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[UKRAINE] Vent d’est, vent d’ouest sur la démocratie

La majorité des 45 millions d’Ukrainiens ne conçoivent l’ancrage et la destinée de leur État-nation qu’à l’ouest, dans l’Europe occidentale. Désir inacceptable pour Vladimir Poutine pour qui elle fait pleinement partie du « roman national » russe.


Une crise enlisée et à hauts risques

Quand cet article a été rédigé mi-janvier, Russes et Américains se retrouvaient à Genève pour parler – sans les Européens – de cette crise, dans un climat de guerre froide. Rappelons les faits : il y a 30 ans, les Ukrainiens rompent par référendum leur lien avec la Russie/ex-URSS. Une révolution chasse le dirigeant pro-russe Viktor Ianoukovytch en 2014. Le mouvement pacifique dit de Maïdan réclame une entrée dans l’Union européenne et aussi dans l’Otan. En 2014, la Russie annexe la Crimée qui appartenait à l’Ukraine. À l’est, le bassin minier du Donbass, où la majorité de la population est russophone, fait sécession. Débute une guerre qui a fait plus de 13 000 victimes du côté de Kiev, et se poursuit à basse intensité. Les séparatistes sont soutenus par Moscou. Des dizaines de milliers de soldats russes s’entraînent à la frontière orientale, laissant planer la menace d’une invasion. Les dangers sont maximaux, beaucoup dépend du choix de Vladimir Poutine.

Deux lectures des origines

Au sein de ce peuple tiraillé, quatre divergences fondamentales entre Moscou et Kiev se conjuguent dangereusement, inextricablement : autour de l’État de droit, de la géopolitique, de l’Église et de l’histoire.

Pour Vladimir Poutine, à qui ce sujet tient à cœur, et dans le sentiment populaire russe, l’Ukraine est une partie de l’identité nationale qui, sans elle, restera orpheline. Poutine voit son berceau dans le petit royaume de la « Rous de Kiev » au IXe siècle. Pour beaucoup d’Ukrainiens, en revanche, leur pays a été façonné par l’orthodoxie byzantine et ses évêques, et a connu des colonisations/influences occidentales (Pologne, Autriche-Hongrie). L’attachement à l’Occident a été accru par le souvenir des exactions, des tsars à Staline.

« Ce sont deux logiciels historiques, deux incapacités à considérer que deux États-nations se sont constitués progressivement sur les bases de la Rous de Kiev », relève le chercheur Antoine Arjakovsky, fondateur de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv.

Pour le Kremlin, une entrée éventuelle dans l’Otan, que réclame le président Volodymyr Zelenski, et la peur que l’Ukraine soit un « porte-avions » contre elle, sont des chiffons rouges. Si l’Occident, dit Vladimir Poutine, « entend faire de l’Ukraine une anti-Russie, nous n’accepterons jamais ».

Un mouvement d’Ukrainiens européens

La grande majorité des Ukrainiens « se définit aujourd’hui comme Ukrainiens européens. Cette partie-là a gagné à Maïdan en 2014 », assure Antoine Arjakovsky. Beaucoup ne veulent plus se contenter d’un statut d’État neutre. Que les membres de l’Otan aient promis à l’Ukraine l’appartenance à leur alliance, sans rien faire pour cela, a conduit à l’annexion de la Crimée et l’occupation du Donbass, raisonnent beaucoup.

« Si un pays décide de se doter de la sécurité d’une alliance défensive, comment s’y opposer : l’Ukraine fera partie un jour de l’Otan », juge ce chercheur qui a organisé quatre séminaires pour émettre des pistes pour la paix.

Il reste qu’une partie des chrétiens ayant soutenu Maïdan sont déçus par une Europe qui s’éloigne des valeurs chrétiennes. « Des Ukrainiens disent : on s’est battu pour la civilisation européenne mais ce qu’on voit, c’est une vision ultralibérale voire libertaire ».

Entre Églises, une grande avancée

La grande bonne nouvelle pour quelque 31 millions de baptisés ukrainiens a été, en 2018, une fusion de deux Églises : l’Église orthodoxe autocéphale, jadis sous contrôle soviétique, s’est fondue dans la nouvelle Église de Kiev créée sous le patronage du patriarcat de Constantinople, contre la volonté du patriarcat de Moscou. Dont une partie du clergé et des fidèles a rallié cette nouvelle Église où l’on prie en langue ukrainienne.

Une querelle de chiffres oppose cette Église, très pro-Maïdan, qui revendique la première place – 15 millions de fidèles – aux orthodoxes affiliés au patriarcat russe qui ont historiquement le plus de paroisses (quelque 12 000 contre 8 000). Descendants des ex-« uniates » jadis martyrisés sous Staline, cinq millions de grecs-catholiques complètent le tableau, ainsi qu’environ 700 000 catholiques romains.

« Yalta ecclésiastique »

Que peut le Vatican pour apaiser les tensions opposant cultures et confessions ? François n’a pas un rôle aisé en cherchant le dialogue avec le patriarche Kirill. Car Moscou et Constantinople sont dans un schisme profond. En jeu le leadership dans l’orthodoxie.

Or que dit l’Église orthodoxe russe dans la crise ? On n’entend aucune condamnation de la politique du Kremlin, pointe-t-on à Kiev. « Moscou a fait beaucoup pression sur Rome pour dire que les Gréco-catholiques sont ceux qui posent problème et qu’il vaudrait mieux rester dans l’ecclésiologie de Jean-Paul II sur les deux poumons de l’Église, oriental et occidental. Or, on ne peut se contenter d’une Yalta ecclésiastique », analyse M. Arjakovsky. À l’époque de la globalisation, les Gréco-catholiques peuvent au contraire favoriser un rapprochement non seulement entre Rome et Constantinople, entre Rome et Moscou, mais aussi entre orthodoxes mêmes.

 Jean-Louis de La Vaissière


 

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