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Chrétiens d'Egypte : leur rôle dans la révolte

Quelques voix coptes angoissées ont exprimé leur désaveu du mouvement populaire et leur crainte de le voir accaparé par les islamistes. Ce fut le cas de notre ami le docteur Adel Ghali, responsable du centre El Salam, au service des chiffonniers d’Ezbet el-Nakhl au Caire, dont les propos furent hélas amplement relayés par plusieurs sites webs de tendance « catho-populiste » ou franchement islamophobes.

Aux yeux du Dr Ghali, l’insurrection est née à l’appel des mosquées et des cénacles islamistes, l’objectif final étant la prise du pouvoir par les Frères musulmans. Malgré l’admiration que j’éprouve pour le Docteur, malgré aussi son insoupçonnable sincérité, je pense qu’il s’est laissé abuser par le discours officiel lamentable de la hiérarchie copte orthodoxe, et d’abord du pape Shenouda III.

Celui-ci, en effet, dès les premiers jours de l’intifada, a assuré Moubarak de son soutien total et a enjoint à ses ouailles de ne pas se mêler aux protestations. Erreur de jugement monumentale et ingérence inacceptable qui bafouait la liberté de conscience et la responsabilité citoyenne des chrétiens. En revanche, le cardinal Antonios Naguib, patriarche de la petite communauté copte catholique, avait salué le civisme des manifestants, reconnaissant la légitimité de leur ressentiment contre le régime et constatant que l’insurrection ne s’accompagnait d’aucune exaction contre les chrétiens mais se distinguait au contraire par une extraordinaire solidarité entre Égyptiens de toutes confessions.

 

« LE VERITABLE ENNEMI DES CHRETIENS D’EGYPTE , C’EST MOUBARAK »

Clairvoyant, un médecin copte d’Alexandrie, Michel Émile, confiait à Paul Assaker, pour Le Figaro : «C’est vrai qu’il y a de plus en plus de Frères dans les manifestations, mais nous ne devons pas avoir peur d’eux. Le véritable ennemi des chrétiens d’Égypte, c’est Moubarak. Depuis près de trente ans, il refuse de construire des églises et nous tient à l’écart du pouvoir alors que nous représentons plus de 10 % de la population du pays. En fait, il utilise les Frères musulmans et Al-Qaïda comme des épouvantails qu’il agite dès que nous réclamons plus de droits pour notre communauté, en répétant qu’il est le meilleur rempart contre les extrémistes. »

Quant à Nawal Tawfik, présentatrice à la chaîne de télévision chrétienne Miracle, elle abondait dans le même sens : « Moi non plus, je ne crains pas les Frères musulmans. Je ne pense pas que la majorité des Égyptiens voteraient pour eux et même si un jour, ils prennent le pouvoir, ça serait le destin. Peut-être qu’il faudrait passer par cette étape, quitte à ce que les gens changent d’avis après. Au pire, je pourrais toujours quitter le pays. C’est aussi cela la liberté. Pour moi, la liberté est plus importante que rester sous la protection de Moubarak ».

 

UNE TRANSFORMATION EN PROFONDEUR DE LA SOCIETE EST NECESSAIRE

(Par rapport aux élections de samedi 19 mars), je ne suis pas sûr que le toilettage constitutionnel auquel on demande aux Egyptiens de souscrire soit suffisant.

Il faut une transformation en profondeur de la société et des institutions. Cela demande une réflexion concertée de longue haleine. L’opération voulue par l’armée dans la hâte pourrait n’être que de la poudre aux yeux. La population a toutefois apparemment consenti à jouer le jeu. Elle n’acceptera cependant pas d’en rester là et redescendra dans la rue si les choses évoluent vers une sorte de contre-révolution en douceur qui permettrait à l’ancien système de rentrer par la fenêtre après avoir été éjecté par la porte.

Fondateur du « Comité des sages » qui souhaitaient négocier avec pouvoir une issue pacifique au soulèvement et partisan d’un maintien de Moubarak à son poste pour garantir la transition démocratique, le magnat copte des télécoms, Naguib Sawiris, exprimait au Figaro (10 fév.) son scepticisme face au rôle de l’armée et à sa volonté de rendre le pouvoir aux civils : « Vous avez déjà vu ça où ? Au Pakistan, au Chili ? Si on a un Pinochet ou un Musharraf, il faudra reprendre dans dix ans le combat pour la démocratie là où on l’a laissé… » Il se peut qu’il ait raison.

Christian Cannuyer,

Égyptologue, Spécialiste des Coptes, Professeur à l’Université Catholique de Lille.

(A suivre)