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[LIBAN] Le témoignage de Blanche: "Je veux croire que l’espérance est encore au fond de chaque cœur".

Blanche a 25 ans et est kiné, elle a décidé de partir à la fin de ses études pour vivre une expérience au Liban dans l’éducation.


Des nouvelles de ma mission

Voilà un mois déjà que je suis arrivée à Ajaaltoun, dans les montagnes du Kesrouan, région chrétienne au Nord-Est de Beyrouth. J’ai été envoyée pour une mission d’un an pour enseigner le Français, donner des cours de soutien et m’occuper des internes. Mais, situation sanitaire oblige, ma mission a été quelque peu adaptée et continue de l’être jour après jour. Les cours à l’école Notre-Dame du Rocher d’Ajaaltoun n’ont pas pu reprendre en présentiel, comme dans tout le pays ; pas d’internat non plus. Les élèves ont donc des cours en ligne pour l’instant. Enfin, pour ceux ayant accès à internet et à un ordinateur (sans parler des problèmes d’électricité). Car, dans cette école des Filles de la Charité accueillant principalement des enfants de milieux défavorisés, Sœur Zahia (la sœur supérieure responsable de l’école) compte environ 30% d’enfants qui n’ont pas accès aux cours.

Pour ceux-là, pour ces enfants en décrochage scolaire depuis mars dernier, qui ne quittent plus la télé pour la plupart, les sœurs ont mis en place une mission de soutien scolaire leur permettant une reprise progressive des cours. Au compte-goutte, je m’occupe donc de 2 à 8 enfants par jour, tous niveaux mélangés de la grande section à la 6e. C’est français et maths au programme, mais aussi sciences et anglais. Le but est principalement de raccrocher quelques wagons, mais aussi de les faire sortir d’un contexte familial souvent complexe et difficile, de les faire manger et d’avoir un œil sur leur santé. C’est parfois un peu sportif : de revoir le passé composé avec Nour, en CM1, d’expliquer les fractions à Maroun, en 6e, et d’apprendre à Charbel, en « grand jardin », de compter jusqu’à 10, le tout en même temps bien sûr ! Leurs regards malicieux et intrigués et leur sourire me transportent, leurs bêtises aussi ; c’est une énorme joie d’être auprès de ces enfants, de les découvrir jour après jour.

L’action des sœurs et de Marie (la directrice pédagogique, bénévole) est engagée et dévouée au plus près des pauvres, elles sont vraiment admirables et trouvent toujours des solutions pour chacun.

(Re)découverte du Liban

J’avais eu la chance de venir au Liban auparavant. Mais -a-t-on besoin de le préciser ?- le pays a changé de visage depuis ma venue. Le Liban est un pays incroyable, au sens propre du terme, une terre où tout est contraste. Vous qui connaissez les rues de Beyrouth sans doute mieux que moi, vous voyez bien ces immeubles neufs avoisinant toujours une vieille maison abandonnée aux murs criblés d’éclats de balle. Contraste entre ses paysages maritimes et montagneux, contraste entre les quartiers, les communautés, les cultures et les richesses, contraste entre les apparences et la réalité. Et quel peuple incroyable que sont les Libanais ! (Leur sens de l’accueil est au-delà de sa réputation.

Je suis assez surprise de constater que le pays a été très développé mais connait une vraie décroissance depuis longtemps déjà. En sont témoins les rails qui n’ont pas vu passer de train depuis plus de 25 ans, les infrastructures prévues pour des centaines de personnes mais quasiment désertes, ou encore les commerces fermés de toute part. Alors, non, pardon, je rectifie. Les magasins (et tout globalement dans le pays) ferment mais différentes raisons sont invoquées dans un certain combo explosif : la crise politique, la crise économique, les gens qui émigrent, le coronavirus, la double-explosion… Et c’est sans doute un peu tout ça à la fois qui en est à l’origine. J’entends ou j’observe donc très souvent des « c’était mieux avant, avant c’était comme-ci, quand est-ce qu’on retrouvera notre vie d’avant ». On connait la chanson en France depuis mars dernier ; elle sonne assez différemment ici.

Je suis émue, pour ne rien vous cacher, par le sentiment général des Libanais que je côtoie. Je lisais un article de l’Orient-Le Jour cet été qui parlait de la légendaire résilience libanaise, qui se demandait surtout jusqu’où irait cette résilience quand les réservoirs seraient vides. La grande majorité de la classe moyenne et de la jeunesse a prévu -au moins en plan B- de partir vivre au Canada, en Australie ou en France. Chacun se demande au fond ce qu’il vaut mieux entre s’enfoncer dans la crise ou voir se former un nouveau gouvernement auquel ils ne croient plus. Je ne connaissais pas chez ces Libanais la peur de demain, la peur de la crise, la peur de perdre, la peur des autres. Je veux croire que l’espérance est encore au fond de chaque cœur, mais elle est menacée.

Il n’est pas évident pour moi d’essayer de comprendre tout cela, l’histoire de ce pays, les raisons et les enjeux de la situation présente. D’y démêler les questions identitaires, confessionnelles et d’appartenances politiques qui s’y mélangent. De quoi m’occuper ! Je suis désolée si le tableau que je brosse aujourd’hui n’est pas tout rose, mais rassurez-vous, la vie est magnifique au Liban et le Liban est magnifique de vie.