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Chrétiens d’Orient, La tragédie de l’émigration. Par Luc Balbont

Il n’y a pas d’exil heureux.

Que peuvent espérer ces hommes et ces femmes rencontrés en janvier dernier, au Liban ou dans le Kurdistan irakien ?
Des réfugiés fuyant les violences, qui frappent leurs terres de Syrie et d’Irak. Des familles chrétiennes – chaldéennes nestoriennes ou syriaques – supportant des conditions de vie misérables, en attendant d’hypothétiques visas pour l’Europe, pour l’Australie ou l’Amérique, avec l’espoir d’y refaire leur existence.

  • Quelle sera leur vie ?
  • Quel quotidien mèneront-elles dans ces terres d’accueil ?
  • Pour subsister, dans une situation générale de peur de l’étranger et de crise économique, elles s’en remettront aux charités d’état ou associatives.

Une humiliation pour ces gens qui, dans leurs pays, occupaient des postes de cadres, d’agents de maitrise, d’ouvriers qualifiés, d’enseignants, de médecins. Des immigrés qui ne retrouveront pas leurs statuts antérieurs.

Autre problème pour ces pères et mères de famille qui ont choisi de s’expatrier, celui de l‘intégration. Pour leurs enfants : pas d’obstacle majeur. L’école en fera rapidement des citoyens ordinaires.

Mais les parents ? Contrairement aux jeunes, ils resteront en marge d’une société, qu’ils auront souvent du mal à comprendre. Les uns continueront à parler et à penser en arabe et en syriaque, tandis que les autres se fondront dans leur nouveau pays, en oubliant peu à peu la langue et les traditions de leurs parents. Un fossé se creusera entre les générations.

Deux ans déjà que l’État islamique occupe une grande partie de la Syrie, et neuf mois que les chrétiens d’Irak ont dû quitter Mossoul et la plaine de Ninive, pour ne pas tomber aux mains des djihadistes. Aucun signe de libération à l’horizon. Aucun espoir de retour.

Alors l’émigration des communautés se poursuit. Chaque semaine, des chrétiens d’Irak et de Syrie prennent la route vers la Jordanie, le Liban, le Kurdistan, la Turquie, étape temporaire d’un exil occidental définitif. Les familles sont disloquées, projetées sans être préparées à vivre dans un monde différent. Fini le rêve de construire une Syrie ou un Irak pluriels, où les chrétiens jouiraient des mêmes droits que la communauté musulmane majoritaire … « L’Orient est en train de perdre sa diversité qui faisait sa richesse » me confiait l’intellectuel et ancien député libanais, Samir Frangieh en décembre dernier, lors d’une matinée,passée en sa compagnie, à Beyrouth (*1).

Une véritable tragédie.

Car sans les chrétiens, le monde arabe n’a plus de sens. « Je peux vivre mon islamité avec ma famille, avec mes proches mais pour vivre mon arabité, j’ai besoin des chrétiens » avait rappelé il y a quelques années (*2), le professeur Mohammad Sammak, secrétaire général du comité islamique permanent au Liban (druze, chiite, sunnite). Et de fait ! L’émigration chrétienne constitue un drame pour la majorité des musulmans modérés de ces pays, condamnés à vivre, coupés du monde, dans un ghetto salafiste sunnite, intolérant et violent.

L’éducation : l’arme première des chrétiens au Proche-Orient

Même minoritaires, les chrétiens occupent une place prépondérante au Proche-Orient Passerelle entre les pays des deux rives, nord et sud, de la Méditerranée, leur rôle est déterminant. Mgr Maroun Lahham, l’évêque latin d’Amman affirme qu’au royaume de Jordanie « Ce n’est pas par leur nombre que les communautés chrétiennes s’illustrent, mais d’abord et surtout par leur rayonnement culturel. (*3)» …

Et notamment par les écoles, collèges et lycées qui, depuis des décennies forment les élites de ces pays.

Combien de responsables politiques musulmans, mais aussi d’écrivains, d’enseignants, d’intellectuels majeurs ont été éduqués dans ces écoles religieuses dirigées par des congrégations chrétiennes ?

Au Caire, à Beyrouth, à Damas ou à Bagdad, combien ont reçu au sein de ces établissements, un enseignement ouvert, qui les préparaient à relever les défis, imposée par les évolutions du monde ? Le départ des chrétiens (et des autres minorités) se solderait par un recul social et intellectuel de ces pays aux histoires millénaires. Ce n’est pas un hasard si les djihadistes, dont l’objectif est d’instaurer une pensée unique, visent à détruire tout ce qui ne leur ressemble pas, en s’attaquant aux symboles du savoir et de la diversité culturelle, portés, entre autres, par les chrétiens.

L’émigration n’est pas la solution. Si les patriarches et les évêques orientaux le martèlent à chacune de leurs déclarations publiques (*4), la base, elle, est plus réticente. Comment convaincre, en effet, ces familles chrétiennes de rester sur des terres, où elles risquent la mort ?

Plus que les mots, les actions et les engagements concrets sont nécessaires, pour redonner confiance aux victimes et cicatriser les traumatismes. La communauté internationale doit réellement se mobiliser, financièrement et politiquement, pour permettre à ces communautés de Syrie et d’Irak de vivre décemment leur exil dans des pays proches (Liban, Jordanie, Turquie, Kurdistan irakien), puis de les aider à revenir sur leurs terres d’origine, lorsqu’elles seront enfin libérées. Les chrétiens appartiennent à cette terre d’Orient. Il serait inconcevable d’effacer 2000 ans de présence, en quelques mois. La terreur ne peut triompher. « La barbarie nous concerne tous, constate le P. Fadi Daou (*5), directeur de la Fondation Adyan. Face aux terroristes,nous avons le devoir de nous de nous fédérer pour agir. »

L’espoir d’un front universel dépassant les cultures et les croyances surgira peut-être de la tragédie djihadiste actuelle, permettant enfin aux chrétiens de vivre en paix avec leurs frères musulmans, et de construire avec eux une citoyenneté commune.

Luc Balbont pour le réseau Chrétiens de la Méditerranée

Correspondant à Beyrouth du quotidien francophone algérien « Liberté »

(*1) Samir Frangieh ajoute que « cette diversité fait peur à l’Occident qui ferme ses frontières »

Lire blog – http://blog.balbont.oeuvre-orient.fr/

(*2) Au synode des chrétiens orientaux à Rome, 10 -24 octobre 2010

(*3) Entretiens avec Luc Balbont pour le bulletin de l’Œuvre-d’Orient, octobre 2014

(*4) Lire notamment Mgr Georges Casmoussa « Jusqu’au bout » » Editions Nouvelles Cité

(*5) Entretien avec Luc Balbont à Beyrouth, janvier 2015