préserver la zone du pressoir et des tombes tout en permettant de les voir, un escalier en pierre aménagé dans l’angle sud-ouest et un chemin dallé dans le secteur ouest, environné d’une terre rouge agrémentée d’oliviers et d’une végétation rase. Plusieurs types de matériaux ont été utilisés. Le choix a été dicté par la volonté de ne pas surcharger le site avec des aménagements lourds et visibles mais au contraire de conserver l’idée que ceux-ci disparaissent au profit du site. L’autre priorité était d’utiliser, dans les matériaux de restauration et d’aménagement, la pierre locale située dans une carrière voisine et le savoir-faire des artisans du village.

L’ancienne voie route asphaltée montant de la route secondaire jusqu’à la porte du site a été supprimée car elle défigurait le site et contrariait tout projet de valorisation. Cette voie avait été conçue à l’origine pour faciliter l’accès direct au site tant pour les visiteurs que pour les animaux acheminés en voiture ou en camion pour y être sacrifiés. Une nouvelle entrée plus étroite que la précédente est marquée par deux fragments de colonne et un chemin de graviers conduit à un emmarchement en pierre au pied de l’escalier monumental.

Enfin, un nouveau dispositif d’illumination a remplacé l’ancien, jugé trop visible et dénaturant le site avec ces hauts poteaux électriques. Placées aux pieds des murs, les teintes et les variations d’intensité des lampes selon les endroits permettent une réelle valorisation du site, en lui donnant plus de verticalité. Un dispositif intérieur souligne, quant à lui, les éléments architectoniques et permet les célébrations nocturnes.

3. La création d’un musée d’histoire et d’archéologie :

Avec l’accord de la Municipalité et du Département des Antiquités, la réalisation d’un musée archéologique à Taybeh, partie intégrante du projet de valorisation du site d’el Khader, est né de la volonté de créer un espace muséal « à échelle humaine », n’ayant pas plus d’ambition que de présenter simplement et clairement le bilan des découvertes faites lors des campagnes de fouilles. Il est dédié à la mémoire du père Michele Piccirillo, archéologue et professeur au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem, décédé brutalement en 2008.

Le lieu choisi est une ancienne maison d’époque ottomane idéalement et stratégiquement placée au cœur du village. Construite sur deux niveaux, elle occupe le côté ouest d’une cour. Loué à l’Association Saint-Jean des 4 Couronnés, l’édifice fut préalablement restauré en 2007 grâce à une collaboration franco-palestinienne entre les associations RIWAQ et REMPART. Le musée occupe une pièce disposée à l’étage nord sur prés de 40 m2 ; la pièce voisine au sud servant notamment de réserve archéologique du musée.

Le musée apparaît comme un complément essentiel à la visite des vestiges du Khadr. Il s’agissait de présenter grâce à une scénographie agréable et logique, une sélection d’artefacts. L’aménagement ne devait pas nécessiter une maintenance lourde et coûteuse pour la Municipalité en charge de l’animation et de l’entretien du lieu. Le but est également de présenter trois panneaux traitant du patrimoine matériel et immatériel du village et du site d’el-Khadr à la lumière des découvertes archéologiques.

Au centre de la pièce, une sélection de tessons illustrant les différentes périodes d’occupation du site d’el-Khadr est présentée à l’intérieur de deux vitrines. Le musée comporte également plusieurs chapiteaux et bases, fixés sur des supports métalliques tubulaires et chacun accompagné d’une notice en trois langues. Contre le mur sud, l’époque médiévale est illustrée par dix blocs de pierre conservant un décor de fresque et supportés par un système métallique imbriqué dans le mur. Sur le mur nord, l’époque byzantine est représentée par six fragments de chancel et par l’un des deux reliquaires à circulation d’huile.

Il ne s’agit pas simplement d’un musée archéologique mais également d’un outil essentiel servant à définir et à maintenir une identité, à l’époque où la Palestine prend conscience d’elle-même comme Nation. Le programme de fouilles et la création d’un musée d’histoire et d’archéologie, bien accueillis par la population, contribuent à protéger et à renforcer la mémoire et l’esprit du lieu. Toutes les composantes historiques et traditionnelles devaient être présentées avec neutralité et pacifisme, même si la situation politique actuelle rend la tâche difficile mais pas impossible.

La protection du lieu, de son environnement et des traditions attachés au monument apparaît ainsi aussi importante que le monument lui-même, comme l’indique la Charte de Venise (1964). Loin de bouleverser les habitudes ancestrales de dévotion, la fouille et la valorisation des vestiges ont permis de redonner vie aux traditions et au génie du lieu lors d’un programme archéologique et de mise en valeur du patrimoine local.

 

 

Vincent MICHEL