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Portrait de Sébastien de Courtois, écrivain et chercheur.

Alain J. Desreumaux,  directeur de recherches émérite au CNRS et président honoraire de la Société d’études syriaques, dresse le portrait de Sébastien de Courtois, écrivain et chercheur spécialiste des chrétiens d’Orient.


Faire connaître les chrétiens d’Orient

Sébastien de Courtois, écrivain et chercheur.

 

Ce début d’année est une bonne occasion de s’offrir un beau voyage littéraire ouvert sur l’Orient. Les éditions Le passeur nous offrent un joli coffret de deux ouvrages en format Poche : Istanbul, le dyptique turc, de Sébastien de Courtois. Après un DEA à l’École pratique des hautes études et une maîtrise de droit privé, le journaliste de métier qu’il est ensuite devenu a écrit de nombreux articles sur l’Orient et ses chrétiens pour plusieurs journaux et magazines de grande diffusion, dans lesquels il met en valeur les personnes et les groupes dont l’action et l’espérance portent la conviction de la paix, de la démocratie, du développement et de la culture. Depuis 2017, Sébastien de Courtois est le directeur de l’Institut français de Turquie à Ankara.

J’avais fait sa rencontre en 2002 à la Maison des sciences de l’Homme lors d’une journée d’études sur les enjeux des patrimoines archéologiques ; faisant des recherches sur les habitants du Tur-Abdin, « la montagne des serviteurs » en Turquie orientale, il m’avait montré des photos inédites sur une région peu connue et expliqué son projet de faire connaître ces chrétiens plus que millénaires, les derniers Araméens.

Il est un écrivain. Dans un récit libre, au long des quartiers, des places, des monuments et des échoppes, recueillant les parfums des métiers, les nuances colorées du Bosphore, au gré des rencontres surtout, où l’histoire des pierres et des personnages de jadis porte encore mystérieusement les habitants actuels, anciens stambouliotes, immigrés ruraux, artistes, intellectuels, bourgeois, mondains, humbles, pittoresques, chaleureux, parfois agaçants, souvent attachants, il nous invite à regarder la Turquie actuelle avec les yeux d’un ami exigeant et le cœur d’une passion d’aujourd’hui. La quête personnelle à la découverte surprenante d’un ancêtre provençal jadis installé dans son quartier se mêle à l’histoire littéraire et diplomatique de la ville-monde qui enjambe le passage entre l’Europe et l’Asie pour interroger la rencontre millénaire entre Byzance et l’islam ottoman et le coude-à-coude des modes de vie turcs, grecs, arméniens, kurdes, juifs, alévis, chrétiens, sunnites…

Si l’on s’interroge sur la Turquie d’aujourd’hui et la relation que nous avons avec elle ‒ les enjeux actuels en sont grands ‒ vous trouverez en Sébastien de Courtois un guide à la culture généreuse. Muni d’Un thé à Istanbul. Récit d’une ville, allez avec lui y apprécier non seulement la formule courante Hoş geldiniz « Soyez le bienvenu », mais sa réalité quotidienne. Le guide passionné est parfois sans illusion. Parlant d’un projet officiel de musée de la Démocratie dans l’île d’Imralı, il fulmine : « Que peut-on exposer dans ces vitrines, pour un pays bafoué par des hommes sans vergogne ? Je me le demande encore. Les Turcs sont plus philosophes. Ils attendent que ça passe, car tout passe, semble-t-il, même les ennuis, même les passions, même l’amour que l’on croit indestructible. J’observe souvent ces îles, au crépuscule, lorsqu’elles finissent par être submergées par les vagues. »

Sébastien de Courtois est un écrivain évocateur de la beauté quand celle-ci s’enracine dans la conscience des peuples. Auteur de La Turquie biblique, Itinéraire culturel (Empreinte temps présent, 2010), il sème sur les lieux visités une méditation historique et spirituelle dont les desseins sont la rencontre et la profonde sympathie, la poursuite de la compréhension : l’itinéraire biblique est capable d’offrir en photos côte à côte sur la même page la mosquée seldjoukide de Beşehir et l’église souterraine de Sainte-Thècle à Silifke.

L’écrivain-journaliste se montre un voyageur spirituel. Capable de suivre les traces d’Arthur Rimbaud en Éthiopie et au Soudan (Éloge du voyage, éd. Nil, 2013 ; Prix du Livre d’aventure 2014), il pousse sa quête en interrogeant les traces de Charles de Foucauld (Passer par le désert, Bayard, 2016) et va, par voie de terre pour un voyage au long cours, jusqu’à Pékin, suivant les routes de la soie, sur les traces des chrétiens dits « nestoriens » de l’Église de l’Est.

