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Lecture d'été [5/12] "Le monachisme d’Orient" de Hiéromoine Elisée, rencension du père Sabater

Introduction : 

Le livre du Père ELISEE (Philippe MARZIN) est comme un vent qui se lève, une « brise légère » au moment où nous évoquons beaucoup l’Orient chrétien. Pour en parler, les Editions du Cerf nous offrent une présentation soignée d’un moine occidental, né dans Le Quercy en 1959. Il vit à la croisée des deux traditions monastiques complémentaires et unifiées entre elles par la même soif de Dieu. Il est aujourd’hui moine de l’Église grecque-melkite catholique, aumônier du monastère des moniales melkites d’Aubazine, et enseignant dans deux centres universitaires au Liban. Au fil des pages de son livre, il nous fait bénéficier de ce riche héritage multiséculaire à travers la diversité de temps et de lieu.  Il nous permet de revenir à notre source commune.

 

Résumé : 

C’est au désert que tout commence, et plus précisément avec la tentation narrée par saint Matthieu et saint Luc. Cet épisode de la vie du Christ se situe juste après le baptême de Jean-le-Baptiste, et avant l’appel des disciples. Les éléments du combat au désert y sont soulignés. Les deux évangélistes décrivent le Christ « poussé par l’Esprit au désert pour y être tenté » ; et on pourrait dire que ceci est la marque même de la vie monastique. La tentation au désert est donc le socle de la quête monastique, du Christ comme archétype du moine au désert : le Christ-moine. Selon l’auteur, nous nous trouvons là devant deux phénomènes incontournables qui font le socle du « monos »  et qu’il nomme : l’enjeu cosmique du combat spirituel et l’ascétisme. Ceci nous renvoie à saint Antoine le Grand, Père du monachisme, et à ses tribulations. Ainsi, le Père Elisée passe en revue les Sources de ce monachisme qui prendra des formes différentes en Egypte, en Syrie ou au Sinaï mais qui auront toutes la même sève, parce que nées dans les mêmes eaux. Le monachisme tire donc à la fois ses racines de la tradition biblique, de son essence sémitique, mais aussi des Pères du Désert. Elle va se développer et être vécue jusqu’à nos jours dans la tradition orientale.

Sur le plan strictement historique, l’Égypte constitue le berceau du monachisme où les premiers moines apparaissent vers la fin des persécutions. On se situe aux alentours des 3ème et 4ème siècles. L’empreinte des martyrs nourrit la vision monastique de l’époque, mais aussi la vie chrétienne en général. Les moines se pensent héritiers des martyrs. Ce don d’eux-mêmes se vivra de façon continue à la différence de ceux qui sont morts par le sang, comme saint Ignace d’Antioche. Ils le vivront dans l’ascèse et le renoncement. La tradition égyptienne représente donc la source commune des courants monastiques occidentaux et orientaux.  Aussi loin que l’on puisse remonter, les Sources attestent la présence d’un moine nommé Abba Moïse. On dit qu’il fut Ethiopien, et qu’il serait venu d’Égypte depuis la Haute Thébaïde. Les moines et les lieux de prières sont des lieux de passages, de communication et de fraternité. C’est ainsi que les échanges entre l’Égypte et l’Éthiopie vont faciliter une christianisation qui perdure jusqu’à nos jours. De nombreux monastères vont être fondés. Plus au Nord et à l’Est, la présence de moines et d’ermites est aussi attestée en Palestine. On relèvera la figure de Dorothée de Gaza et l’Ecole du même nom. Aujourd’hui encore, on peut admirer les belles façades du monastère que saint Sabas fonde dans le désert de Judée. Il est toujours en activité. En Syrie, on relèvera principalement les noms de saint Jean de Damas (8ème siècle –  arabe byzantin de culture grecque), et du diacre saint Ephrem. Si les expériences de vie érémitique et cénobitique sont attestées depuis quasiment les premières heures de la présence des Pères au désert ; il faut aussi noter des formes plus extrêmes, avec la tradition des stylites, tel saint Syméon. Ces derniers vivaient en permanence au somment d’une colonne.

Enfin, et pour revenir au cœur du désert, il nous faut aller au Sinaï et au monastère de Sainte-Catherine à la rencontre de saint Jean Climaque, auteur de la fameuse « échelle sainte » (« Climax » signifiant « échelle ») « … considérée comme une synthèse de l’expérience monastique antérieure. Jean y manifeste une profonde connaissance de la littérature spirituelle de l’Orient chrétien. Outre les auteurs qu’il cite explicitement : Evagre le PontiqueJean Cassien, Grégoire de Nazianze, Jean Climaque…, Diadoque de Photicé et l’Ecole de Gaza». (page 116) Là encore, on se situe aux fondements de l’expérience hésychaste qui migrera des déserts d’Egypte au Mont Athos. « C’est incontestablement dans la péninsule du Sinaï qu’il commence à acquérir le droit de cité, les traits distinctifs et la précision technique qu’il transmettra ensuite au monde byzantin. » (page 149) L’auteur nous livre, ici, de belles pages autour de la figure de saint Syméon le Nouveau Théologien. Peu à peu l’expérience du Christ-moine au Désert, et celle de tous ceux qui vont vouloir imiter le Christ et vivre cette quête absolue, va se répandre à travers tout le Moyen Orient jusqu’en Mésopotamie.

