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Le témoignage de Camille : " La contemplation dans l’action, la prière dans le faire "
Le témoignage de Camille, 23 ans, qui est en mission depuis le mois d’avril en Arménie chez les sœurs de Mère Teresa à Spitak puis à Erevan.
Rapport de 2ème et 3ème mois de mission
Erevan – Bethleem House, Missionnaires de la Charité
Je redoutais cette deuxième partie de mission. Incapable de me projeter dans ce que « s’occuper de très jeunes enfants handicapés » représentait, je m’étais fait les pires scénarios. J’étais loin de m’imaginer les bouleversements intérieurs que j’allais y vivre.
Arrivée à Erevan
La maison est grande, après Spitak ça parait même être le grand luxe ! On nous sert un incroyable déjeuner indien, la maison sent le propre, un peu de bois partout, il y a même un joli jardin où grandissent de magnifiques rosiers. Les soeurs nous accueillent avec leur pudeur habituelle, le pré-fabriqué où Domitille et moi sommes supposées dormir n’est en revanche pas bien grand. Je suis assignée au premier étage, c’est à dire celui des tous petits. Ils ont entre neuf mois et cinq ans, ne parlent pas, ne voient pas et sont tous nourris à l’aide d’une sonde. Tous, hormis un petit bout de chou que je croise dans le couloir sur sa chaise haute. C’est Allen, le rayon de soleil de l’étage, il va bientôt avoir un an. Atteint d’une Spina bifida, mot barbare qui désigne une maladie s’attaquant à la moelle épinière, elle le paralyse à partir du bassin mais fait donc de lui le seul enfant de l’étage dont le cerveau fonctionne normalement. Dans cette maison que je vois pour la première fois, je lis dans son premier regard une tristesse que je ne pensais pas voir chez un enfant aussi jeune. La suite de ma mission me fera découvrir son sourire charmeur et ses yeux pleins de tendresse. Peut-être ai-je vu dans son regard ma propre inquiétude face à ce qui m’attendait au contact de ces onze enfants.
Début de mission
Les premiers jours sont exaltants : il faut tout apprendre. Comment nourrir à la seringue, les tenir dans les bras, changer les couches, faire le ménage, découvrir l’équipe de workers qui aide les soeurs dans les soins aux enfants. Presque qu’aucune ne parle anglais, j’essaie donc tant bien que mal de me faire comprendre. Je cherche à trouver ma place dans ce petit monde qui a l’habitude de tourner sans moi. Il faut faire des preuves, montrer aux soeurs et aux workers que l’on a vraiment envie d’aider. L’envie et surtout le besoin de se faire accepter par les actes puisque le dialogue n’est pas possible. Alors dès que je peux, j’étends le linge, je balaie, je change les lits, je fais la vaisselle. Sans doute aussi un peu parce que je ne suis pas encore très à l’aise avec tous ces enfants aux corps parfois tordus, aux yeux étranges et aux gargarismes peu ragoûtants.
Après deux semaines d’adaptation les choses sérieuses commencent. Mariam, un petit bébé de neuf mois vient de partir à l’hôpital. Pneumonie. La dure réalité me prend de plein fouet, j’entends ses pleurs au loin alors qu’elle est en route pour l’hôpital. Je ne vais peut-être jamais la revoir. Je réalise combien la vie de ses enfants ne tient qu’à un fil et à quel point il n’y a aucun espoir d’amélioration, pour personne. Sur le mur de la grande salle sont affichées les photos des enfants décédés pour chaque année.
S’ensuit des nuits difficiles où je me pose cette question épouvantable : « Qui sera le prochain affiché sur ce mur ? ». Parce que je commence déjà à m’attacher à ces enfants, le départ de l’un d’eux prend un tout autre sens. Je vais mettre du temps à passer ce cap, voir au-delà de la souffrance, au-delà de la mort, souvent inévitable.
Pour tenir
J’ai trouvé en Domitille la meilleure binôme qu’il soit. Très différentes toutes les deux, nous sommes cependant d’accord sur un point : il faut que l’on s’aère ! Chaque week-end est l’occasion
La foi. Comment donner un sens à cette mission, à la vie de ces enfants, si l’on n’a pas la foi ? Si cette maison est gérée par des religieuses, je ne crois pas que ce ne soit pour rien. Pendant ces deux mois, bien que ma vie spirituelle fût pleine de remous, elle s’est surtout reposée sur un cadre bien ancré dans mon quotidien. La messe tous les matins, ce rendez-vous intérieur avec Dieu, tout lui remettre, tout lui confier, puisque je me rends vite compte que moi toute seule serais incapable de surmonter cette affaire.
Deux mois après
Allen est devenu mon rayon de soleil à moi aussi. Mariam est revenue de l’hôpital. Cette enfant que j’avais quitté avec angoisse seulement quelques jours après mon arrivée, je tisse doucement un lien avec elle pour calmer sa respiration. La voir s’assoupir dans le creux de mes bras réjouit ma journée entière. Chaque matin depuis deux mois, j’attrape mon balai et ma serpillère et nettoie sans fin les mêmes pièces pendant plus d’une heure. C’est le moment de la routine. Les marques sont prises, les cours d’arméniens commencent à donner leurs fruits, avec chaque enfant s’est créé un lien particulier en dehors de toutes les normes sociales habituelles. La fatigue, on apprend à vivre avec. On fait des siestes et on se couche plus tôt que sa grand-mère mais après deux mois, on a compris que ces éléments étaient nécessaires. Les soeurs révèlent aussi leur humanité, leurs défauts et leur sensibilité. En pilote automatique certains jours, je m’abandonne à ces enfants comme on s’abandonnerait au Christ. La contemplation dans l’action, la prière dans le faire.
Faire le bilan
Chaque difficulté surmontée en amène d’autres mais les premières nous donnent les armes pour affronter les suivantes. Non, la mission n’est pas plus facile de jour en jour. Chaque jour présente ses défis, ses fatigues, ses baisses de moral, de motivation et de patience. On est pourtant convaincu que ce que l’on fait est en train de nous changer, profondément. C’est aussi assez inquiétant. Comment va t’on revenir dans le monde ? Sera-t-on marqué à vie par ces visages et ces corps dont on a pris soin? Mais l’heure n’est pas encore à ces questions. Car il reste encore un mois et que je ne veux pas manquer une seule miette de ce que cette mission a encore à m’offrir.

