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Egypte : coptes et musulmans ensemble dans les manifestations

MUSULMANS AUX COTE DE CHRETIENS

Au lendemain de l’attentat contre l’église des Deux-Saints à Alexandrie, au tout début de janvier, après quelques incidents qui ont opposé les Coptes aux forces de l’ordre, des manifestations ont rassemblé aux côtés des chrétiens un nombre étonnant de musulmans qui – fait absolument nouveau et quasi incroyable – criaient leur refus du terrorisme et de l’intolérance religieuse. Et cela comptait infiniment plus que le concert ordinaire des réactions officielles indignées, mais si convenues, autorités religieuses et des dirigeants politiques musulmans du monde entier.

C’est le petit peuple des chrétiens et des musulmans des rues du Caire, d’Alexandrie et de tant d’autres villes qui disaient non à la haine entre les religions! Dans Al Ahram, Mavie Maher rapportait l’émouvant témoignage de deux amis, l’un copte l’autre musulman, Fadi et Ahmed, participant ensemble à une gigantesque manifestation au rond-point de Rod Al Farag, au cœur de Shoubra, un quartier qui a toujours passé pour un modèle de convivialité interreligieuse. Relayé par les manifestants, les deux amis s’époumonaient au cri de : Ahmad waya Fadi, homma dol roh beladî (« Voici Ahmad avec Fadi, ce sont eux l’âme de mon pays ! »).

LE SYMBOLE DU CROISSANT EMBRASSANT LA CROIX

« C’est une affaire politique », a lancé Fadi, expliquant que le régime était la cause principale de ce qui s’était passé. On vit alors réapparaître comme jamais dans les rues le beau symbole du Croissant de l’Islam embrassant la Croix, que le parti Wafd avait popularisé dans les années 1930 pour illustrer la concorde nationale dans la lutte contre l’ingérence britannique. De nombreux intellectuels musulmans, en Égypte comme à l’étranger, élevaient enfin la voix pour dénoncer le caractère absolument contraire à l’islam de ces violences contre les chrétiens. Maints observateurs sur place notaient les réactions du menu peuple d’Alexandrie ou du Caire allant dans le même sens. La colère des Coptes à laquelle se joignait celle des Musulmans révélait à quel point le peuple d’Égypte n’était plus dupe de la stratégie de division à laquelle s’employait depuis si longtemps le régime pour assurer son pouvoir. « Ô Moubarak, pilote, le cœur des coptes est en feu », scandaient les manifestants, qui refusaient la thèse d’un complot fomenté de l’extérieur. « C’est l’atmosphère en Égypte qui a encouragé cet attentat », confiait Mounir Fakhry Abdel-Nour, un homme politique wafidste, stigmatisant la responsabilité du régime dans la faillite d’un système d’éducation qui avait permis le développement d’une culture pétrie d’intransigeantisme religieux.

« On ne peut pas – ajoutait-il – se contenter de résoudre l’affaire par une rencontre amicale entre le pape et le cheikh d’Al-Azhar s’embrassant devant les médias pour prouver que tout va bien. » Tout cela est un grand motif d’espérance pour l’insertion des Coptes dans la nouvelle Egypte, comme l’est aussi cette messe célébrée sur la place El Tahrir, en plein air (du jamais vu en Egypte) pendant les jours d’insurrection, quelques jours après que des chrétiens aient, de leur côté, fait une chaîne humaine pour protéger des musulmans en prière contre des baltageyyas (barbouzes) stipendiés (achetés) par le régime pour attaquer la foule des manifestants. C’est ça, la vraie Egypte ! Celle dont il faut appeler de nos vœux la renaissance ! Celle qui a encore donné de la voix la deuxième semaine de mars, pour dénoncer les sanglants affrontements (13 morts, 150 blessés) entre musulmans et chrétiens dans le quartier pauvre du Moqattam – affrontements survenus à la suite de l’incendie d’une église dans la banlieue carioite et attisés, selon maints témoignages, par des séides du régime déchu. Un lecteur de la revue « Solidarité-Orient » que je dirige en Belgique me faisait dernièrement remarquer qu’au fil de nos livraisons la permanence des mêmes impasses et des mêmes malheurs dont souffraient les chrétiens du Proche-Orient avait quelque chose de désespérant. Pour la première fois depuis longtemps, on éprouve au contraire le sentiment que quelque chose de radicalement nouveau est en train d’éclore, qui pourrait bien déboucher pour ces communautés chrétiennes sur la perspective d’un avenir meilleur. In shâ’a-llâh. Si Dieu veut ! Et si le peuple le souhaite vraiment.

Égyptologue, Christian Cannuyer est Professeur à la faculté de théologie de Lille .

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