Mais Sébastien de Courtois n’est pas un touriste ; voyageur d’Orient, c’est un chercheur, soucieux du sérieux universitaire. A la suite de son diplôme de l’École pratique (IVe section), il avait été amené à publier son mémoire Une communauté syriaque orthodoxe en péril à la fin de l’empire ottoman (1895-1915) sur les derniers Araméens victimes de massacres qu’on oublie (éd. Ellipsis, 2002, traduction anglaise à Gorgias Press, New York, 2005). L’écrivain amoureux de la Turquie, d’Istanbul et de ses îles, que l’on devine un peu agacé parfois par la rugosité et la rudesse de certaines communautés, est un passionné du Tur-Abdin. Pour faire connaître les chrétiens de Turquie, tant par l’enquête rigoureuse que par l’expression de leur âme et de leur culture, dans leurs visages et les austères réalités de leurs villages, il publie des ouvrages de réflexions socio-politiques dans l’idée de confronter les traces du passé avec le présent, sûr que « les chrétiens d’Orient ont toujours été des passeurs entre les cultures et les époques, depuis les Perses sassanides jusqu’aux Arabes abbassides, en continuant par les Turcs ottomans ». Toutes ses analyses le voient convaincu que malgré les idées reçues et une forme de confort intellectuel de certains médias occidentaux – il parle d’« aveuglement » –, « le maintien de la présence des chrétiens dans cette partie du monde est indispensable non seulement pour la chrétienté mais aussi pour l’islam et ne concerne pas simplement l’Orient, mais toute la planète » écrit-il en citant Mohammad Sammak, un conseiller du grand mufti du Liban. Ses ouvrages sont significatifs : en 2004, Les derniers Araméens ‒ beau livre traduit en turc en 2011 aux prestigieuses éditions Yapi Kredi ‒ puis Chrétiens d’Orient sur la route de la soie, dans les pas des Nestoriens (éditions de la Table ronde – Gallimard), livres qu’il publie avec l’éditeur Jean-François Colosimo ; Le nouveau défi des chrétiens d’Orient d’Istanbul à Bagdad en 2009 (JCLattès). Sur les fleuves de Babylone, nous pleurions. Le crépuscule des chrétiens d’Orient en 2015 (Stock) est une vigoureuse protestation contre l’insupportable, les massacres anciens qui se poursuivent, les exils, les haines et les crispations identitaires.

Son travail universitaire s’est précisé par des articles de fonds dans des revues scientifiques : Tur Abdin : Réflexions sur l’état présent des communautés syriaques du Sud-Est de la Turquie, mémoire, exils, retours (dans Conflits et territoires au Moyen-Orient et au Maghreb : Cahiers du Gremamo 2013) ; Regards croisés sur le patrimoine culturel des communautés syriaques de Turquie (dans Anatoli. De l’Adriatique à la Caspienne : territoires, politique, société 6, 2015).

Intimement persuadé que « l’histoire des chrétiens d’Orient est aussi un conservatoire ; une part de nous-mêmes, de nous tous, de vous et moi sans exception aucune », Sébastien de Courtois a accepté de servir la demande de l’évêque du couvent Mar-Gabriel au Tur-Abdin « un sol chargé d’histoire sur lequel les chrétiens étaient restés ». Il fallait restaurer sa vénérable mosaïque du sanctuaire datant de 512 ap. J.-C. Il l’a fait en organisant les travaux d’une équipe scientifique hautement qualifiée codirigée avec Patrick Blanc, responsable du service restauration du musée d’Arles antique, et le résultat est aujourd’hui splendide et doit faire l’objet d’une publication scientifique. Cette action patrimoniale et la réflexion de fond sur la vie et le destin des chrétiens en Orient ont été présentées au cours de trois soirées organisées par l’Œuvre d’Orient dans le cadre des Jeudis de l’Institut du monde arabe en 2014, 2015 et 2016.

Avec de telles convictions, appuyées sur une recherche en sciences humaines et une volonté de promouvoir l’existence et la vie de ces chrétiens d’Orient comme part de nous-même, Sébastien de Courtois ne pouvait que participer au service public de l’information et de la culture. Depuis dix ans, il anime l’émission bimensuelle, « Chrétiens d’Orient » le dimanche à France-Culture, lieu emblématique du service public pour donner à entendre, à réfléchir et à dialoguer. Il y a reçu une centaine d’invités. Le talent de Sébastien de Courtois est de faire s’exprimer des chercheurs, des spécialistes, des personnes engagées, des acteurs de la vie des chrétiens d’Orient de tous horizons, en toute liberté, en toute indépendance, appuyé sur le sérieux de leur recherche et de leur engagement. Pour moi, un bel exemple de notre idéal de laïcité dans un esprit de culture populaire.

Aujourd’hui, à l’Institut français de Turquie à Ankara, il promeut le dialogue avec la culture turque qu’il aime dans un esprit de « passeur » comme il se décrit lui-même, avec une capacité d’organisation et de meneur de projets contre « la paresse intellectuelle et l’amertume » dit-il encore.

« Seule la culture est gage d’avenir commun » écrit-il dans un de ses ouvrages.

Alain J. Desreumaux

Directeur de recherches émérite au CNRS

Président honoraire de la Société d’études syriaques.