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[DECRYPTAGE] Être Palestinien chrétien à Jérusalem

Palestiniens pour les juifs, chrétiens pour les musulmans. Entre 10 000 et 15 000 chrétiens palestiniens vivent aujourd’hui à Jérusalem. Une double identité pas facile à assumer au quotidien.


Une communauté multiple mais fragile

À vol d’oiseau, huit kilomètres séparent Bethléem de Jérusalem. Mais cette distance ridicule est un véritable parcours du combattant pour Carlos Ghattab, chrétien palestinien qui, chaque jour, effectue de Bethléem le trajet pour se rendre à son travail à Jérusalem. Entre les deux cités symboles du christianisme se dresse, depuis 2005, un mur de huit mètres de haut construit par Israël pour se protéger des attentats. Tous les trois mois, Carlos doit renouveler son laisser-passer auprès des autorités israéliennes. Les jours où le check-point est fermé, il perd une journée de salaire.

Jérusalem jouit pourtant d’un statut spécial puisque, depuis la conquête totale de la ville par l’armée israélienne en 1967, les résidents de la ville sainte ont droit à une carte d’identité bleue qui leur permet – contrairement aux Palestiniens des territoires – d’avoir accès à la sécurité sociale et de voyager sans autorisation. Ce qui n’empêche pas les stigmatisations et les discriminations de frapper la communauté chrétienne (lire les propos de Nora Carmi ci-contre).

Combien de chrétiens palestiniens reste-il encore aujourd’hui à Jérusalem ? Les chiffres varient. 10 000… 12 000 ? 15 000 selon le ministère israélien de l’Intérieur, dont 3 000 détenteurs de la nationalité israélienne.

Officiellement, Jérusalem compte 13 Églises. Exemple de cette diversité : le Saint-Sépulcre, partagé par les Orthodoxes, les Latins, les Arméniens, les Éthiopiens, les Coptes et les Syriaques. Une pléthore de confessions chrétiennes avec ses tensions et ses richesses, fragilisée aussi par une émigration constante.

Depuis 1946, la communauté a perdu 50 % de ses fidèles. Une hémorragie causée « surtout par la peur de la pauvreté » selon Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice-en-chef de « Terre Sainte Magazine », le bimestriel de la Custodie franciscaine. Ostracisés comme Palestiniens, peu d’opportunité d’emplois qualifiés s’offrent à eux dans les entreprises israéliennes. Les jeunes diplômés, parfaitement formés dans les écoles chrétiennes, émigrent pour trouver des emplois conformes à leurs formations.


Vatican-Israël, des relations difficiles sur Jérusalem

Entre le Vatican et l’État d’Israël, le statut de Jérusalem reste une pomme de discorde. Dès 1947, Rome s’aligne sur la résolution 181 de l’ONU du 29 novembre, qui partage la Palestine en deux États, plaçant Jérusalem sous la tutelle des Nations Unies.

En 1967, quand l’armée israélienne conquiert la totalité de la cité, la vieille ville et les lieux saints passent sous la coupe de l’État hébreu. Si les religieux juifs, qui retrouvent le Mur de leur Temple après près de 2000 ans d’attente, et les chrétiens messianiques y voient la volonté de Dieu de réunifier la ville sainte, le Vatican s’en tient à la résolution onusienne de 1947.

Il faut attendre le 30 décembre 1993 pour que le Vatican et Israël, profitant des accords d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens, signent un accord de reconnaissance et entament des discussions. Mais de nombreux contentieux persistent. Des tensions surgissent régulièrement sur les droits de vente des propriétés ou les exonérations fiscales sur les lieux saints.

La loi fondamentale « État-Nation » adoptée par le Parlement israélien le 19 juillet 2018, qui renforce la judaïté de l’État hébreu, réaffirme Jérusalem comme capitale indivisible de l’État juif. Le Vatican reste ferme, et l’observateur permanent du Saint-Siège à l’ONU demande aux Nations-Unies le maintien du respect international de Jérusalem.


Un petit reste toujours présent

« La stratégie d’Israël consiste à établir des colonies tout autour de la partie est de la ville et de la vider à l’intérieur de sa composante arabe » explique l’Israélien Michel Warschawski, défenseur des droits des Palestiniens et directeur du Centre d’Information Alternative.

La crise économique mondiale due à la pandémie du Covid 19 a frappé durement les Églises. Pourtant si les temps ne sont guère à l’optimisme, il y aura toujours des chrétiens à Jérusalem. Marie-Armelle Beaulieu l’assure : « les chrétiens d’ici savent qu’ils vivent dans la terre de tous les commencements de la foi. Ils sont les gardiens des lieux saints, un rôle qu’ils entendent bien tenir jusqu’au bout. »


Luc Balbont, journaliste reporter

Article extrait du Bulletin n°799 à retrouver ici.

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Crédits photo d’accueil : MAB/CTS. Crédits photo article : A.Diquas.