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[Liban] : le témoigne de Sarah : "Je vois que ma complicité et mes liens avec les Soeurs s’épaississent"

Notre volontaire Sarah – 23 ans – est en mission pour quatre mois Foyer Notre-Dame des Douleurs – Ghodras


Ma mission :

Je suis arrivée au Liban et au foyer il y a pile deux mois. J’ai l’impression d’y avoir trouvé mes habitudes et une forme de confort. Le matin par exemple, je donne le petit-déjeuner aux personnes âgées dans un ordre précis. Je commence toujours par Monique, qui m’appelle “nounou”. Elle se déplace sur son fauteuil en s’avançant à petits pas. Plus tard, lorsque je dépose le plateau de Sœur Odile sur son bureau, elle se prépare dans sa salle de bain. Mes yeux se promènent sur les objets de sa chambre : des journaux empilés, des livres de piété, un portrait fait au crayon bleu quelques semaines auparavant, sa tenue bleue pliée en deux au pied de son lit.

Chaque matin, la même question me vient lorsque je rentre dans sa chambre. Je comprends que j’aime cet endroit et qu’il me rassure, parce qu’il me fait penser à la maison de mes grands-parents. Quels sont les détails de cette réminiscence ? C’est peut-être la légère odeur de renfermé, l’obscurité de la pièce derrière les rideaux lourds, ou la pile de journaux qui dorment sur le bureau de bois. Il me faut ensuite quitter la pièce et m’arracher de ma maison factice : la fortune me jette au milieu de l’agora, une immense salle très éclairée et remplie d’échos. Après quelques secondes pourtant, je retrouve le sourire en croisant une aide-soignante, une femme de ménage. La plus souriante porte un tchador noir et son sourire est grand et doux.

Entre le petit-déjeuner et la messe, je bois toujours un thé dans la cuisine. Aujourd’hui, c’est Jordan qui prend la place de Claire. Elle est partie la semaine dernière.

Le corps s’habitue vite. Je sais ce que je dois faire. Aussi, je choisis de voir la présence des personnes âgées comme grignotant l’absence de mon amie. Je suis étonnée de voir la capacité de mon cœur à aimer autant. Je suis réellement attachée à une ou deux personnes âgées, ici ; mais je les aime toutes, malgré les certaines impatiences, certains cris. Elles me touchent toutes.

Je crois m’être doucement habituée au rite maronite. Les trois dernières semaines furent un peu difficiles : j’allais aux célébrations un peu à reculons. Aujourd’hui, lorsque je sens l’ennui me rattraper, je médite sur les psaumes, j’observe la prière des vieilles personnes. J’ai une grande soif de Dieu. Je le trouve en le lisant, mais aussi à travers le regard angoissé de certaines grands-mères. J’aime prendre leur visage dans mes mains ou coller mon front contre le leur. Curieusement, elles se laissent faire. Certaines me disent “encore” lorsque je me recule. Je mesure mon statut d’adulte à ce moment. Aussi, je vois que ma complicité et mes liens avec les Soeurs s’épaississent. Après un mois, j’ai remarqué leur douceur et leur attention dans la discrétion. Soeur Marie-Édouard remarque toujours lorsque je mange peu, bien que nous soyons une dizaine autour de la table. Hier soir par exemple, après le dîner, les Soeurs nous ont invité à une soirée film. Soeur Marie-Dominique échangeait toujours un regard en ma direction lorsqu’elle riait des scènes.

La communauté chrétienne libanaise compte une diaspora énorme. La moitié des familles des résidents vivent au Canada, en Australie, en France ou en Arabie Saoudite. Beaucoup de femmes, ici, ont voyagé partout dans le monde : elles sont nées en Irak, en Égypte, en Syrie. Cet éclatement géographique desserre chez moi des nœuds et des attachements. Je constate, en écoutant la diversité des parcours de vie, que je possède une liberté immense : (presque) rien ne me retient de voyager, de partir. Cette mission au Liban me donne un sentiment de liberté que j’ai peu ressenti jusqu’à présent. Je connais ma chance d’avoir rencontré des amis ici. Mon co-volontaire, Marcelino et moi (que vous connaissez à travers mes récits) partons parfois visiter le Liban. En rentrant, je regarde Beyrouth et ses lumières défiler sous mes yeux. Une musique arabe me berce toujours, et j’entends à nouveau les paroles de Claire : “Profite bien de ce dernier mois”.

Parfois, j’aimerais pouvoir arracher mon cœur et vous le donner pour que vous puissiez connaître cette sensation de paix, de calme, de liberté, de joie profonde. Elle vient systématiquement la nuit, devant ces paysages, après une journée de travail. Elle vient aussi quand je passe devant les chambres des résidents, après mon service, lorsque je vois leurs visages à travers le jour de la porte.

Avec ces amis, j’ai la chance de visiter beaucoup de lieux. Nous avons visité de nombreux monastères, Batroun, Byblos, Tripoli, Beyrouth. Mon endroit préféré fut l’église Sainte Marie de la Mer, à Batroun, en face du mur phénicien. Là, avec Claire, nous avions demandé notre chemin à une vieille dame assise sur un siège, dans la rue. Elle nous avait invité à prendre une citronnade. Nous avons accepté sans hésitation. Elle nous présenta son fils, Antoine, qui revenait de Paris pour les vacances. Il nous a fait visiter sa ville natale avec un accent français parfait. J’aime la simplicité du Liban. Elle transpire partout : dans le salut d’un étranger, dans l’invitation d’une nouvelle connaissance, dans la nonchalance des serveurs en restauration, qui ne sont grondés par personne s’ils prennent leur temps.

Les sentiments qui me traversent ces derniers jours sont ceux de la paix et du calme. J’espère que ceux qui remplissent vos journées s’en rapprochent.