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La Vierge Marie en Orient et en Occident : Dormition ou Assomption ?

Il n’est pas besoin de rappeler que la Vierge Marie est une figure majeure de foi en Orient et en Occident, pour les catholiques et pour les orthodoxes. Ceux-ci la fêtent et l’honorent de diverses manières, à travers moult célébrations liturgiques, artistiques ou populaires. Le 15 août, dit dans diverses contrées la « fête de la Vierge », est l’une de ces dates où l’on célèbre Marie. Mais de quelle solennité s’agit-il ?

D’aucuns, catholiques, répondent : c’est l’Assomption de la Vierge Marie ; et d’autres, orthodoxes, rétorquent : c’est la Dormition de la Mère de Dieu !

Les deux fêtes se confondent effectivement dans une même date, et l’histoire lie, dans un certain sens, l’évolution de ces deux visions de la personne de Marie. Cependant, force est de constater que cette célébration n’est pas qu’une expression de la diversité de l’Église, mais aussi l’endroit d’un différend dogmatique qui existe entre les catholiques et les orthodoxes. Si les premiers considèrent la Dormition comme faisant partie du dogme de l’Assomption, les seconds refusent ce dernier, et pour cause, sa dépendance du dogme de l’Immaculée conception que les Églises orthodoxes rejettent.

Pourtant, la Dormition et l’Assomption sont deux concepts qui expriment une même réalité : le départ exceptionnel de Marie. Cet article a comme but de mettre en lumière ces différentes lectures du « mystère de Marie ». Pour commencer, faisons un peu d’histoire.

Bien que saint Éphrem (+373) évoque dans ses écrits la préservation du corps de Marie après son décès, de l’impureté de la mort, les plus anciennes traditions de la croyance en la Dormition ou en l’Assomption de la Vierge Marie remontent aux Ve et VIe siècle. On les trouve présents dans des traités théologiques, des textes liturgiques, des écrits apocryphes et des traditions populaires. Au VIe siècle, l’empereur Byzantin Maurice déclara le 15 août jour de la fête de la Dormition de la Vierge Marie. Un siècle plus tard, cette solennité mariale trouva son chemin vers l’Occident, grâce au pape Théodore. Au VIIIe siècle, elle changea de nom et s’intitula fête de l’Assomption. Si la Dormition n’est pas considérée comme un dogme par l’Église orthodoxe, l’Église catholique proclama la croyance en l’Assomption de la Vierge Marie comme dogme en 1950.

Il existe diverses manières pour définir la Dormition, mais toutes vont dans le même sens. Elles signifient que Marie mourut naturellement, comme tous les êtres humains – mais sans souffrances ni vieillesse dixit certaines traditions – ; que son esprit fut reçu par le Christ après son décès, et que son corps fut ressuscité le troisième jour et transporté au ciel. Ainsi, l’idée de l’assomption de Marie au ciel existe dans la croyance orthodoxe en la Dormition de la Vierge. L’Église catholique accepte cette conception de la Dormition, et on peut considérer qu’elle fait partie de son dogme de l’Assomption. Jusque-là, les deux Églises sœurs sont d’accord.

Mais l’Église orthodoxe refuse le dogme catholique de l’Assomption qui enseigne que « la Vierge Immaculée, préservée de toute tache de la faute originelle, au terme de sa vie terrestre, fut élevée à la gloire du ciel en son âme et son corps » (Lumen Gentium, § 59). Par sa définition, l’Église catholique lie le dogme de l’Assomption au dogme de l’Immaculée conception – rejeté par les orthodoxes –, d’une manière étroite. Ces derniers considèrent que Marie, solidaire de toute l’humanité, mourut par la nécessité de la nature humaine, liée à la corruption survenue après la chute originelle. Ainsi, la considérer comme préservée du péché originel, donc sauvée par anticipation, la rendrait hors d’atteinte de la mort, ce qui contredirait sa Dormition qui est une mort naturelle. De plus, les orthodoxes rajoutent que la dire Immaculée correspondrait à en faire une personne à part du genre humain, abrogeant la liberté qu’elle avait de dire « non » à l’appel de Dieu par l’ange Gabriel.

Marie est une figure œcuménique réunissant en sa personne des visions antagonistes qui la célèbrent pourtant, à la même date, et qui lui témoignent d’un attachement particulier. Nous restons confiant que l’Esprit guide les Églises dans leurs dialogues œcuméniques, ce qui leur permettra un jour de résoudre leurs différends dogmatiques d’une manière qui respecte et honore les traditions et les héritages de tous.

Mais en attendant, la plupart des croyants des deux Églises sœurs se soucient peu des antagonismes théologiques ou les ignorent, et célèbrent Marie, en Orient et en Occident, le 15 août, dans leurs différentes communautés. Même si les enseignements des Églises restent d’un grand intérêt, l’importance de la « fête de la Vierge » est dans le fait que les croyants y perçoivent la figure maternelle de Marie et l’exemple exceptionnel de celle qui crut, livrant sa vie à Dieu et traçant des chemins de foi uniques.


Source Œuvre d’Orient – Article préalablement publié le 15 août 2013,

Par Antoine FLEYFEL, maître de conférences à l’Université catholique de Lille et responsable des relations académiques de l’Œuvre d’Orient