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Lecture d'été [10/12] "Sauver les livres et les hommes" du Père Michaeel NAJEEB et Romain GUBERT, la recension du père Sabater

Introduction :

Ce n’est pas un livre banal. Celui qui l’écrit n’est pas quelconque non plus ! Ce livre sort du plus profond de l’abîme irakien au cœur de cette guerre horrible qui n’en finit pas de durer. Et, pourtant comme dans tous ces lieux de désespérance il y des petites lumières qui tiennent l’Humanité en alerte. Le livre « Sauver les livres et les hommes » participe de cet esprit. Il nous est proposé par le Frère dominicain irakien Michaeel NAJEEB, né à Mossoul dans une famille de rite chaldéen. Il sera ordonné en 1987, par son Frère en profession religieuse dans l’Ordre des Prêcheurs : Mgr Pierre Claverie, op. – bientôt béatifié.

Résumé : 

L’enlèvement de Mgr Georges Casmoussa et l’assassinat de Mgr Faraj Rahho sont de mauvais augures, et déjà les Irakiens se doutent que la cruauté de Daesh sera sans bornes et sans aucune pitié. Très tôt, le Frère Michael comprendra qu’il faut sauver les racines et l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui essayent d’échapper aux hordes barbares. Dans la nuit du 6 au 7 août 2014, il charge deux véhicules à la hâte à l’approche de Daesh. Il rejoint sur la route la queue des réfugiés. Des anonymes l’aideront à traverser les barrages; parmi eux des musulmans. Les balles vont et viennent de toutes parts. Personne n’est touché ! Il n’est pas le seul « héros » de cette journée mémorable, mais d’autres avec lui prennent part à cette épopée…

A Erbil, il ouvre le Centre Amal (L’espoir) où les Irakiens de toutes confessions pourront venir habiter dans des containers. En même temps au sous-sol, il demande à des jeunes de l’aider à numériser des livres, souvent des ouvrages rares : Traités de médecine, d’astronomie, Traités de spiritualité… Il poursuit son travail de numérisation entrepris en 1990. Partout en Irak depuis cette date, il cherche ce qu’il faudrait sauver. Est-ce déjà là un pressentiment ? Ce n’est pas un travail quelconque ; surtout en temps de guerre ! Il écrit : « En quelques heures, des familles entières de chrétiens fuient la ville (Mossoul) et abandonnent derrière eux leurs maisons, leurs églises, leurs cimetières. Elles fuient la terre de Noé, d’Abraham et de saint Thomas, la leur depuis deux millénaires ».

Le livre écrit à la première personne donne à cet écrit une réalité bien enracinée dans une  histoire, sur une terre, et dans une quête inlassable pour sauver ce qui peut l’être encore. Avec lui, nous entrons en Irak, au cœur de ces familles ; et avec des mots simples il amène le lecteur à rejoindre la vie de ses coreligionnaires. C’est ainsi qu’’il sauvera des mains de Daesh 545 manuscrits de l’antique monastère Mar Benham. La numérisation des ouvrages et la course effrénée (un quart des livres ont été brûlés ou très largement endommagés par l’Etat Islamique) contre l’ignorance et la barbarie ne lui font pas oublier la vie quotidienne de ces gens, de ses amis qu’il visite quotidiennement. Nous les suivons aux checkpoints. Nous l’écoutons parler de survie et de solidarité entre les déplacés. Il évoque le déracinement, la prostitution forcée, les enlèvements, le manque de nourriture et de soins, le froid, la peur,… la mort et la désespérance. Avec le Frère Najeeb, c’est l’espoir qui renaît, le goût des choses simples, l’amitié et la fraternité. C’est pour eux que ce résistant se bat. Il ne met pas toute son énergie à sauver d’abord des livres puis ensuite des hommes. Non. Il sait qu’en sauver les livres, il sauvegarde l’Histoire de la Plaine de Ninive et de l’Irak. Il sait qu’en conservant le passé de l’Irak, berceau de la civilisation et du Christianisme, il sauve le cœur de l’Humanité. Que serait un peuple sans Histoire et sans mémoire ? Que pourrait-il transmettre de son patrimoine ancestral ? Cela ne commence-t-il pas par les traces dans l’Histoire que sont ces manuscrits ainsi que la langue de Jésus : l’araméen ? C’est ici dans cette région du monde qu’est apparue l’écriture ; et nulle part ailleurs. Eux aussi, ils sont des fils d’Abraham, et cette terre est bien la leur avant même que l’Islam ne vint ! Ce religieux, fils de saint Dominique, a sauvé d’une mort certaine de très nombreuses personnes, au moment où il sauvait aussi leur passé… « Je sauve les livres pour sauver les hommes », aime-t-il à répéter toujours avec ce même sourire plein de bonté.

Le lecteur ne trouvera ici aucune fausse note, aucune accusation, alors que l’auteur pourrait le faire. Bien au contraire, nous trouvons au fil des pages la consolation que seul Dieu donne aux Hommes de Bonne volonté. Ce récit est une ode à la liberté, à l’espérance, à l’espoir et à la réconciliation. Il renforce la volonté de tous ceux qui veulent résister à la médiocrité, à la violence ; et qui cherchent à sauver ce qui reste d’humanité quand il leur semble qu’elle a définitivement disparue… Le Frère Michaeel Najeeb nous montre qu’il y a toujours de l’espoir quand il y a de la vie dans le cœur de l’Homme. Un très beau livre à lire et à offrir. Merci aux Editions Grasset !!!

Père Michaeel NAJEEB (avec Romain Gubert), Sauver les livres et les hommes. Editions Grasset, Paris 2017. 177 pages. 17 €

Père Patrice Sabater