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L'avenir incertain des chrétiens de Syrie, par Sébastien de Courtois
La situation des chrétiens de Syrie est un paradoxe, explique par téléphone Mgr Yohanna Ibrahim, métropolite syriaque orthodoxe d’Alep. Notre histoire est celle d’une constante adaptation à des situations dangereuses, sur lesquelles nous n’avons aucun pouvoir… Le poids des chrétiens de Syrie est si faible que nous subissons depuis des siècles la loi du plus fort. Les révolutions ne sont jamais à notre avantage ! A chaque changement de régime, nous perdons tout ce que la génération précédente a construit. Il faut se mettre à notre place. Nos enfants ne supportent plus ces compromissions, même si notre rôle est de rester en Orient. J’ai conscience que l’avenir s’assombrit chaque jour un peu plus… Les combats d’aujourd’hui rajoutent à la haine et au désir de vengeance… »
Il y a de l’amertume dans les propos de ce prélat oriental. Sa langue maternelle est l’araméen, un dialecte aussi ancien que l’argile dans lequel a été moulée l’histoire de la Mésopotamie. Depuis les fenêtres de son évêché, il entend le ballet des hélicoptères et des avions de chasse. Des rafales sporadiques et le coup sec des snipers. Alep se recouvre le soir d’un voile de poudre et de sang.Des hommes montent la garde devant le bâtiment. On ne sait jamais. Les combats se rapprochent. Le quartier chrétien de Jdéïdé a été pour la première fois le théâtre d’opérations militaires.
Malgré les déclarations rassurantes
des chefs de l’Armée syrienne libre vis-à-vis des chrétiens, les débordements sont possibles.
« Nous craignons le pillage des maisons et l’attentat qui mettra le feu aux poudres », explique Youssef, un chrétien melchite qui vient de quitter Alep pour Beyrouth, où sa famille vit déjà depuis deux mois. Même si ses proches et lui ne sont pas vraiment dans le besoin, Youssef s’étend longuement sur ces familles pauvres d’Hama et d’Homs qui ont été obligées de partir au milieu de la bataille : « Comme beaucoup de Syriens, nous comptons les obus. L’attentisme n’est pas une solution de facilité ou une traîtrise comme j’ai pu le lire dans les médias occidentaux, mais la triste réalité… Que voulez-vous que nous fassions ? Que je prenne à mon tour les armes ? Contre qui ? Dois-je envoyer mes fils tirer sur les soldats de l’armée nationale ? Une armée de conscription ? Dois-je enfin cautionner une révolte organisée par des gens qui nous détestent ? »
Autant de questions qui résument l’ambiguïté de ce conflit,comme les positions du clergé qui oscillent entre un soutien clair au régime et un silence de prudence : « Il est clair, continue Youssef, que tous savent ce qui se passe réellement, personne n’est dupe des mensonges de la propagande officielle. Nous avons appris à nous taire. Personne ne peut le comprendre, surtout ceux qui n’ont jamais vécu sous une dictature. Il est dangereux de laisser croire que les chrétiens sont proches du parti Baas… Nous aussi, nous avons nos martyrs, nos torturés et nos bannis…» La caricature est facile.

Tous se souviennent des attentats,
des enlèvements et des massacres visant précisément la communauté chrétienne. Depuis 2003, la Syrie a absorbé près de 2 millions de réfugiés irakiens – appartenant à toutes les confessions – chacun avec son propre drame. Autant de raisons, pour les Syriens,de craindre une telle évolution. « la situation irakienne a été un véritable cas d’école pour les chrétiens de Syrie qui ont vu affluer près de 200 000 chrétiens d’Irak. Ces derniers sont dans une situation ubuesque puisque condamnés à retourner dans le pays qu’ils avaient fui ! » confirme Frédéric Pichon. La tentation de l’exil se fait à nouveau sentir pour des milliers de familles. Cette fois-ci, direction la montagne libanaise, le vieux pays chrétien où l’on se sent en sécurité. Les plus chanceux y ont déjà un parent pour les accueillir, les autres bénéficient de l’aide des Églises locales. Le patriarcat syriaque catholique de Beyrouth accueille ainsi plusieurs familles. Dans ce genre de situation, ceux qui ont les moyens sont déjà partis. Seuls les plus pauvres restent, ceux des régions déshéritées du Nord-Est syrien, par exemple, la zone kurde de Qamishli et Hassaké.La sociologie des chrétiens de Syrie n’est pas homogène, d’où la complexité de décrire un comportement politique que l’on voudrait uniforme. Les orthodoxes sont majoritaires, mais il faut aussi compter sur des maronites, des grecs-catholiques, des Arméniens, et nombre d’Eglises de tradition syriaque rattachées ou pas à Rome. Les chrétiens sont les seuls, contrairement aux Druzes,aux Alaouites ou aux Kurdes, à ne pas disposer d’un « réduit » territorial.

Un message d’espoir, donc, une sorte d’assurance-vie pour ce jeune homme qui parle de retour au pays, de vivre en Syrie ou au Liban après les « événements » afin de retrouver « l’odeur de ses racines ». !
SÉBASTIEN DE COURTOIS pour Le Figaro
* Frédéric Pichon est l’auteur de Maaloula (XIXe – XXIe siècles). Du vieux avec du neuf. Histoire et identité d’un village chrétien de Syrie, Presses de l’Ifpo, 2010