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"Espérer, entrer dans une relation sans peur"
« Espérer, entrer dans une relation sans peur »
Entretien avec Jina Achji, grecque-catholique d’Alep, fondatrice du projet Espace du Ciel réalisé en juillet par Jean-Louis de La Vaissière
Jean-Louis de la Vaissière : Quelle est l’humeur des Syriens sous ce régime conduit par un ancien islamiste ?
Jina Achji : Ils essaient d’espérer car ils n’ont aucune autre issue mais ce n’est pas facile de conformer leur rêve à la réalité.
Dans plusieurs domaines il y a beaucoup de changements. Mais je vois aussi combien les Syriens n’éprouvent pas encore de sentiment de sécurité.
Même si pour l’Amérique de Trump, la Syrie est le paradis maintenant, la réalité est très difficile. Certes la vie coûte un peu moins qu’autrefois. Le prix des achats a diminué, environ 20%, mais le taux de change réel du dollar reste très élevé. Il y a des marchandises dont les prix ne baissent pas.
Dans les écoles, l’ancien système continue mais ils ont remplacé l’éducation civique par la religion. Cela vaut aussi pour les chrétiens.

Parlez-nous de votre projet pour la tolérance mutuelle, Espace du ciel ?
J’ai fondé il y a 13 ans ce projet qui réunit musulmans et chrétiens pour faire ensemble des expériences qui les aident à s’accepter, à entrer dans une relation sans peur. On reçoit les enfants, de l’âge de trois ans jusqu’au bac, mais aussi leurs mères. Elles ont des séances obligatoires. Quand elles inscrivent leur enfant, elles doivent suivre le programme de leur enfant. On aide aussi des jeunes universitaires à élargir leur espace intérieur, à recevoir Dieu de plusieurs manières : à recevoir l’autre à travers Dieu et aussi à accueillir la manière de l’autre qui a reçu Dieu de manière différente. Ils peuvent découvrir combien la différence est enrichissante. Ce projet est l’oasis où tous nous pouvons découvrir l’homme à l’intérieur et dans l’essentiel.
Comment les chrétiens peuvent-ils pratiquer leur foi?
En principe, ils peuvent prier. L’Etat leur dit : on vous défend. Mais ce n’est pas une question de défense, c’est une ouverture vers toutes les communautés qui va sauver la Syrie. C’est la seule solution, incluant tous les Syriens. Autrefois ce n’était pas facile d’exprimer notre opinion politique, c’était même interdit. En fait, les gens ne savent pas jusqu’à quel point ils peuvent exercer leurs libertés, car toujours il y a des comportements individuels qui réveillent des peurs anciennes. Par exemple, en été, les gens ne savent pas comment ils doivent s’habiller, on n’ose pas ouvrir de piscines mixtes pour aller nager. En principe on est pensé disposer de ces libertés qu’on avait, mais, dans les faits, on n’en sait rien.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Après quatorze ans de guerre, les Syriens ont besoin que l’autre ne soit plus ressenti comme une menace. Le rôle du gouvernement est de créer un terrain fécond où chacun puisse trouver sa place et se trouver lui-même au milieu du désordre. Et de ne pas imposer des contraintes qui paralysent de nouveau. Les gens étaient muets autrefois, travaillant en silence. Le silence n’est pas vibrant mais il est plus actif que le brouhaha de la propagande. Beaucoup de gens étaient silencieux car ils essayaient de voir où est le bien commun, pas celui d’une communauté. C’était le rôle de l’Eglise de travailler en silence entre toutes les communautés. C’était notre choix : travailler avec tout le monde, ne rejeter aucune croyance.