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Frère Jean-Marie Mérigoux, dominicain et amoureux du monde chrétien oriental

D’où vient votre intérêt pour l’Orient ?

C’est à Marseille, où j’ai passé ma jeunesse que j’ai découvert l’Ordre des Dominicains et le monde arabe peuplé de chrétiens et musulmans. Je fréquentais l’Église grecque-catholique et l’Eglise maronite. Je me souviens d’un prêtre, un grand dominicain, ecclésiologue, qui nous avait dit : « L’Eglise a deux visages : un visage oriental et un visage occidental. »

Quel est votre parcours ?

Je suis ensuite rentré dans les ordres où j’ai débuté des cours d’arabe. Une fois mes études finies, je suis parti à Alger pour étudier pendant un an l’arabe sous la direction des sœurs libanaises, qui avait ouvert un centre d’enseignement de l’arabe pour le clergé. On m’a envoyé en Irak, où je devais rester seulement trois mois mais j’y ai finalement passé 14 ans ! J’y ai approfondi ma connaissance du monde chrétien araméen et chaldéen, puisque les Dominicains étaient chargés de la formation des prêtres catholiques chaldéens et syriens au séminaire Saint-Jean-de-Mossoul. Petit à petit, c’est en faisant connaissance avec les familles et les villages des séminaristes dans la région de Mossoul que j’ai mieux découvert l’Église catholique dans ce pays. À cette époque, je poursuivais l’arabe et les séminaristes m’aidaient à réaliser mes prêches en arabe. J’ai aussi été initié à l’araméen et je suis resté en Irak jusqu’en 1983.

J’ai été envoyé au Caire à l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO), fondé par le père Georges Chehata Anawati, un dominicain égyptien. Je travaillais beaucoup à la bibliothèque, recevant des étudiants, des professeurs et des personnes qui effectuaient leur thèse. Ils étaient massivement musulmans, c’était l’occasion de travailler, d’échanger avec eux et de participer au dialogue interculturel. L’Institut a noué de nombreuses amitiés avec les élites musulmanes.

Vous êtes revenu du Caire en 2007 pour vous installer à Marseille ?

Je participe à la vie du couvent dominicain. Je donne des conférences sur l’Orient chrétien, des cours sur l’histoire de l’Orient et j’enseigne l’arabe à l’Institut Catholique de la Méditerranée. À Marseille, je suis très proche des communautés catholiques orientales, surtout des Chaldéens. Il y a énormément de familles d’Irak et de Turquie, qui vivent dans les quartiers nord. Je connaissais même certaines familles de paroissiens irakiens en Irak !

Vous avez passé autant de temps dans ce pays, quel est votre regard sur la situation actuelle ?

Je suis très attristé. C’est un pays que je connais par cœur. À Mossoul par exemple, j’ai fait de nombreuses études sur les églises et les mosquées, je pense que je les connais mieux que Daesh ! Il ne faut pas détruire cet humanisme chrétien extraordinaire, ce sont les chrétiens qui ont marqué profondément la culture du Proche-Orient. À l’époque où ils étaient Araméens, Byzantins, ou même à Bagdad au temps des califes, ils avaient un rôle énorme sur le plan culturel. Comme Monseigneur Mirkis (NDLR. Archevêque chaldéen de Kirkouk), je pense qu’il est très important d’aider les chrétiens qui veulent rester en Irak. Certains réfugiés ne seront jamais heureux en Europe. L’Orient sans les chrétiens, c’est inimaginable.

Quelles seraient les conséquences de leur disparition ?

Les chrétiens sont un facteur de paix. Au Liban, dans les villages, il y a des druzes, des chrétiens et des musulmans. S’il n’y a pas de chrétiens, la coexistence se passe souvent mal. Je me rappelle que dans certains villages irakiens entièrement chrétiens étaient nommés des fonctionnaires musulmans et ils entretenaient de très bonnes relations ! Les chrétiens ont un poids pacificateur et culturel énorme, sans eux on tombe dans une pensée unique. C’est pour cela qu’il faut aider les chrétiens à rester et leur trouver un travail. Les musulmans ne veulent pas non plus qu’ils partent !

Comment a évolué la mission dominicaine en Irak ces dernières années ?

Comme tous les chrétiens, les dominicains ont subi de plein fouet l’arrivée de Daesh. Avant l’arrivée du groupe, il y avait déjà beaucoup d’enlèvements. Les terroristes demandaient des rançons. Il y a eu un évêque égorgé, des prêtres fusillés.  La situation a empiré avec Daech car tous les chrétiens ont dû partir. Les sœurs dominicaines ont également dû fuir. Ils sont tous aujourd’hui à Erbil dans les camps.

Les frères se sont adaptés à cette situation. Un des frères a sauvé les livres manuscrits de Mossoul (NDLR. Le frère Najeeb) au moment de l’invasion. À Bagdad, ils continuent leur travail auprès des chrétiens qui ont décidé de rester.

Combien de frères sont présents actuellement dans le pays ?

Il y a quatre frères dominicains à Bagdad, et quatre à Ankawa (NDLR en banlieue d’Erbil). Pour les sœurs, une congrégation entière est née en Irak ; les sœurs de Sainte Catherine, dont la maison mère était à Mossoul jusqu’à l’été 2014. Elles sont aujourd’hui à Bagdad en charge de deux hôpitaux et deux écoles, et au Kurdistan elles s’occupent beaucoup des enfants de la catéchèse.

 

Propos recueillis par Anne-Sophie Saint-Martin