Le moine se voue à Dieu dans le retrait et le silence, vivant une ascèse corporelle faite de privation de nourriture et de sommeil. Le monachisme d’Orient connaît également une autre forme de vie monastique intermédiaire et « plus souple », que l’on nommera : monachisme basilien (saint Basile le Grand). Tout au long de l’Histoire du christianisme et du monachisme chrétien, une tension se fera jour entre ces deux formes de vie : communautaire et érémitique. Le moine ne vit plus dans la solitude. Sa vie tourne autour de la prière liturgique, la pratique de la confession des péchés, la réception fréquente de l’Eucharistie, la lecture de la Bible, le travail manuel, les œuvres de charité. Cette forme monastique va marquer aussi bien l’Occident que l’Orient.

Les formes monastiques sont tout aussi diverses et variées comme celles de l’époque de l’Eglise indivise. Le Père Elisée nous présente à la fois, dans « une petite géographie du monachisme oriental », les différences et l’unité de fond qui s’y vit tant au Moyen-Orient que dans les Balkans et Carpates, en Roumanie ou en Russie (Laure de la Sainte trinité, Monastère de Valaam, les Solovky…). S’il y a eu jadis un idéal monastique oriental, cela est resté encore de nos jours dans divers lieux et nombre de pays. Le moine se retire auprès d’un maître spirituel : le starets. Il est l’idéal du monachisme russe. L’idéal du désert reste un élément permanent et constitutif de ce monachisme d’Orient. Dès lors qu’une communauté devient trop importante et trop bruyante, le moine s’enfonce dans la forêt à la recherche de silence et de solitude.
Chacun des monastères a eu un réel impact sur la société russe et, malgré l’idéal du désert,  fait pleinement partie du paysage social à travers une vie ecclésiale très présente dans la société. Dans de nombreux pays comme la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie ou la Russie, des pèlerinages sont organisés dans les monastères. Diversité mais aussi unité sont les marqueurs du monachisme oriental où qu’il se trouve. La prière, et surtout la prière liturgique, en est la première des obligations du religieux. La seconde serait plutôt l’enseignement des Pères.

 L’hésychasme signifie en fait la pratique du « repos ». C’est une paix qui émane dans le silence et le recueillement. On a eu coutume de l’associer à la solitude du désert. On compare souvent l’hésychasme à la pratique soufie du « dikr ». Cette pratique est une prière continuelle dans la répétition d’une seule formule utilisant le nom de Jésus et ses attributs. La formule a fini par se fixer sur la phrase : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ». Petite parenthèse, rien que l’établissement du cadre propice et de l’état d’esprit préalable, à savoir « la maîtrise des passions ». Elle se sert d’une technique de concentration mentale, utilisant le souffle pour faire « descendre l’esprit dans le cœur », selon la formule consacrée. Le croyant se concentre sur le souffle et descend avec lui dans le cœur au moment de l’inspiration et y invoque le nom de Jésus, dans une formule de repentir.

Durant des siècles, les moines sont restés fidèles aux motions de l’Esprit Saint. L’ascèse intérieure s’est développée à l’ombre du monde et dans le secret des cœurs, dans chacun des monastères d’Orient.  La tradition orientale se consacre en premier chef à l’ascèse personnelle. Les moines ont su garder intacte la tradition vivante en préservant, ici et là, l’idéal initial malgré la diversité « de ses formes et de ses expressions ». Cette vie authentique et foisonnante est menacée aujourd’hui ; surtout au Proche-Orient. Que reste-t-il ou que restera-t-il du monachisme syriaque ? Que restera-t-il de ces monastères d’Irak, de Syrie, de Turquie après tant d’années de conflits, de guerres… ? « Les circuits de la Grâce sont aussi imprévisibles et mystérieux que le parcours souterrain des eaux » (page 315).

Ce livre est riche de cette histoire multiséculaire qui porte en elle-même l’authenticité de tous ceux et toutes celles qui ont cherché le Christ d’Elie et des Prophètes, des Pères de l’Eglise et des saints. Bien documenté, soigné, avec deux cahiers de belles photos en couleurs, cet ouvrage donnera de la joie et beaucoup de quiétude à tous ceux qui souhaitent connaître cette part d’histoire que nous avons en commun. Un moine catholique de l’Eglise grecque melkite nous apprend à respirer avec les deux poumons d’Orient et d’Occident. Un chemin… à partager.

Hiéromoine Elisée, Le monachisme d’Orient – Figures, doctrines, lieux, histoire. Ed. Le Cerf. Paris 2017. 394 pages. 39 €

 

Patrice Sabater