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Beyrouth : “Une catastrophe à l’image d’un pays qui s’effondre”

Publié  dans la VIE le 05/08/2020 à 12h44 – Interview Sixtine Chartier

 
	Hassan Ammar/AP/SIPA
Hassan Ammar/AP/SIPA

Le 4 août, la capitale libanaise a été dévastée par une double explosion provenue d’un stock de nitrate d’ammonium entreposé dans le port. Une centaine de morts et près de 4000 blessés sont recensés pour l’instant. Sur place, Vincent Gelot, directeur de l’Oeuvre d’Orient au Liban, réagit à cette catastrophe qui frappe un pays déjà éprouvé par une crise profonde.

Quelle est la situation à Beyrouth au lendemain de la double explosion ?

C’est la sidération. Tout le monde est sous le choc. Les gens comptent leurs morts, les disparus, les blessés, les dégâts. C’est un cauchemar. J’habite sur les hauteurs de Beyrouth, à 8 km du centre de l’explosion : les vitres étaient explosées, mon bureau en charpie… Heureusement que je n’y étais pas. J’accueille chez moi un couple d’amis qui ont perdu leur maison. Tout le monde connaît des gens qui ont été blessés. Du côté de l’œuvre d’Orient, nous allons faire le point avec nos différents interlocuteurs et avec les responsables d’hôpitaux, tenus par des congrégations. Je sais déjà qu’une Fille de la Charité iranienne, sœur Sophie, est décédée. L’évêque maronite de Beyrouth est blessé. La directrice de l’hôpital du Sacré Cœur, sœur Anne Sauvé, m’a dit que les morgues et les urgences étaient pleines.

Le Liban n’avait vraiment pas besoin de ça. C’est la descente aux enfers.

Avez-vous ressenti la déflagration ?

J’étais à l’ambassade de France quand ça s’est passé, à 4 km du port, en train de finaliser le fonds d’aide aux écoles chrétiennes francophones annoncé par Emmanuel Macron en début d’année. Il y a 400 écoles chrétiennes au Liban. C’était l’aboutissement de plusieurs semaines de travail. Il y a eu une première déflagration puis une seconde. Nous avons tous été plaqués au sol, les faux plafonds nous sont tombés dessus. Nous avons tous cru à un attentat ou à une attaque. Une alarme nous criait dans les oreilles « Alerte agression ! ». Avec le groupe de personnes, on a rampé jusque dans les toilettes au centre du bâtiment. Puis on est sortis et on a appris l’explosion. Il y a eu toutes les versions : attaque israélienne, accident… On était sous le choc, les gens étaient en larmes.

Au Liban, les écoles chrétiennes menacées par la crise

L’explosion a touché le port, cœur économique de la capitale, dans un contexte de crise politique et sociale profonde depuis l’automne, à laquelle s’est ajoutée la crise du Covid-19. Quelles vont être les conséquences ?

C’est catastrophique. C’est une crise dans la crise. Le taux de pauvreté est de plus de 50% et le chômage de 35%. La monnaie se déprécie de façon ahurissante. Le pays n’a plus d’argent, l’État est en faillite. Les pays occidentaux conditionnent leur aide à des réformes mais rien n’a été fait, comme l’a rappelé le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian en visite au Liban fin juillet. Le fonds aux écoles chrétiennes francophones faisait partie de ces petites choses pour faire face à la crise. Aujourd’hui, il y a un vrai élan de solidarité mais il va falloir que l’aide apportée soit bien ciblée pour qu’elle ne génère pas de corruption. Le Liban n’avait vraiment pas besoin de ça. C’est la descente aux enfers.

Ce cataclysme ressemble à un coup de grâce…

Oui, mais il y a des responsabilités. Cette situation n’est pas due à une malédiction du Liban. Est-il normal qu’un stock de plus de 1000 tonnes de nitrates d’ammonium soit stocké dans une zone juste en face du centre ville ? Cette catastrophe est à l’image d’un pays qui s’effondre.

Nous lançons aussi un appel aux dons en toute urgence pour soutenir les hôpitaux.

Le modèle politique confessionnel est pointé comme un système perverti. Quelle place pour les communautés religieuses selon vous ?

Dans le cadre du soulèvement populaire entamé le 17 octobre, des gens demandent la fin du système confessionnel mais ce n’est pas la majorité. Le mouvement est une contestation contre la classe politique qui dirige le pays. C’est une colère contre les personnes à la tête du pays et la corruption avant d’être une remise en cause du système. Les chrétiens sont allés dans la rue pour demander la démission du président Aoun, lui-même chrétien. On est dans un pays où il n’y a pas d’électricité, aucune protection sociale. C’est un peu le Far West. Les plus pauvres en pâtissent. Aujourd’hui, le Liban paie la note des dernières années.